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Jean-Jacques Annaud : "Le 7e art est au cœur de ma vie, je ne fais que ça !"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Cette semaine, un invité exceptionnel, le cinéaste, Jean-Jacques Annaud. Le réalisateur de "L'Ours", "L'amant", "Le nom de la rose", "Stalingrad", ou encore "La Guerre du feu" remonte le temps avec cinq de ses films emblématiques.

Article rédigé par franceinfo - Elodie Suigo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le réalisateur Jean-Jacques Annaud le 3 décembre 2005 à Berlin avec Sean Connery, son acteur du "Nom de la rose" (MARCUS BRANDT / DDP-POOL)

Le réalisateur Jean-Jacques Annaud est l’invité exceptionnel du Monde d’Elodie toute cette semaine. Cet amoureux du Septième art et de l’Histoire revient sur ces moments d’exception vécus avant, pendant et après les tournages de ses films. À l'occasion de la sortie, le mercredi 20 juillet, en DVD, Blu-ray et Blu-ray 4K de son dernier film Notre-Dame brûle, une superproduction consacrée à l'incendie de la cathédrale, on fait un retour sur images, avec lui, sur presque 50 ans de carrière.  

franceinfo : Nous passons la semaine ensemble, ce qui nous permet d'avoir un peu de temps pour aborder certains tournages, certaines périodes de votre vie de cinéaste. Vous êtes un amoureux du septième art ?

Jean-Jacques Annaud : Oui, c'est au cœur de ma vie. Je ne fais que ça. Dès que j'ai un peu de temps libre, je regarde un film.

En 1988, vous sortez L'Ours, mais auparavant un autre de vos films a aussi connu un très beau succès, c'est Le nom de la rose. Ce dernier est né parce que L'Ours engageait énormément de travail pour élever les ours, quatre ans. Alors, vous avez décidé d'optimiser ce temps-là et vous vous êtes tourné vers cette œuvre d'Umberto Eco. Je voudrais qu'on en parle parce que ça devait être quand même assez difficile pour vous de relever ce challenge.

Je lis dans Le Monde un petit article qui parle d'un curieux succès en Italie. Ça se passe dans un monastère et je lis le truc, je tombe à la renverse en me disant : mais ce mec a écrit pour moi, ce n'est pas possible ! Et c'est comme ça que j'ai converti Umberto. Je lui ai dit : "écoutez Umberto, je ne vais pas vous forcer. Je veux que ce soit vous qui ayez envie de moi." J'avais une tante qui n'était pas tellement amoureuse de l'homme qu'elle a fini par épouser, mais tous les jours, il lui posait une rose sur le pas de sa porte et au bout d'un an, elle a craqué. Il a craqué plus vite !

Dans ce film, celui qui incarne le personnage principal, c'est Sean Connery. Il y avait un regard négatif au début sur lui en tant qu'acteur dans ce film, parce que son rôle de James Bond lui collait à la peau et parce qu'il était un peu 'has been'.

"Tous les 15 jours, l’agent de Sean Connery m'appelait. Il me disait : ’Sean voudrait te rencontrer’. Je lui répondais d'arrêter car dans ‘Le nom de la rose’, le personnage s'appelait Guillaume d'Ockham et était le grand penseur des Franciscains. Dans le livre, c'est un pastiche de Sherlock Holmes, je ne vais tout de même pas rajouter James Bond dessus !"

Jean-Jacques Annaud

à franceinfo

Je ne voulais pas rencontrer Sean Connery. J’ai résisté. Comme personne ne voulait monter le film en France, j'ai été amené à émigrer en Allemagne avec un producteur formidable, Bernd Eichinger. Et un lundi matin, Bernd arrive et me dit : "Dis donc, tu as un visiteur ce matin", c'est qui ?, "C'est Sean Connery, il vient te voir !" Bon, je ne pouvais pas refuser de le rencontrer. Quelques instants plus tard, on frappe à la porte et je me dis : mais comme il est beau ! Quelle présence incroyable ! Il a sous le bras le scénario et il commence à me lire. Et là, j'ai les poils qui se hérissent parce qu'il le dit avec le tempo, la voix, la sérénité que j'imaginais. Je cours voir mon producteur à l'étage en-dessous, je lui dis : on l'a ! Il est formidable, il est magnifique, il va faire un Guillaume d'Ockham merveilleux.

Quatre ans après L'Ours et ce succès international, vous décidez d'adapter le roman L'amant de Marguerite Duras, dans lequel l'auteure raconte sa jeunesse cachée, sa relation difficile avec sa mère et puis, effectivement, cette relation avec ce Chinois, de 21 ans son aîné. Vous allez vraiment vivre des moments tendus et difficiles avec Marguerite Duras. Elle ne va pas vous louper.

C'est pour ça que j'avais refusé le film au début, parce que Claude Berri me dit : "Chéri" (il appelait tout le monde 'Chéri'), "Dis donc, après L'Ours, tu voudrais faire quoi ?" Je lui répond : écoute, j'ai des gamines à la maison, mes filles. J'essaie de leur parler de sexualité, mais il n'y a rien à faire : "Arrête papa de dire toutes tes cochonneries, on veut manger tranquilles !"

"‘L’amant’ était une réponse à mes filles qui bottaient en touche dès que je parlais sexualité. Je leur ai dit : ‘les filles, tant pis pour vous. Je vais vous faire un film sur la sexualité des jeunes filles’."

Jean-Jacques Annaud

à franceinfo

Et Claude, un jour, arrive sur le tournage de L'Ours en me disant : "Chéri, j'ai un cadeau pour toi. Je t'ai acheté L'amant". De Duras ? T'es cinglé, je ne vais pas me taper Marguerite. Non, non, c'est hors de question. Il me dit : "Tu sais, Marguerite ne va pas bien, elle ne va pas te faire chier, elle est à l'hôpital". Et finalement, je m'engage.

Sauf que quelque temps plus tard, le téléphone sonne : "Allô, c'est Jean-Jacques ?" Oui qui est à l'appareil ? "Marguerite Duras". Elle me dit : "Alors le scénario ?" Le scénario avance très bien, je travaille avec Gérard Brach, "Non, le mien !" Comme je connaissais bien l'œuvre de Duras, je comprenais bien que c'était une tueuse. Elle disait tout le temps : "Ce sera mon film et tu feras les images", je lui rétorquais : non Marguerite. Moi, je fais le film, c'est mon film, c'est autre chose.

C'est ce que vous avez également dit à Umberto Eco ?

Mais bien sûr, parce que ce n'est pas le même objet ! Un jour, Marguerite Duras tombe, parce qu'elle lisait le scénario dans n'importe quel ordre, sur la dernière page. "Qu'est-ce que c'est que cette merde ?" Marguerite, ça c'est intégralement la fin de ton roman. "Oui, mais la fin de mon roman, c'est de la merde. Tout le monde me dit que c'est un roman de gare". C'est un roman de gare, lui dis-je, mais c'est toi qui l'as écrit, Marguerite, c'est pour ça que ça nous plaît. Et si tu ne veux pas de ces scènes, je ne fais pas le film. Donc on appelle Claude Berri et il a été décidé qu'elle me laisse faire le film à ma manière et qu'elle écrive un autre livre, qui s'appelle L'amant de la Chine du Nord dans lequel elle redit la même chose.

Vous avez refusé de lire ce livre d'ailleurs ?

Non, non, je l'ai lu. Ce qui m'intéressait c'est de savoir si elle avait gardé la fin et elle l'avait gardée.

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