Le monde d'Elodie. Eric Dupond-Moretti : "Imaginez que par votre insouciance vous contaminiez des gens ? On ne peut pas vivre avec ça !"
L’avocat pénaliste observe les parallèles entre le confinement, qui limite nos libertés, et la détention, mais il appelle chacun à la responsabilité.
Elodie Suigo : Comment vivez-vous ce moment particulier ?
Eric Dupond-Moretti : ça passe par plein de pensées différentes. D’abord, le confinement, c’est un mal nécessaire. Au début, on l’a pris peut-être un peu à la légère ; on entendait des choses curieuses, genre "le coronavirus, ça tue moins que la grippe qui tue 10.000 personnes par an". Et puis on s’est rendus compte de la réalité des dégâts, au regard notamment de ce qui se passe en Italie et les choses sont devenues plus sérieuses, on a communiqué davantage et on est arrivés à cette solution du confinement, qui est une épreuve difficile, mais nécessaire.
Je suis comme un ours en cage et j’essaie d’occuper mes journées. Je ne fais plus mes kilomètres, moi qui en fais tellement ! Un peu de boulot : j’appelle mes collaborateurs, on appelle quelques clients, on fait du télétravail.. Puis après le télétravail, il y a la télé. Un peu mais trop, parce que sinon on devient dingue ; sur certaines chaînes d’info continue, on nous fout vraiment la trouille ! Et puis j’essaie de réfléchir. Forcément, cette période nous pousse à l’introspection. On parle beaucoup de la vie, on parle beaucoup de la mort aussi, donc c’est une période très particulière. Et puis j’essaie aussi de me projeter dans l’avenir, avec beaucoup de difficultés. Je pense que les choses seront différentes. Je prends le temps de la réflexion, ce qui n’est pas toujours le cas puisque mon activité professionnelle est plutôt intense.
Je pense que cette période est révélatrice des comportements humains. Il y a des comportements d’une fantastique humanité, où les gens se révèlent. Je pense aux Italiens qui ont commencé à chanter, dans cette forme d’optimisme. Moi je suis confiné dans le Sud, j’ai vu des gens qui se sont manifesté pour donner un coup de main aux personnes âgées isolées. Et puis je vois aussi tous les salopards qui mettent trois mètres cube de papier-chiotte dans leurs courses ; ils ne pensent pas aux autres, voilà. Dans un supermarché pas très loin de chez moi, il y a des gens qui se sont battus pour un paquet de pâtes ! Donc évidemment, cette période difficile révèle les êtres.
Dans votre métier d’avocat, la justice peut priver quelqu’un de sa liberté, là on est tous privés de notre liberté, ça doit résonner pour vous ?
Oui bien sûr, je pense beaucoup à la condition pénitentiaire. Moi, je suis privilégié. On est tous emprisonnés, mais pas dans des conditions carcérales. Je me dis, "Mais comment font ces hommes pour résister ?". Comment font ces gens –avant le coronavirus- face à une hospitalisation longue, cette espèce de solitude qui vous ronge. Ça, c’est une chose à laquelle on pourrait réfléchir après cette période difficile. On peut tous réfléchir à ça. Ce n’est pas une question majeure dans notre société, la condition carcérale. Mais cette espèce de comparaison –mais nous, on n’a rien fait de mal !-, ça peut aussi mâturer une forme de réflexion intéressante.
Avez-vous peur de ce virus ?
Non, parce que - c’est peut-être complètement idiot – mais je crois que cette maladie touche d’abord des personnes âgées… Elle touche tout le monde, mais le risque de mort est statistiquement plus important chez les personnes âgées et chez des jeunes sujets à risques. Alors évidemment, il y a des jeunes qui sont touchés, je ne l’ignore pas, mais je n’ai pas peur. Et puis je respecte le confinement assez scrupuleusement. En revanche, j’ai peur pour ma mère, qui est une femme de 84 ans. Je me dis qu’on peut être porteur sain et contaminer les autres… Je ne vis pas dans l’angoisse, mais évidemment cette maladie me fait peur, pour les gens qui m’entourent. J’ai la chance pour le moment de ne pas ressentir de symptômes, je respecte le confinement, j’essaie de me protéger donc il n’y a pas de raisons non plus de tomber dans l’hypocondrie et dans la surenchère.
Comprenez-vous ceux qui continuent à sortir ?
Non, je ne comprends pas ces réactions d’un incroyable égoïsme. Qu’ils se foutent de leur santé ces gens-là, c’est leur problème, leur liberté au fond, mais qu’ils risquent de contaminer les autres, ça j’ai du mal. La pandémie ne peut s’arrêter que si on observe strictement ces règles. Donc ce comportement inconscient est extrêmement inquiétant et il peut être porteur de mort pour les autres. Imaginez que vous appreniez demain que par votre insouciance vous avez contaminé des gens, je pense qu’on ne peut pas vivre avec ça !
Un message d’espoir pour les auditeurs de franceinfo ?
Si les règles sont respectées, tout ça sera un très très très mauvais souvenir dans quelques temps, le plus vite possible je l’espère. Ce n’est pas une situation qu’on a choisie, elle nous est imposée et je pense qu’effectivement, ce n’est pas le virus qui se déplace, c’est les gens qui le portent qui se déplacent et qui permettent au virus de se propager. Donc, moins on se déplace et moins le virus se propage.
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