Gilles de Maistre, réalisateur du film "Le dernier Jaguar" : "Ça ne sert pas à grand-chose d'être alarmiste, il vaut mieux être constructif"
Gilles de Maistre est réalisateur, auteur, documentariste, globe-trotteur et producteur de cinéma. Son documentaire, J'ai 12 ans et je fais la guerre, lui a valu le prix Albert-Londres de l'audiovisuel en 1990, ainsi que le prix du meilleur documentaire aux Emmy Awards. En 2001, son film : Féroce a fait couler beaucoup d'encre puisque Jean-Marie Le Pen a porté plainte contre lui. Des procès que l’homme politique a perdus. Il a aussi réalisé, en 2007, le documentaire, Le Premier Cri dans lequel il suivait les grossesses de dix femmes provenant de cultures différentes.
Après Mia et le Lion blanc, en 2018 et Le loup et le lion en 2021, Gilles de Maistre revient avec un nouveau film, Le Dernier Jaguar.
franceinfo : Dans votre film, vous racontez l'histoire d'une amitié entre une petite fille et un jaguar. Il y a effectivement une histoire d'amitié, mais il y a aussi une envie de tirer la sonnette d'alarme intelligemment en disant : "Attention, tout ce que vous voyez, il faut le préserver".
Gilles de Maistre : Effectivement, au début de ma carrière, j'ai réalisé beaucoup de films pour dénoncer et puis je me suis aperçu que ce n'était pas forcément le bon moyen pour convaincre les gens. Donc là, il y a la forêt amazonienne et cette petite fille qui va sauver son jaguar. On montre que cette forêt est belle, que ce jaguar est magnifique, que tout ça vaut la peine d'être préservé, en fait. Je pense que ça, ça fonctionne beaucoup mieux que de dénoncer. Parler aux enfants, parler aux familles, c'est un peu ce que j'essaie de faire avec mes enfants d'abord, puis au-delà si ça peut le faire.
"C’est plutôt en montrant la beauté des choses qu'on peut ouvrir une porte pour comprendre les problématiques du monde."
Gilles de Maistreà franceinfo
Au départ, dans votre parcours, il y a la philosophie. Ensuite, vous avez été reporter d'images. À quel moment avez-vous eu envie de basculer du côté de l'image, de raconter des histoires ? Pas les vôtres, mais celles des autres.
Moi, quand j'étais petit, j'étais nul à l'école, j'ai redoublé trois fois, j’étais incapable de composer une rédaction ou d'écrire. L'écrit a été pour moi l'horreur absolue et l'humiliation à l'école. Évidemment, l'image pour moi était comme un moyen de me sauver parce qu’elle me paraissait facile. Quand j'ai fait mon école de journalisme, ils m'ont proposé de basculer sur le côté caméra et ça a emporté ma vie. Et j'ai fait le tour du monde avec ma caméra sur le dos, tout seul. Je suis toujours dans cette curiosité, cette connexion sur les gens, sur la sincérité, l'authenticité. Je pense que ce n'est qu'avec des choses sincères qu'on peut parler aux gens.
Comment avez-vous vécu la sortie de : J'ai 12 ans et je fais la guerre, en 1990 avec tout le succès qu’il a engendré, tous les prix que vous avez reçus ?
Oui, c'est vrai que j'étais un jeune journaliste qui avait fait ça tout seul avec sa caméra. J'avais couru le monde pendant un an pour raconter les enfants qui font la guerre. Après, je l'ai pris vraiment très naturellement parce que je n'ai pas compris le succès, je ne l'ai pas vraiment vécu, ça a été un bouleversement. Ces prix permettent de faire d'autres choses. Mais c'est tellement loin, c'est une autre vie pour moi. Les prix, tout ça maintenant, c'est derrière moi.
"Moi ce qui me plaît, c'est de convaincre un enfant, de voir que ses yeux brillent après la projection d'un film et que ça plante des petites graines."
Gilles de Maistreà franceinfo
Il y a eu une bascule avec Le Premier Cri, on a senti que vous changiez de positionnement. C'est-à-dire que vous n'étiez plus contre, mais pour. Avez-vous ressenti ce tournant ?
C'est vrai que c'était une manière de raconter le monde à travers le prisme des naissances, puisque je suis allé dans dix pays, un peu partout, dans les tribus Massaï, au Japon, au Vietnam, dans la plus grosse maternité du monde. Et toutes ces naissances, ces milliers de naissances que j'ai pu filmer racontaient toutes les inégalités, toutes les différences, mais aussi le fait qu'une maman, qu'elle soit au fin fond du désert ou au fin fond de la forêt amazonienne, eh bien, une maman, c'est toujours une maman qui regarde son bébé. Et c'est vrai que ça m'a fait comprendre à quel point, on était plus forts en parlant des émotions et du pouvoir de changer les choses qu'ont les gens plutôt que de dire que tout est noir et que tout est foutu.
Avec Le Dernier Jaguar, on est effectivement dans une source d'espoir incommensurable. Des messages sont envoyés, notamment sur le trafic d'animaux. On est très peu à soupçonner son ampleur et vous soulignez cela énormément.
Le trafic des animaux est devenu le troisième trafic le plus lucratif au monde, surtout en Amazonie où on massacre évidemment la faune, la flore, on détruit complètement l’équilibre naturel qu'il y a entre les prédateurs et les proies. Et ça fait souffrir les populations locales qui sont presque esclavagisées par ce phénomène-là et qui vont prendre des animaux pour les vendre parce que ça leur rapporte de l'argent. Enfin, tout ça est devenu complètement fou.
Est-ce que les nouvelles générations ont les clés en main pour faire basculer tout ça ?
Moi, je suis très optimiste, j'en suis sûr. C'est vrai que les gens sont saoulés par ces messages alarmistes. Ça ne sert pas à grand-chose d'être alarmiste, il vaut mieux être constructif. Mais je pense que cette nouvelle génération a vraiment conscience de ces dangers-là. Et on voit bien que maintenant il y a de plus en plus d'enfants qui deviennent végétariens, des enfants qui essayent de changer les choses, qui s'occupent des animaux. L'effet colibri fait que chacun peut faire un tout petit truc, ça peut juste être : ramasser des mégots de la plage, c'est déjà un geste pour la planète. Et puis d'autres vont aller sauver un jaguar, certains vont monter une association, protéger les dauphins, chacun avec ses capacités et sa volonté. Si on est des millions à le faire, ça sera facile de sauver le monde.
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