Cinéma : "Le théâtre m'a permis de me convaincre que j'étais acteur", confie Benoît Poelvoorde
Benoît Poelvoorde, c'est 30 ans de carrière, 30 ans à nous fait rire ou pleurer souvent aussi de rire. 30 ans qu'il nous accompagne à travers des rôles toujours, non pas joués ni interprétés, mais souvent incarnés et habités. La révélation a eu lieu avec le film culte belge, C'est arrivé près de chez vous en 1992 et puis il y a eu la série Les Carnets de monsieur Manatane, le film Les Randonneurs de Philippe Harel (1997) avec plus d'un million et demi d'entrées au cinéma. Impossible de ne pas citer aussi Le vélo de Ghislain Lambert (2001), Le boulet d'Alain Berberian et Frédéric Forestier en 2002, Podium de Yann Moix en 2004, ou encore Adieu Paris d'Édouard Baer (2021).
Ce mercredi 5 avril 2023, il est à l'affiche du film Normale d'Olivier Babinet. Ce film raconte l'adolescence avec toute sa force et sa fragilité, à travers Lucie, 15 ans, qui a une imagination débordante, nécessaire, presque vitale, car elle doit s'occuper de son père qu'il incarne. Un père veuf atteint de la sclérose en plaques. Entretien.
franceinfo : Normale est un film qui oblige, finalement, à nous replonger adolescents. Ça vous a fait cet effet là ou pas ?
Benoît Poelvoorde : C'est un film dont je ne suis pas le héros parce que c'est une petite fille à qui on va presque enlever son enfance puisqu'elle doit s'occuper d'un père qui n'est plus en état de le faire lui-même et qui est malade. Alors je rassure nos auditeurs, ça n'est pas trop triste, au contraire. C'est justement une famille qui arrive à tenir le coup, et ce, malgré les coups du sort et la maladie. Et Olivier Babinet, le réalisateur de ce film, a une sorte de vision assez généreuse, et même parfois naïve d'un monde, mais cohérente. Il assume ses choix et c'est toujours gai pour un acteur de tourner avec quelqu'un qui assume ce qu'il choisit de faire.
Quand on regarde ce film, on se rend compte de votre fragilité. Le réalisateur a dit justement qu'il avait eu du mal à aller la chercher parce que vous résistiez !
Ah bon ?
Vous avez ce sentiment-là ou pas ? Que c'est difficile de montrer votre fragilité, de l'assumer.
Vous ne vous en rendez pas compte. C'est pour ça que je ne vais jamais me voir au combo, le combo, c'est l'écran qui permet au réalisateur de revoir sa prise ou même de regarder la prise pendant que vous tournez. Et je déteste me revoir. Et encore plus au cinéma ! Pourquoi ? Parce que quand on vous dit que quelque chose est bien, mais que vous avez laissé passer quelque chose, si vous allez revoir la prise, eh bien vous allez essayer de le refaire et ça ne sera jamais aussi bien. Donc il vaut mieux ne pas savoir comment vous l'avez fait. Et je dois bien vous avouer que quand je l'ai vu, j'ai pleuré. J'ai pleuré avec la petite et j'ai pleuré avec moi en me regardant parler avec mon enfant.
Pourquoi cela vous a-t-il mis dans cet état-là ?
J'étais fier de moi. Après, je me suis dit que c'était un peu le début de la sénilité quand on commence à pleurer de soi pour toutes ces histoires. Mais non, après, j'ai positivé mes larmes et je me suis dit : bah non, c'est que je me suis détaché de moi-même.
Vous incarnez à l'écran le rôle d'un père. Vous n'êtes pas papa, en revanche, vous avez été le "fils de". Ce père est mort alors que vous aviez 12 ans, donc évidemment, derrière, c'était assez compliqué parce que la vie change. Comment, vous, adolescent, vous avez réussi à repousser vos démons ?
C'est assez compliqué d'imaginer l'idée de mourir. On reste dans le déni une grande période. Et puis après on cherche des raisons de ne pas être si triste.
J'ai une phrase quand je pense à mon père et à son départ, c'est ma mère qui a dit : ‘Je vais vous aimer pour deux’. Après elle l'a fait.
Benoït Poelvoordeà franceinfo
Vous gardez quoi de votre père ?
Il avait l'art de faire beaucoup de fêtes, alors que le jour ne s'y prêtait pas. Je pense que mon père m'a appris à dire : je ne vois pas pourquoi on devrait davantage boire un vendredi qu'un lundi.
Le théâtre, c'est aussi ce qui vous a permis d'aller bien, de vous construire en tant qu'homme, de reconstruire une autre famille...
Non, le théâtre m'a permis de me convaincre que j'étais acteur. On m'a très vite expliqué que j'étais un acteur génial. On me disait un mélange entre De Niro et Raymond Goethals qui était un entraîneur belge de football. Et donc j'ai dit : d'accord ! J'ai fait le tour du monde avec C'est arrivé près de chez vous, on a été acheté dans 27 pays, je découvrais même l'avion pour la première fois, eh bien lorsque la promotion a été finie, il fallait bien faire quelque chose. Je ne savais pas très bien quoi faire donc j'ai fait du théâtre. J'en ai fait pour me convaincre que j'étais capable de jouer devant des gens, je voulais vraiment être acteur et ce qu'il y a de plus difficile, c'est le théâtre. Et donc, à partir de là, ma carrière a démarré.
A quel âge vous êtes vous fait confiance ?
Avant d'être acteur, j'étais déjà une personne, pour ne pas dire double, mais qui partageait une facette exubérante et une facette dépressive. Et à la question quand j'ai trouvé l'équilibre, alors je dirais vers 50 ans, j'en ai 58.
"Vous savez quel était mon totem quand j'étais scout ? Ouistiti toboggan parce que tu fais tout le temps le singe et toboggan parce que j'avais des hauts et des bas. Tout était dit dans mon totem."
Benoît Poelvoordeà franceinfo
Je me posais aussi la question de savoir par rapport au titre Normale, ce que vous pensiez du mot 'normal'.
En général, ce sont des mots qui font peur. C'est un peu comme les médecins qui détestent qu'on dise 'fou'. Mais après, le problème de notre société, c'est qu'elle se radicalise de plus en plus et que la norme finit par devenir très établie, très courte, très petite. Pour moi, normal, ça ne veut rien dire.
Pour terminer, vous êtes un homme heureux ?
Je suis très heureux. Je touche du bois aujourd'hui et davantage après avoir fait cet entretien.
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