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Amoureux fou de sa mère, habitué de la marge et des provocations, odieux et absolument misogyne : Baudelaire vu et raconté par Jean Teulé

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd'hui, le romancier et auteur de bandes dessinées Jean Teulé pour son nouveau livre "Crénom, Baudelaire !" aux éditions Mialet Barrault.

Article rédigé par franceinfo - Elodie Suigo
Radio France
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Temps de lecture : 6min
L'écrivain Jean Teulé à Metz le 12 avril 2018 (PASCAL BROCARD / MAXPPP)

Jean Teulé, après s’être attaqué à Rimbaud, Verlaine, Charles IX, ou au marquis de Montespan, se concentre sur Charles Baudelaire et ses Fleurs du mal qui ont changé le destin de la poésie française. Il avoue au micro d’Elodie Suigo que les fortes personnalités l’ont toujours fasciné : "Oui, j’aime bien les gens spéciaux. Sur qui il y a des choses à raconter".

Crénom, Baudelaire ! nous invite donc à mieux connaître la vie de ce poète constamment tiraillé entre le meilleur et le pire de ce qui constitue l’être humain, jusqu’à l’autodestruction. Il nous permet de comprendre la genèse de certains de ses poèmes, comme l’explique Jean Teulé : "Je voulais aussi, pour certains poèmes, raconter un peu comment on en était arrivé aux poèmes, pour qu’on les comprenne mieux".

Un amour démesuré pour sa mère

Dans cet ouvrage, on grandit donc avec Baudelaire et l’écrivain jette les bases de sa personnalité profonde en évoquant sa relation avec sa mère, pour qui, il éprouve un amour fou, à la limite du malsain : "À 5 ans, Baudelaire aimait sa mère d’une façon très bizarre. À tel point que quand elle partait pour faire des courses, il était tellement en manque d’elle qu’il allait fourrer sa tête dans le panier de linge sale pour respirer le linge sale de sa mère, comme un drogué en manque". Son père, quant à lui, décède à cette époque, ce qui réjouit l’enfant qui n’a plus à partager sa mère. Jean Teulé raconte que cette symbiose rêvée par le petit Charles tourne court puisqu’elle se remarie 19 mois plus tard : "Et ça, ça a été sa blessure fondamentale. Et du jour au lendemain, il s’est mis à devenir absolument misogyne, il était d’une rare violence".

Cette souffrance du petit Baudelaire émeut Jean Teulé, d'autant plus que cette cassure aura de lourdes conséquences sur sa vie d’homme : "C’est en cela qu’il devient touchant et bouleversant et envoûtant."

Il était odieux avec tout le monde mais il ne se supportait pas lui-même.

Jean Teulé

à franceinfo

Baudelaire entretiendra toute sa vie des rapports étranges avec sa génitrice, valsant entre un amour inconditionnel réciproque et parfois se retrouvant face à une forme d’intransigeance maternelle, incompréhensible et quelque peu destructrice : "Il a voulu lui donner un exemplaire de la première édition des Fleurs du mal, elle l’a refusé en disant : 'Je ne veux pas d’un livre qui a été condamné par la justice'," dit Jean Teulé.

Même après la mort du poète, lorsque des artistes offrent de faire faire une statue à son effigie, c’est une fin de non-recevoir : "Mon fils n’est pas un exemple pour la jeunesse". Deux êtres qui s’aiment profondément sans se comprendre : ce schéma influence fortement ses relations avec la gent féminine. "Il a toujours eu un rapport bizarre avec les femmes", explique Jean Teulé.

Le goût de la provocation

Baudelaire se met en quête de l’originalité et le formule très bien lui-même : "J’idolâtre le mystère de la laideur, la soif de l’inconnu et le goût de l’horrible m’inspirent." C’est un homme constamment à la marge : "Il préférait les femmes laides ou bizarres ou étonnantes", confirme Jean Teulé. La preuve : Baudelaire tombe amoureux de Jeanne Duval, une femme atypique qui convient parfaitement à l’énergumène déjanté qu’il s’applique à être : "Alors qu’il mesurait 1,65 m, Jeanne Duval mesurait 1,84 m et était presque noire, à une époque où il y avait encore l’esclavage en France. Ça faisait partie de son côté 'provoc' de se balader avec cette sorte de drag queen qu’il aimait exhiber parce que ça choquait tout le monde. Il se teignait les cheveux en vert, mettait des perruques bleues."

Il fallait qu’il soit comme ça, en provoc’ continuellement.

Jean Teulé, à propos de Baudelaire

Jean Teulé est peut-être aussi indomptable que le poète mais en phase avec ses choix de vie : "Je suis moins pénible que lui. C’est devenu ma vie d’écrire et je suis très solitaire. Du coup ce n’est pas du tout une souffrance de passer un an et demi sur un livre. Ça me va parfaitement."

Avant de se consacrer à l’écriture, il est auteur de bandes dessinées. Il met fin à l’aventure en 1990 au Festival d’Angoulême en recevant un prix spécial du jury "pour contribution exceptionnelle au renouvellement du genre de la bande dessinée. Quand on m’a donné ce truc-là, j’ai cru que j’étais mort. Le lendemain j’ai arrêté la bande dessinée."

"On m'a tendu la main et j'ai su la prendre"

Il écrit donc sur les autres et on en sait peu sur lui. Il confie avoir été enfant plutôt gentil, un peu différent : "D'ailleurs à l’école primaire j’étais en classe avec Jean-Paul Gaultier. Et tous les deux, on se sentait différents des autres enfants (…) C’est comme si on savait qu’on allait se débrouiller et que ça allait bien se passer et qu’on allait tracer notre route." Il a su saisir les balles au bond : "J’ai eu beaucoup de chance. La qualité que je me reconnais au moins c’est que, quand on m’a tendu la main, j’ai su la prendre", contrairement peut-être à Baudelaire : "Baudelaire est illustre et inconnu et avec le roman, j’ai eu envie de raconter l’histoire de ce mec. Et beaucoup de gens me disent : 'Mais je ne savais pas qu’il avait eu une vie comme ça' !"    

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