Vente de Biogaran : "Nous risquons d'être balayés de la production pharmaceutique si nous ne nous réveillons pas", prévient un économiste de la santé

Frédéric Bizard, président de l’Institut Santé, parle d'"un scénario cauchemar". "Pas de visibilité à long terme", "une taxation qui marche sur la tête", "une régulation comptable", une bureaucratie trop lente... Il dénonce l'absence de "stratégie nationale de santé". "Il n'y a pas de pilote dans l'avion", résume-t-il.
Article rédigé par franceinfo
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Frédéric Bizard, professeur d’économie à ESCP Europe et président de l’Institut Santé, le 18 avril  2024 sur franceinfo. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Biogaran, leader des médicaments génériques en France, est à vendre, rapporte jeudi 18 avril franceinfo, confirmant une information du journal Les Échos. Quatre repreneurs sont intéressés, dont deux entreprises indiennes spécialisées dans le médicament générique. "Un scénario cauchemar", estime l'économiste de la santé Frédéric Bizard, professeur d’économie à ESCP Europe et président de l’Institut Santé. "Nous risquons d'être balayés de la production pharmaceutique dans les dix ans qui viennent si nous ne nous réveillons pas", prévient-il.

franceinfo : Quelles seraient les conséquences d'un rachat étranger de notre leader français des médicaments génériques ? 

Frédéric Bizard : C'est un scénario cauchemar qui est en train de s'installer mais qui était assez prévisible puisque la maison mère avait annoncé qu'elle souhaitait céder sa filiale pour investir notamment en oncologie ou en tout cas dans des spécialités d'innovation.

"Biogaran, c'est environ un médicament sur six que nous consommons."

Frédéric Bizard, président de l’Institut Santé

à franceinfo

C'est aussi le leader dans un secteur absolument stratégique pour les pouvoirs publics pour maîtriser la dépense publique des médicaments : les génériques. En effet, c'est à travers les génériques et les biosimilaires que nous arrivons à absorber les dépenses liées à l'innovation. Et c'est un dossier stratégique pour la question de son empreinte industrielle, puisque ce groupe fait travailler une quarantaine de producteurs en France. Il a donc une empreinte industrielle indirecte puisqu'il n'a pas d'usine mais fait travailler des sous-traitants.

Quel est le risque d'un rachat de Biogaran par l'Inde ? Celui d'une délocalisation pure et simple en Inde 

Vous avez deux profils de candidats : deux laboratoires indiens et des profils financiers, des fonds d'investissement.

"Il faut savoir que l'Inde, c'est la pharmacie du monde. Près de 45% des médicaments, et principalement des génériques, sont fabriqués en Inde."

Frédéric Bizard

à franceinfo

Que vont faire ces fonds d'investissement, même s'ils paraissent plus protecteurs ? Ils vont essayer d'optimiser leurs investissements pour recéder l'entreprise après. Et si vous voulez optimiser les profits sur Biogaran, il faut aller produire ailleurs. 

Lors de la crise sanitaire liée au Covid-19, on s'alarmait du manque de souveraineté de la santé. Il y a quelques mois, le gouvernement faisait face à une pénurie de médicaments, notamment en raison de la concentration de la production des principes actifs en Chine et en Inde. Que se passe-t-il ?  

Tout cela est lié à la crise du système de soins où il n'y a pas de pilote dans l'avion, nous n'avons pas de stratégie nationale de santé. Nous n'avons pas de composante stratégique en matière d'industrie pharmaceutique. Nous sommes sous la coupe d'une régulation essentiellement comptable, à travers cette loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) qui est une vision à un an où on fixe un plafond de dépenses pharmaceutiques, et tout ce qui est supérieur à ce plafond-là est extrêmement taxé, même si ce sont des médicaments génériques, autrement dit des médicaments qui génèrent de l'économie pour la Sécurité sociale. On a un système de taxation qui marche véritablement sur la tête. On n'a pas de visibilité à long terme, une bureaucratie qui décale l'accès au marché et enfin une régulation comptable où vous ne régulez les prix qu'en fonction des économies que vous voulez générer, sans vous soucier de la viabilité économique des produits. Il n'y a pas besoin d'être économiste pour comprendre qu'on n'attire pas grand monde.

Qu'est-ce que la France peut faire ?
 
Soit la France nationalise son industrie pharmaceutique et dit : "Moi, je ne regarde pas mon coût de revient parce que c'est une production publique", mais évidemment, on est très loin de ça et on est incapable de le mettre en place. Soit vous acceptez l'économie de marché qui a besoin de générer des profits et vous avez des prix qui sont en conséquence. Je pense que Bercy regarde le dossier Biogaran de très près, mais que peut-il faire à part exiger des contreparties pendant x années en matière d'emploi, des contreparties en matière de production ? In fine, puisque nous ne sommes pas compétitifs par rapport à un pays comme l'Inde, alors que nous faisons la même chose que les Indiens, nous risquons d'être balayés de la production pharmaceutique dans les dix ans qui viennent si nous ne nous réveillons pas. 

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