Le monde d'Elodie. Annie Lévy : "Je ne pensais pas qu’un jour à Marseille, je ferais une mission humanitaire avec MSF"
Ce médecin hospitalier a initié avec Médecins sans frontières, un dépistage gratuit du Covid-19 dans les quartiers Nord de sa ville, les plus défavorisés
Elodie Suigo : Annie Lévy-Mozziconacci, vous êtes médecin, généticienne, élue municipale et métropolitaine d’opposition à Marseille. Il y a un parcours de soins inédit qui a vu le jour dans les quartiers Nord de Marseille, les quartiers défavorisés, grâce à la mise en place de deux sites de dépistage gratuit du Covid 19. Vous êtes à l’origine de cette initiative, qu’est-ce qui vous a donné envie de partir en guerre contre le Covid 19 dans les quartiers les plus défavorisés de la cité phocéenne ?
Ce sont les chiffres qui nous sont venus des quartiers défavorisés de Seine-Saint-Denis qui nous sont arrivés, avec des chiffres alarmants dûs à plusieurs facteurs de précarité. L’hôpital Nord où je travaille est situé dans les quartiers défavorisés de la ville. Dans la crise sanitaire, il a fallu monter un laboratoire Covid dans l’hôpital Nord. Il était organisé pour les soignants et pour les hospitalisés, il fallait absolument que ce laboratoire hospitalier puisse aussi répondre aux besoins des quartiers Nord et il faut savoir que, notamment à Marseille, on sort et on est encore dans une crise du logement importante, avec de l’habitat insalubre, des logements surpeuplés, puisque dans ces quartiers défavorisés, les quartiers Nord de Marseille mais également le centre ville, aujourd’hui il n’est pas rare de voir six-huit personnes dans un T2de 60 m2. Donc comment faire un confinement dans ces conditions ? Comment faire en sorte qu’on puisse isoler une personne Covid+ dans un habitat qui ne permet pas ça ? Et donc c’est la demande que nous faisons, pour dire il nous faut des solutions de transition, de logements dans des hôtels ou dans d’autres lieux pour pouvoir sortir des sujets Covid+ et les mettre en confinement, pour permettre à la famille une fois teste de pouvoir continuer à vivre sereinement.
Il y a deux sites de dépistage qui sont mis en place dans ce dispositif, qui peut se faire dépister et comment ça marche ?
C’est très simple, ils viennent, sans prendre de rendez-vous et ils sont reçus dans Despentes de Médecins sans frontières qui permettent d’orienter en fonction des symptômes vers des prélèvements, qu’ils font sur place. Les résultats sont donnés dans les cinq heures et permettent aux médecins de terrain de pouvoir faire leur traitement et prendre en charge les personnes contact. Donc, vraiment quelque chose de très court, qui surtout il faut le savoir, permet à ses populations qui ont très peu de véhicules privés, moins de 30% ont une voiture et donc se déplacent en transports en commun. Ça permet donc qu’ils ne se baladent pas dans les transports en commun et c’est vraiment un circuit très très court qu’on a proposé dans ces quartiers Nord de Marseille.
Une fois que vous avez dépisté comment ça passe ? Vous avez interpellé les pouvoirs publics pour pouvoir libérer des logements transitoires pour séparer les personnes contaminées des autres ?
Il faut qu’il y ait une volonté politique, c’est une urgence sanitaire ! Il faut absolument qu’on puisse faire un confinement de qualité et un déconfinement également de qualité. Il faut quand même se rendre compte que, dans ces quartiers, peu font du télétravail. Beaucoup sont impliqués dans la vie collective. Donc ils sont en contact avec d’autres personnes.
On voit des émeutes, marginales, mais existantes en banlieue parisienne, avec des tirs de mortier, des incendie, il y a-t-il des tensions dans les quartiers Nord de Marseille ? Avez-vous le sentiment qu’on est dans une situation explosive ?
Je ne dirais pas ça. Il faut quand même avoir en tête que ces familles ont vécu un confinement très douloureux, ce sont des familles qui sont éprouvées. Franchement, je ne pensais pas qu’un jour dans ma ville, je ferai une mission humanitaire avec Médecins sans frontières dans les quartiers Nord de la ville, au pied de l’hôpital où je travaille. Ce que je vois, vraiment, c’est l’intelligence citoyenne, de la solidarité. Là, je viens d’avoir un appel de femmes des quartiers justement, qui me disent "Nous on applaudit à 20 heures mais est-ce qu’on peut vous faire quelque chose ? Nous on sait faire des pâtisseries". Alors demain, on va nous livrer dans les deux tentes de Médecins sans frontières des gâteaux faits par les femmes et peut-être les enfants et les maris des quartiers où nous avons apporté ce parcours de soins.
Un message à faire passer aux membres du gouvernement ?
C’est qu’on manque de masques, on manque même d’écouvillons pour faire les tests à l’Assistance publique des hôpitaux de Marseille donc un vrai besoin. Mais surtout, de prendre en compte que ce déconfinement, il n’est pas qu’une gestion de stocks. Il va nécessiter un regard attentif, qualitatif et peut-être porter un regard humain à tout ce que ces quartiers, ces familles vulnérables ont vécu depuis maintenant depuis six semaines.
Vous êtes une énorme combattante sur le terrain contre ce Covid-19 dans les quartiers les plus défavorisés de la cité phocéenne, quel est votre regard sur l’après ?
Si on ne sait pas gérer le "Et après?" on n’aura pas compris : je pense que réellement notre système de santé doit être réinventé.
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