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Avec "Le Journal de Paris", Édouard Baer assume son art du mélange des genres : "On vient voir des fous quand on va au théâtre !"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd’hui, le comédien, auteur et homme de radio et de télévision, Édouard Baer. Jusqu'au 12 juin 2023, il est sur scène avec "Le Journal de Paris" au Théâtre Libre à Paris.
Article rédigé par franceinfo - Elodie Suigo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 2 min
Edouard Baer à Arles (Bouches-du-Rhône) le 14 janvier 2022 (REY JEROME / MAXPPP)

Édouard Baer est un artiste pluridisciplinaire, un touche-à-tout amoureux de la vie qui évolue à l'instinct, à l'envie, habité par la passion des planches et des mots, avec comme principale exigence que les émotions soient justes et vraies. Au centre de sa vie, des rencontres, des paris fous, des éclats de rire, des joies, des peines et le doute, toujours un petit peu là quelque part.

Jusqu'au 12 juin 2023, il est sur scène avec son cabaret théâtral, Le Journal de Paris, au Théâtre Libre à Paris.

franceinfo : Le journal de Paris est un spectacle construit comme une revue d'un soir avec sur scène des artistes et des gens que vous avez parfois croisés dans la rue. Il y a de la danse, de la musique, du chant, de l'autodérision, de l'humour et cet œil qui frise, qui traduit un amusement sans fin. Ce spectacle n'est-il pas un cri de liberté ?

Édouard Baer : C'est la liberté que donnent aussi les spectateurs si eux, adhèrent. On est libres si les gens sont avec nous et si on a aussi peu de besoins. Il faut essayer d'avoir peu de besoins, moi j'ai beaucoup de besoins ! Mais les gens sont prêts à ça. Je me suis aperçu, en faisant Les Élucubrations d'un homme soudain touché par la grâce, qu'on n'est plus obligés de dire : "Attention, ça va être un sketch ou bien ça va être vraiment du cirque ou ça va être vraiment une pièce sérieuse". On accepte, comme dans la vie, de pouvoir se balader de l'un à l'autre. C'est l'époque qui veut ça aussi. Le fait qu'on soit déconcentrés, ça a beaucoup d'inconvénients mais il y a un agrément, c'est qu'on peut passer très vite à autre chose.

Vous le racontez d'ailleurs très souvent quand vous montez sur scène, vous aimez le fait de transmettre. J'ai l'impression que votre père vous a donné cela, très jeune. C'est-à-dire que c'était un fervent gaulliste, il a traversé les Pyrénées à pied, il a été emprisonné en Espagne, il a fait la guerre. Finalement, il y a toujours eu cette espèce de culpabilité : Que dois-je faire de ce que j'ai reçu ? N'est-ce pas aussi cela qui vous habite aujourd'hui et vous donne envie de monter sur scène ?

Oui. Quel que soit le milieu d'où vous veniez, pendant la guerre, c'était un brassage fou. Modiano parle de ça très bien. Tout à coup, on se retrouve à fraterniser avec des gens d'autres milieux parce que l'héroïsme est partout, la lâcheté est aussi partout. Peut-être que mon père m'a transmis ce truc-là, ce goût des rencontres. Quand il marchait dans la rue, il parlait à quelqu'un, il faisait les poubelles alors que ma mère était effrayée parce qu'il cherchait des petits objets. Il venait d'un milieu plutôt bourgeois, comme on disait, mais son meilleur pote était le réparateur de porcelaine qui était en bas. Il y avait des brocanteurs, des gens assez extravagants.Si on ne veut pas rester fixe dans ce qui nous a été alloué sur terre, notre coin, notre milieu, notre famille, des gens qui nous ressemblent, du même âge, avec les mêmes vies que nous, il faut essayer d'échapper à ça.

C'est ça qu'on découvre sur scène. C'est qu'il y a des personnes qui viennent de milieux complètement différents et en même temps, il y a cet esprit de collectif, de troupe, comme l'envisageait Molière quand il a créé effectivement son illustre troupe. Vous avez du sang de Jean-Baptiste Poquelin qui coule dans vos veines ou pas ?

Vous y allez fort ! Le type qui dit : "Oui, oui, je suis vraiment le nouveau Molière !" Non, mais j'adore le film Molière d'Ariane Mnouchkine. C'était sur les tournées, les comédiens qui arrivaient en ville. On voyait des charrettes, des types dont on ne savait pas s'ils étaient des princes ou des clodos. Puis ils arrivaient et les tréteaux étaient montés. C'est une petite vie qui se met en route, qui naît le matin et qui meurt le soir, où parfois le contraire, on commence mort et on ressuscite sur scène. Et la vie arrive dans une petite ville. Il y a plein de numéros différents, de jeux, d'acteurs, de chanteuses, de ce qu'on veut et quand arrive le moment des saluts, je trouve merveilleux d'entendre : "Ah mais il y avait un type de cet âge-là, un noir, un jaune, un vert, un bleu".

"Quand on joue au théâtre, ce qui est formidable, c'est de prendre les gens. Ils arrivent tous individuellement et ensuite ils font public. Et quand on arrive à transformer la salle, c'est-à-dire un couple, quelqu'un qui est venu seul, eh bien de faire une unité de tout ça, c'est une réussite du spectacle."

Édouard Baer

à franceinfo

Comment vivez-vous cette sensibilité à fleur de peau ?

On vient voir des fous quand on va au théâtre. On vient voir des cinglés, des gens qui vont plus mal que nous ! Je crois aussi que c'est un peu le principe dans nos métiers, on affiche le spectacle de folie, de narcissisme ou d'extra sensibilité. Donc c'est un remède. Il faut juste ne pas prendre le public en otage. Il faut que ça soit surtout joyeux et intéressant pour eux.

Votre étincelle à vous a toujours été l'improvisation.

Les très grands acteurs de théâtre, même s'ils disent le texte mot à mot, improvisent parce qu'il faut repartir de zéro. Si vous récitez, que vous êtes dans votre place à dire le texte proprement, ça se sent et on se fait chier comme spectateurs. Pour moi, le génie des acteurs, des actrices qui disent le texte, c'est qu'ils donnent l'impression qu'ils l'inventent sur le moment. Ils improvisent parce qu'ils reviennent à l'essence de ce qu'ils ressentent, du sentiment. C'est peut-être encore plus difficile que de juste d'improviser des mots.

Je voudrais qu'on parle de la chanson de Bourvil, La tendresse, une chanson qui raconte la gloire face à la tendresse. Que représente l'amour que vous porte le public depuis tant d'années ? 

Que les gens se déplacent pour vous, c'est dément. On a beau vous dire si votre film a fait 4,5 de PDM à la télé ou je ne sais combien de vues sur internet, c'est très abstrait. Si vous êtes dans une salle de cinéma et encore plus dans une salle de théâtre, sortir de chez soi, c'est dément aujourd'hui ! Vous appuyez sur 12 boutons, le monde est là, en images, il y a à boire et à manger, il y a ce qu'on veut et c'est touchant. C'est une responsabilité aussi, ça, et ça fout le trac.

En tout cas, c'est sûr que la gloire est moins importante pour vous que la tendresse.

"Il vaut mieux être un acteur de proximité pour qu'on puisse continuer à prendre langue avec les gens qu'on croise."

Édouard Baer

à franceinfo

Je ne suis pas l'ennemi de la gloire. Vous croyez que je suis un type extrêmement modeste... Il vaut mieux être Jean Carmet qu'Alain Delon, d'une certaine façon. Il vaut mieux ne pas faire peur aux gens. C'est sûr que si on est Marilyn Monroe, on est très seul dans son grand château.

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