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Le monde d'Elodie. Alain Baraton : "Le premier inventeur des réseaux sociaux, c’est l’inventeur des bancs publics !"

Le jardinier en chef du Château de Versailles et écrivain se réjouit du déconfinement des jardins et des bancs publics

Article rédigé par franceinfo - Elodie Suigo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Alain Baraton, jardinier en chef du Château de Versailles et écrivain. Heureux de retrouver jardins et bancs publics. (LUDOVIC MARIN / AFP)

Elodie Suigo : Alain Baraton, vous êtes le jardinier en chef du domaine national de Trianon et du Grand parc du château de Versailles depuis 1982, mais aussi le responsable du domaine national de Marly le Roi depuis 2009. Vous êtes également l’auteur de nombreux livres sur les thèmes du jardinage des plantes de Versailles. Vous venez de publier Mes jardins de Paris aux éditions Grasset. Le mot "jardin" résonne davantage depuis quelques jours... Heureux de cette réouverture ? 

Alain Baraton : Je ne peux pas être plus heureux aujourd’hui qu’après cette décision. Le jardin, je me tue à la dire, ce n’est pas seulement un espace planté de végétaux, c’est un espace de liberté, c’est un endroit de création, c’est un endroit où il fait bon se retrouver, contempler, rêver, dormir, souffler, se reposer.. L’idée même que les jardins soient fermés, je trouvais cela un peu particulier. Ils sont rouverts, je ne peux qu’être heureux ! 

Vous démarrez ce livre avec ces quelques lignes : "J’ai la chance d’habiter l’un des plus beaux jardins du monde, celui du château de Versailles. Où que j’aille, je cherche le parc ou le jardin, non pour le juger mais pour en profiter". On sent que vous ressentez vous-même l’histoire des lieux... 

Oui, un jardin c’est un peu comme un homme, comme une femme... Comment voulez-vous aimer une personne si vous ne connaissez pas son histoire, si vous ne savez pas d’où elle vient et quels sont éventuellement les problèmes que cette personne a rencontrés. Un jardin, il vous transmet une émotion, il vous transmet une histoire. Et quand vous savez pourquoi il porte le nom de Serge Gainsbourg, de Georges Brassens, voire de Tino Rossi, cela vous attache encore davantage à ce lieu. C’est pour cela que j’aime beaucoup les jardins de Paris, parce que cela nous rappelle les personnes disparues trop tôt et c’est une occasion de se souvenir à elles. 

Vous avez les mots, vous avez la passion des plantes, des jardins, vous aimez aussi beaucoup la musique...Vous démarrez avec le square Sarah Bernhardt. C’était assez important de vous tourner vers des squares en hommage à des chanteurs, à des acteurs, à des écrivains aussi...

Ces lieux sont extraordinaires pour écouter de la musique. Faites l’expérience : il n’y a plus beaucoup aujourd’hui de jardins qui ont des petits kiosques à musique et c’est dommage ! Mais il y a encore quelques dizaines d’années, il était de bon ton le dimanche d’aller dans les jardins publics de Paris, écouter les fanfares, qui justement, montraient leur talent dans les petits kiosques à musique. Même sans musique, il y a la musique du jardin ! Vous prenez une chaise, vous vous asseyez, et vous écoutez, tantôt le bruit du vent, tantôt le gazouillis des oiseaux. Il y a toujours un son mélodieux. Même  silencieux, un jardin, il fait de la musique.

Vous nous racontez aussi notre propre histoire... Brassens était très très proche de la nature, il écrit beaucoup de chansons autour de ça... Vous parlez des lilas, du grand chêne, de la mauvaise herbe... c’est une source d’inspiration extraordinaire !

Effectivement, on salue un homme qui habitait à proximité et qui aimait les végétaux. On salue également l’homme amoureux des bancs. Rappelez-vous des paroles des Bancs publics... Donc  quand on va dans le jardin Georges Brassens, on ne peut qu’y aller en amoureux et se bécoter parce que l’endroit s’y prête véritablement... Et ce qui est merveilleux, c’est que Georges Brassens était un amoureux de la vie et que son jardin a été installé la où autrefois il n’y avait que de la mort... À l’emplacement du parc Georges Brassens, c’était des abattoirs. On y a tué très tardivement des cochons, des moutons, des chevaux, des veaux en quantité industrielle. Dans le quartier, c’était l’odeur du sang. Le bruit des sabots sur les pavés, qui devait, je crois, terrifier les amoureux des animaux comme je le suis. Et puis d’un seul coup on créée un jardin et on le dédie à Georges Brassens. Si je vous parle en même temps des bancs, c’est parce qu’aujourd’hui, on parle beaucoup des réseaux sociaux. C’est peut-être l’occasion de rappeler que le premier inventeur des réseaux sociaux, c’est l’inventeur du banc. Le banc est une des plus grandes inventions de tous les temps. C’est un lieu qui permet à plusieurs personnes de se mettre côte à côte et de converser toute la journée. Je trouve que le banc est merveilleux. On peut s’y allonger, on peut s’y bécoter et on a tout ça dans le jardin George Brassens et dans tous les autres jardins bien sûr...

Donc c’est notre histoire et c’est l’histoire aussi de l’évolution finalement de notre société. C’est le cas par exemple avec le jardin du monument aux mères françaises. Ce jardin il a une histoire extraordinaire, parce qu’il marque l’évolution de la place de la femme dans la société.

Mais complètement ! Mais quand vous pensez que ce jardin que vous venez de citer était fermé il y a encore quelques années à peine, sous prétexte que son passé n’était pas très glorieux, c’est quand même surréaliste ! À la rigueur, si un jardin déplaît de par son nom, on le débaptise. Ce jardin effectivement, a été un petit peu trop, à une époque, du côté de Pétain. Ce n’était pas forcément une raison pour l’interdire 50 ans plus tard aux visiteurs ! Et ces jardins, je pourrais vous citer l’exemple de Louise-Michel et de votre consœur Séverine, qui etait, il y a longtemps c’est vrai, une grande militante des droits de la femme. Tous ces jardins rendent hommage à des personnes parties trop tôt, a des personnes qui sont parfois mortes pour que vous puissiez vous, derrière un micro,  exprimer votre point de vue et communiquer l’information. Regardez-bien le nom des rues : on y met souvent des politiques, des militaires, on y met rarement des artistes. Parfois, ils ont droit à des ruelles, ou même des voies sans issue...

Heureux de la sortie de ce livre et de la réouverture du Château de Versailles ?

Je ne sais si, comme le dit Orsenna, André Le Nôtre était un homme heureux mais moi qui ne me prend pas pour Le Nôtre, je vous rassure, je suis très heureux !

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