"La France est un pays où j'ai appris la liberté", confie l'écrivaine cubaine Zoé Valdés
Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd’hui, la romancière, poète et scénariste cubaine, exilée en France, Zoé Valdés. Elle publie un nouveau roman "Paul" aux Editions Arthaud.
Zoé Valdés est romancière, poète et scénariste cubaine, exilée en France depuis 1995 à la suite de la publication de son ouvrage : Le néant quotidien. La raison donnée par le gouvernement : "insoumission au régime castriste". Ses romans sont directs, francs, souvent crus, violents aussi. Son franc-parler est son ADN. Le plus connu de ses livres reste : La douleur du dollar, paru en 1996.
Zoé Valdés vient de publier Paul aux Editions Arthaud. "Paul" pour Paul Gauguin. Ce roman est avant tout un portrait, le sien, du peintre incontournable qu'il était.
franceinfo : Dans Paul, vous abordez tous les travers de cet artiste "maudit". Il aimait le sexe, la morphine, la solitude, mais pas que. Pourquoi Paul Gauguin est-il aussi important pour vous ?
Zoé Valdés : Paul Gauguin est important, depuis que je suis petite, parce que la première chose que j'ai pu coller sur les murs de la chambre délabrée dans laquelle je vivais avec ma grand-mère, ma mère et ma tante, c'était une image d'un tableau de Gauguin qui s'appelle Et l'or de leur corps (1901). C'était une image qui m'a séduite et j'ai commencé à lire et à faire des recherches sur lui. J'admirais surtout son audace en tant que créateur et son désir de toujours devenir peintre. Il a été un grand banquier, richissime, et il a tout abandonné pour son art.
Vous dites les choses et parlez notamment de ses travers comme le fait qu'il aimait les très, très jeunes filles. A l'époque, on disait de lui qu'il était pédophile.
À l'époque, je ne sais pas. Aujourd'hui, oui. Aujourd'hui, on le juge comme il était.
Paul Gauguin avait une part de monstruosité qui était très importante pour son œuvre.
Zoé Valdésà franceinfo
C'est de cette monstruosité que la beauté de son œuvre est sortie et c'est ça qui est contradictoire. Mais l'art est aussi contradictoire, c'est comme ça, on ne peut rien faire.
Ça veut dire qu'il faut savoir séparer l'homme de l'artiste ?
Quand l'œuvre d'art est devant vous, je pense qu'il ne faut rien séparer. On regarde cela avec tout ce qu'il y a dedans et c'est comme ça qu'on doit le voir. Sinon, on ne pourrait pas regarder des films, pas lire de romans parce qu'on devrait toujours chercher ce qu'il y a derrière les choses racontées, si elles sont réelles, imaginées. C'est très complexe. Je pense qu'on traverse aussi une période difficile, à cause évidemment d'une certaine moralité qui est en train de se construire seulement sur la base d'une époque et pas sur la base de comment étaient les autres époques.
Etes-vous contente de cette évolution pour les femmes actuellement ?
Oui, parce que je pense qu'il y a des choses très positives, mais il y a d'autres choses dont je suis moins contente parce qu'il y a une histoire féministe qui a acquis énormément de choses et parfois chez les néo-féministes, on penche vers un côté destructeur et personnellement, ça ne me plaît pas. On a toujours lutté pour l'égalité, pas pour l'affrontement.
C'est difficile d'être libre encore aujourd'hui ?
Ah oui, de plus en plus, c'est très difficile d'être libre parce que c'est très difficile d'apprendre la liberté. Tous les jours, il y a quelque chose à apprendre de la liberté.
Est-ce que par moments, vous vous êtes sentie perdue ? Parce qu'on ressent dans l'écriture que vous vous retrouvez.
Oui, je me perds pour écrire. Toujours.
Alors, que représente l'écriture pour vous ?
C'est pour me retrouver toujours dans mon enfance, dans mon pays.
Cuba vous manque ?
Oui.
Et là, est-ce que vous allez enfin pouvoir retourner à Cuba ?
Pas pour le moment. C'est de pire en pire. Aujourd'hui, il y a même 39 mineurs en prison depuis les 11 et 12 juillet 2021, dates auxquelles le peuple est sorti dans la rue.
La situation à Cuba est encore pire, aujourd'hui. Il y a beaucoup plus de persécutions et c'est redevenu comme dans les années 70 et 80, où dire un mot comme 'liberté' est très dangereux.
Zoé Valdésà franceinfo
Je voudrais qu'on parle de La douleur du dollar qui est quand même le livre le plus emblématique que vous ayez écrit, celui qui a été le plus traduit aussi. Il représente quoi cet ouvrage pour vous ?
C'est le livre de ma mère qui était un peu folle. Elle disait toujours : "Le jour où quelqu'un va écrire le livre de ma vie, il va avoir le Prix Nobel". J'ai écrit le livre, elle l'a lu et m'a dit : "Ce n'est pas mon livre, ce n'est pas mon histoire. Qu'est-ce que tu racontes là ? Non, mais tu n'auras jamais le Prix Nobel !" Je lui ai répondu : maman, je n'écris pas pour avoir un Prix. Je l'ai écrit pour toi et elle m'a dit : "Non, mais ce n'est pas le livre que je voulais". Évidemment tout le monde idéalise sa vie et ma mère était une rêveuse. Elle idéalisait sa vie, elle était toujours comme dans un film.
Paul Gauguin s'est éteint aux Îles Marquises. Depuis que vous avez quitté Cuba, vous habitez en France. Que représente la France pour vous ?
C'est mon pays, c'est mon pays- refuge. Ça a été dur au début. Je me disais : mais ce n'est le pays dont j'avais rêvé, mais là, c'est mon pays. C'est un pays que j'aime beaucoup, c'est un pays où j'ai appris la liberté.
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