Bernard Lavilliers évoque son tube "Noir et Blanc" sur fond d’apartheid et de dictatures
Bernard Lavilliers est l’invité exceptionnel du Monde d'Élodie toute cette semaine. L'occasion de revenir sur cinq moments forts de sa vie avec cinq chansons de son répertoire. Bernard Lavilliers, auteur prolifique, compositeur et interprète depuis 1965, n'a jamais cessé de nous faire voyager en mélangeant le rock, le reggae, la salsa, la bossa-nova et la chanson française. Fensch Vallée (1976), La Samba (1975), Saint-Étienne (1975), Stand The Ghetto (1980), Kingston (1980), Idées noires (1983) ou encore On the Road Again (1988) autant de chansons devenues pour la plupart des hymnes, la parole de celles et ceux qui ne se faisaient pas et ne se font pas entendre, un arrêt sur image sur certains conflits ou périodes difficiles.
En novembre dernier, le Stéphanois à la voix et au phrasé si emblématiques, sortait un album : Métamorphose et un livre : Écrire sur place aux Éditions des Équateurs. Il sera en concert fin septembre.
franceinfo : En 1979 avec votre album O Gringo, vous signez des textes forts qui font mouche. Cet album est l'un de vos plus célèbres. C'est celui de la reconnaissance musicale et du succès finalement. Comment avez-vous vécu cette période ?
Bernard Lavilliers : Je ne m'en suis pas rendu compte parce que simplement par mon instinct, je m'étais dit : je vais faire deux titres par pays, un rapide et un long. J'ai commencé en Jamaïque et comme cela a plu à la maison de disques, ils m'ont financé le reste et après je suis allé à New York, puis au Brésil. J'ai fait un titre d'une musique très étrange du Nordeste et une musique de Rio, une bossa-nova. Et quand je suis rentré en France, j'ai repris : Est-ce ainsi que les hommes vivent d'Aragon et de Ferré et j'ai écrit Attention fragile.
Les années 80 ont vraiment été une période de création très intense, de concerts très intenses, de voyages très forts, très puissants. On sent que cette période est ancrée en vous.
J'écrivais beaucoup d'albums, presque un album par an. Disons, tous les ans et demi. C'est une période très étrange parce qu'au fond, je commence à devenir célèbre. Mais énormément. Je ne m'attendais pas du tout au succès.
"Face au succès, j'ai pris mes distances, surtout qu’à l’époque, j'avais changé de femme. J'étais avec la championne du monde de bodybuilding, en Californie, donc là, on était des oiseaux rares."
Bernard Lavilliersà franceinfo
Vous avez épousé une championne de bodybuilding californienne ?
Oui parce qu'elle m'a demandé de l'épouser.
C'est de là que sont nés Night Bird et l’album Nuit d'amour.
Oui. Là-bas, à Los Angeles, elle connaissait le patron du Village Recorders. Elle connaissait Marlon Brando. Ce n'était pas une gonzesse qui faisait uniquement de la musculation ! C'était une intellectuelle. Très intellectuelle, sans doute plus que moi. J'ai appris beaucoup de choses sur la photo, sur l'art plastique, choses qu'on n'étudie pas assez en France. Ailleurs en Europe, ils sont plus calés que nous en arts plastiques. Maintenant ça va mieux, mais à l'époque je fermais ma bouche parce que je ne connaissais pas grand-chose.
Vous n'avez pas fermé votre bouche très longtemps parce qu'il y a eu État d'urgence en 1983. C'était un retour très noir, très marquant. Il est nostalgique. Vous livrez une humeur assez triste, rehaussée par un son très rock. D'où viennent ces idées noires à ce moment-là ?
Je ne sais pas, c'est une invention. Je ne suis pas un dépressif donc... Enfin si, sans doute par moments, enfin je ne vais pas commencer à faire de la psychanalyse de pizzeria.
"Mais c'est un gag cette chanson ‘Idées noires’, il ne faut pas prendre ça au sérieux."
Bernrad Lavilliersà franceinfo
À suivre aussi ?
Non ! Oui, il y a un deuxième degré. Dans mes voyages, par exemple, quand j'allais à Las Vegas, Lisa avait des oncles juifs associés à des mafieux. Le début de la chanson qui s'appelle Vegas, c'est : "Assise en plein soleil. Au milieu du désert. À Vegas à midi. Sous les grands néons verts. Blonde comme Marilyn. Mais noire à la racine", vous voyez bien que ce n'est pas sérieux !
Vous allez très vite avoir besoin de repartir. Ça se ressent à travers l'album Voleur de feu en 1986. Et j'ai l'impression que c'est sans conteste l'album qui vous définit le mieux avec les voyages, l'engagement, les combats auprès des plus démunis, les plus travailleurs.
Dans Voleur de feu, il y a déjà Noir et Blanc.
Je voudrais qu'on parle de cette chanson qui est extraordinaire. C'est l'apartheid avec la voix de Nzongo Soul.
Mandela est encore en prison quand j'écris ça. Ça fait au moins 20 ans qu'il est en prison. Aux États-Unis, il y a la même chose, si on veut. S'il n'y a pas un apartheid physique, il y a un apartheid mental et moral. Alors que Nelson Mandela, la prison, longtemps exclu... Pas mort ! Je ne sais pas pourquoi ils ne l'ont pas tué d'ailleurs, ils n'ont peut-être pas osé ou alors l'opinion internationale parfois compte. Il y avait quand même pas mal de gens qui n'étaient pas d'accord avec l'Afrique du Sud. Mandela, c'était aussi l'enfermement de la liberté d'expression et donc j'ai mélangé un ami brésilien qui s'est fait casser les mains par la Gestapo des militaires brésiliens parce qu'il ne devait plus chanter cette chanson. J'ai mélangé le poète, le chanteur ou la chanteuse, qui ne peut plus chanter une chanson qui dérange le militaire et Mandela. Au fond, c'est un mélange des deux. Et après je dis : "La musique a parfois des accords majeurs. Qui font rire les enfants mais pas les dictateurs".
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