"J'ai une angoisse dans la vie, c'est de m'ennuyer" : Nathalie Saint-Cricq sort un livre sur Georges Clemenceau
Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd'hui, c'est la journaliste et écrivain Nathalie Saint-Cricq.
Journaliste et éditorialiste du service politique de France Télévisions, Nathalie Saint-Cricq publie un premier roman Je vous aiderai à vivre, vous m'aiderez à mourir aux Éditions de l'Observatoire. Ce titre est un pacte entre Georges Clemenceau et Marguerite, une jeune femme mariée, de 40 ans sa cadette, à qui il faisait la cour.
franceinfo : Dans Je vous aiderai à vivre, vous m'aiderez à mourir, vous décrivez la correspondance entre Georges Clemenceau et une femme mariée. Il est difficile de définir cette relation épistolaire.
Nathalie Saint-Cricq : En fait, elle a été très malheureuse parce qu'elle a perdu une fille qui s'est suicidée. C'est une femme un peu dépressive, triste. Et lui, c'est un monsieur de plus de 80 ans. Il y a une sorte de rencontre entre les deux. Lui va être 're-amoureux' et elle 'ré-admirée' par quelqu'un, chacun va y trouver son compte et ils s'écrivent 668 lettres.
C'est un énorme coup de cœur que vous avez eu pour Clemenceau.
Oui. Pour travailler un an et demi à épuiser mon entourage, mon mari, mes enfants, mes parents. On pouvait me dire n'importe quoi, j'avais toujours une façon de le ramener à Clemenceau. J'allais chez lui, rue Franklin à Paris, devenu un musée pour m'inspirer et pour roder au milieu de ses objets.
C'est une façon aussi de réhabiliter sa mémoire par le prisme de l'amour, mais on apprend aussi beaucoup de choses sur lui. Il fût dreyfusard, abolitionniste, anticolonialiste, défendant le droit de vote des Noirs. Comment le définiriez-vous ?
Georges Clemenceau était un désobéissant majeur. Quelqu'un qui s'intéressait à tout.
Nathalie Saint-Cricqà franceinfo
S'il a été anticolonialiste, ce n'est pas pour dire le contraire de Jules Ferry, c'est parce qu'il a voyagé. Aux Indes, à Singapour, en Afrique Noire, au Japon... Et à chaque fois, il s'est intéressé à la culture des autres. Cette liberté de ton, je pense que c'est ça qui lui donne cette espèce de fraîcheur, de curiosité permanente, d'éternelle jeunesse. Et à côté de ça, dernier trait que j'adore : il était infernal, avait de l'humour et se foutait de la figure de tout le monde.
Georges Clemenceau avait toujours la phrase qu'il fallait au bon moment.
Oui, celle qu'il fallait pour faire rire, mais pas forcément au bon moment par rapport aux gens qui la subissaient. Quand il se paie les fonctionnaires en disant : "Messieurs les fonctionnaires sont priés de ne pas partir avant d'être arrivés", on peut imaginer que les fonctionnaires en question ne sont pas hilares.
Vous parlez d'un homme de caractère à travers cette histoire d'amour. Vous aimez les gens de caractère ?
J'ai une angoisse dans la vie, c'est de m'ennuyer. Je préfère encore m'engueuler avec quelqu'un ou ne pas être d'accord, plutôt que d'être en face de ramollis. Il se trouve que j'ai eu un père, un grand-père, une grand-mère et une mère pas ramollis du tout ! On continue à s'engueuler, à se parler, à n'être pas d'accord et donc, j'aime bien ça, ce n'est pas grave.
Que gardez-vous de vos parents, de ce qu'ils vous ont le plus transmis ?
Je pense que c'est la politique. On ne parlait que de ça chez moi. Mais pas que de la politique contemporaine. Je me sens très peu éloignée des gens de la IIIe ou de la IVe République, j'ai aussi été initiée à ça par mes deux parents, mes grands-parents. Et malheureusement, je pense l'avoir infligé à mes enfants.
C'est un truc pas très rationnel d'aimer la politique.
Nathalie Saint-Cricqà franceinfo
On sait à quel point c'est un milieu où il y a beaucoup d'hommes. À vos débuts, il n'y avait pas tant de femmes que cela.
Il y a eu des grandes journalistes comme Michèle Cotta, Catherine Nay, Anne Sinclair, Christine Clerc, Jacqueline Baudrier. Pour l'anniversaire des présidentielles du 10 mai 1981, je cherchais des femmes pour faire des plateaux et je calculais le nombre de ministres qu'il y avait eu sous François Mitterrand, même le premier gouvernement. C'était très faible, on en trouvait très peu. Je n'ai pas eu de problème, j'ai plutôt été favorisée, je n'ai pas eu à me battre spécialement. Ce qui est plus difficile à la télévision, c'est de vieillir, c'est-à-dire quand on vous fait des réflexions du genre : "Vincent Auriol, tu l'as bien connu ?" ou encore "C'est normal, tu fais Clemenceau, c'est quand tu as commencé à travailler". Ça, ce n'est pas terrible.
Dans les dates importantes de votre carrière, c'est en 2012 que vous succédez à Fabien Namias en tant que responsable politique de France 2. Vous y avez grandi. Qu'en avez-vous gardé ?
D'abord, j'ai dû gérer un service qui n'était pas spécialement adapté à ce genre de choses. Je n'étais pas une malade d'antenne. J'ai quand même réussi à passer 45 ans sans passer à la télé. En général, on ne vous met pas à l'antenne passé 45 ans, on le fait plutôt avant.
Pourquoi tout ce temps ?
Parce que je n'aimais pas ça. Après, quand on vous le propose, vous ne pouvez pas dire : "non, je ne veux pas du tout". Mais je n'ai jamais cherché à être vue à la télé. Ce n'est pas le truc qui me passionne le plus.
Quand on parle de Nathalie Saint-Cricq, on pense à une date aussi, celle d'un débat le 3 mai 2017 entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Vous avez vécu des moments très forts au cours de votre carrière, lequel vous a le plus marqué ?
C'est ce débat, sans aucun doute. Pas tant par la performance, parce que c'était quand même une non-performance de poser des questions à des gens qui répondaient à côté et qui s'en foutaient de toute façon. Mais c'est en termes de stress. C'est juste regardé par 15-17 millions de téléspectateurs ! Si on se rate, on peut se choper la honte pendant un certain temps.
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