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Tatiana de Rosnay publie "Célestine du Bac", un roman écrit il y a trente ans et refusé à l'époque par son éditeur : "Il l'avait trouvé inclassable"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd’hui, l’écrivaine Tatiana de Rosnay.

Article rédigé par franceinfo - Elodie Suigo
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Publié
Temps de lecture : 6min
L'écrivaine Tatiana de Rosnay à Paris (France) le 11 mars 2020 (PHILIPPE DE POULPIQUET / MAXPPP)

Tatiana de Rosnay est écrivaine. On la rencontre en 2006 avec son roman Elle s'appelait Sarah. Aujourd'hui, elle publie Célestine du bac aux éditions Robert-Laffont. C'est l'histoire d'une rencontre entre le jeune Martin Dujeu, 18 ans, fan de Zola et de son chien, et d'une personne sans domicile fixe, Célestine du Bac. Leur point commun, être passionnés par l'écriture. Un roman qui nous invite à ne pas juger et surtout à se nourrir des autres.

franceinfo : C'est un ouvrage sur l'importance de dépasser ses préjugés, d'accepter l'autre, peu importe sa classe sociale.

Tatiana de Rosnay : Oui, en fait c'est une rencontre entre deux personnes qui n'étaient pas du tout censées se rencontrer. Elle est sur ce trottoir et fait partie de ces gens qui n'ont pas de voix et qu'on ne regarde pas. Et lui, c'est un jeune homme pas très bien dans sa peau qui n'arrive pas à faire un deuil assez impossible. Il a perdu sa mère dans un accident d'avion, on n'a jamais retrouvé son corps.

C'est une rencontre totalement inattendue qui va cimenter tout le chemin du livre.

Tatiana de Rosnay

à franceinfo

Il y a énormément de vous dans ces deux personnages. Il y a un côté autobiographique dans cet amour de l'écriture, dans le besoin de prendre soin des autres, dans le besoin de se protéger aussi.

Quand on écrit un livre, inconsciemment, j'imagine qu'on met une partie de soi-même, mais ce n'est pas du tout quelque chose que je m'apprête à faire consciemment. C'est-à-dire que pour moi, ces personnages sont vraiment nés de mon imaginaire. Et je comprends ce que vous voulez dire, mais je vous assure que ce n'est pas du tout quelque chose de voulu de ma part.

Vous écrivez depuis l'âge de huit ans. Récemment vous avez déménagé et êtes tombée sur un carton dans votre cave, que vous avez ouvert et vous vous êtes rendu compte que vous aviez ce roman qui datait de 1990. Vous avez été émue aux larmes en le relisant.

Je l'avais oublié, il avait été refusé par mon premier éditeur qui l'avait trouvé inclassable. Et donc je retrouve ce carton. Et je suis saisie par l'espèce de fraîcheur qu'il y a dans ce livre, quelque chose de très spontané, très sincère. Et je trouve qu'aujourd'hui, avec tout ce que nous sommes en train de vivre, cette histoire d'amitié a un autre écho. Célestine est restée confinée 30 ans dans sa cave pour sortir aujourd'hui, à un moment où le lien social est tellement important pour nous. On en a tellement besoin.

Je voudrais qu'on aborde cet amour de l'écriture, cela vient d'où ?

J'ai passé ma vie le nez dans les livres quand j'étais petite fille et j'ai eu cette chance aussi d'être bilingue et d'avoir lu dans les deux langues puisque ma mère était britannique. Ça m'ouvrait encore plus à l'imaginaire et je dirais que c'est l'amour de la lecture qui m'a poussée à écrire très tôt, vers huit, dix, sans être lue par qui que ce soit sauf ma famille qui, Dieu merci, m'encourageait. Si ça n'avait pas été le cas, je ne sais pas comment j'aurais fait.

Le chemin vers l'édition a été compliqué et difficile pour moi. Quand le succès est arrivé, j'avais déjà 45 ans. J'ai eu pas mal de refus.

Tatiana de Rosnay

à franceinfo

Votre première publication date de 1992 : L'appartement témoin. Fière à ce moment-là d'avoir enfin un livre publié ?

Ah oui. Je me souviens que quand cet éditeur m'a téléphoné pour me dire qu'il allait publier mon livre, j'ai cru que c'était mon frère qui me faisait une blague. Donc je n'ai pas du tout pris ça au sérieux, jusqu'à ce que le monsieur m'explique très gentiment et très patiemment qu'effectivement, il était éditeur et pas mon frère et qu'il allait publier mon livre.

Votre roman Elle s'appelait Sarah, en 2006, s'est vendu à 11 millions d'exemplaires, vous êtes un des auteurs français les plus lus à l'étranger. Quelle place occupe ce livre dans votre vie ?

Sarah restera toujours dans ma vie. Certains auteurs comme Daphné du Maurier, par exemple, a pu s'offusquer qu'on lui parle tout le temps de Rebecca. Je pourrais m'offusquer qu'on me parle de Sarah, mais non, parce que c'est le livre qui m'a fait connaître, celui qui est encore le plus lu aujourd'hui.

Sarah aura toujours une place à part dans tous mes livres.

Tatiana de Rosnay

à franceinfo

Que gardez-vous de votre enfance ?

J'ai eu une enfance magnifique. Bien sûr, il y a eu des moments difficiles comme tout le monde, mais j'ai eu une très belle enfance et je dirais que peut-être la chose la plus douloureuse dans mon enfance et mon adolescence et je l'aborde un petit peu dans Célestine du Bac, c'est justement le deuil impossible. Nous avons perdu un membre de notre famille, Arnaud de Rosnay, disparu alors qu'il faisait de la planche à voile. On n'a jamais retrouvé son corps. Et Martin Dujeu est face à ça dans Célestine du Bac. Face à une mère qui est prétendument morte dans un accident d'avion, mais dont on n'a jamais retrouvé le corps.

Et quand on ne retrouve pas le corps de quelqu'un, on est face à un deuil impossible parce que toutes les portes s'ouvrent, d'autres possibilités dans votre tête et vous vous dites peut-être qu'il n'est pas monté dans cet avion... Et ce deuil impossible m'a hanté et me hante encore. Et un jour, plus tard, j'écrirai peut-être sur lui.

Sur ce carton rangé dans votre cave, il est indiqué "Ne pas publier, si je meurs" et finalement ce livre sort de ce carton.

Il y a mon journal intime, des poèmes, toutes sortes de livres. Je serais très embêtée que quelqu'un les publie si jamais il m'arrive quelque chose.

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