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Le monde d'Elodie. Cyril Dion : "Cette épreuve n'est qu'un avant-goût de la crise climatique. Il faut accepter de le croire"

Pour le militant écologiste et documentariste du film "Demain", si on ne lutte pas contre le changement climatique, d'autres crises sont inévitables.

Article rédigé par franceinfo - Elodie Suigo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Cyril Dion, en septembre 2019, au festival Les Correspondances, à Manosque (Alpes-de-Haute-Provence).  (JOEL SAGET / AFP)

Elodie Suigo : Cyril Dion, vous êtes militant écologiste, écrivain, réalisateur, poète. Le grand public  vous connaît bien depuis l’énorme succès de votre film Demain, avec Mélanie Laurent - plus d’un million d’entrées en diffusion dans plus de 30 pays et puis César du meilleur film documentaire. Vous avez fait un tour du monde des solutions pour répondre à la crise climatique, ce que vous nous avez fait entrevoir, n’est-ce pas au cœur de nos préoccupations d’aujourd’hui ?  

Cyril Dion : Si, complètement ! Quand on voit la crise du Covid 19 qu’on est en train de traverser, ça nous ramène à la nécessité de construire des territoires par exemple qui soient plus résilients, donc qui soient capables d’encaisser des chocs que le dérèglement climatique pourra occasionner dans les années qui viennent. C'est ce qu’on montrait dans Demain, il faut que les villes deviennent productrices de légumes, qu’on ait des immenses potagers comme on en avait filmés à Détroit, qu’autour des villes on ait une multitude de fermes comme celle du Bec Hellouin, qui sont à la fois très productives et qui sont capables en même temps de climatiser, de faire revenir la bio-diversité, de séquestrer du carbone dans le sol, on en a plus que jamais besoin ! Là, si on a des problèmes d’approvisionnement, j’ai vu la Une de Télérama il y a quelques jours, qui disait qu’on avait que trois jours d’autonomie alimentaire dans les grandes métropoles, si les réseaux s’arrêtent, c’est à dire si le balais des camions, des avions, des bateaux arrête de livrer de la nourriture, on aura infiniment besoin de ce type d’organisation. Idem pour l’énergie ; on est extrêmement dépendants du pétrole, de charbon, d’uranium pour le nucléaire, de gaz, qui viennent de l’autre bout du monde. Là on voit que le pétrole est en train de s’effondrer complètement, il est même arrivé à des prix négatifs, on voit bien qu’il est au cœur, à la fois du changement climatique mais aussi des relations géo-politiques, donc le fait d’être capables, dans l’avenir de produire un maximum d’énergie renouvelable sur nos territoires, qui puisse être accessible de façon décentralisée, sans dépendre d’autres pays qui n’ont pas forcément les mêmes intérêts géo-stratégiques que nous, dans le futur ça va aussi être fondamental. Et malheureusement, pour le moment notre économie n’est pas du tout structurée de cette façon là.  

Dans sa dernière intervention, le premier ministre Édouard Philippe nous a dit que la vie d’avant n’allait pas revenir tout de suite. Vous êtes optimiste ou pessimiste ?  

J’aime bien la réponse d’Hubert Reeves qui dit, "Je ne suis ni optimiste ni pessimiste, je suis déterminé" et c’est mon cas : je ne peux pas être optimiste en me disant que tout d’un coup tout le monde va changer. Pour autant, je suis déterminé à ce qu’on soit extrêmement nombreux à engager un rapport de force. Dans l’opinion, vous m’aidez à faire passer ces idées aujourd’hui. Demain, dans la rue, si on est capables de ressortir dans les urnes, en faisant clairement comprendre aux responsables politiques que nous ne voterons plus pour eux s’ils ne prennent pas la question du changement climatique à bras le corps ! Moi, j’invite nos gouvernants à écouter les scientifiques qui nous parlent du climat, comme ils ont écouté les scientifiques qui leur parlent du Covid-19.  

On voit que des pays mentent aux autres, comme la Chine, on voit que des pays ont un réflexe de fermeture, comme l’Amérique de Trump ou la Hongrie de Viktor Orban, comment pourra-t-on amorcer le changement planétaire dans ces conditions ?  

En faisant la démonstration que c’est le contraire qui fonctionne ! Aujourd’hui, c’est parce que les scientifiques du monde entier sont capables d’échanger des informations sur le virus, de partager les résultats de leurs recherches, éventuellement de mettre des moyens en commun pour chercher des solutions qu’on va aller infiniment plus vite que jamais pour trouver un vaccin ou pour trouver une réponse sanitaire à cette crise.  

Est-ce que l’effondrement prévu par les "collapsologues" est le futur de nos enfants ? Est-ce Greta Thunberg et la jeunesse peuvent jouer un rôle ?  

Greta joue déjà un rôle ! Je regardais l’autre jour : elle a dix millions d’abonnés sur Instagram ! Elle a réussi à imposer une conversation autour du changement climatique grâce à la mobilisation des militants pour le climat et de tous les jeunes, qui est sans précédent. Et elle a raison de le faire parce que oui, comme vous le disiez, moi j’en parlais avec ma fille pas plus tard qu’hier soir... Elle me disait "Je vais pouvoir raconter à mes petits-enfants que j’ai vécu cette crise" et je lui ai répondu : "Malheureusement, ce n’est pas la dernière que tu vas vivre et ce n’est sans doute pas la plus grave". Si on se place dans la crise qu’on est en train de vivre, imaginez le confinement avec en plus de ça, une sécheresse qui empêche les agriculteurs de travailler et une canicule qui fait que rester dans un appartement est intolérable. Je ne parle même pas des EHPAD et des personnes âgées... Et tout ça, c’est juste une toute petite partie de ce que le changement climatique va nous amener comme désorganisation. On ne parle pas des territoires seront submergés, des migrants... C’est absolument indispensable aujourd’hui qu’on prépare ça, qu’on accepte de croire que ça va nous arriver.  

Votre plus grand espoir dans le monde d’après ?  

Je sais que les humains sont capables du pire mais aussi du meilleur. Maintenant c’est une question de choix. Est-ce qu’on va choisir de mettre notre intelligence, notre créativité au service de la construction d’un monde meilleur ou est-ce qu’on vas passer notre temps sur Netflix ou sur des jeux vidéo ou à faire des métiers qui n’ont pas vraiment de valeur ajoutée ce que David Graeber appelle des bullshit jobs ! Comment est-ce qu’on peut vivre, libérer notre temps, notre énergie, notre créativité pour mettre ça au service d’une humanité meilleure, c’est ça qui m’intéresse et je sais qu’on en a vraiment le potentiel.

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