"On ne pouvait pas imaginer que des centaines de terroristes allaient débarquer" : Laura Blajman-Kadar, rescapée du 7-Octobre en Israël, témoigne
"Mon livre est pour les Français", a déclaré jeudi 21 mars sur franceinfo Laura Blajman-Kadar, co-organisatrice du festival de musique Tribe of Nova visé par l’attaque terroriste du 7 octobre dans le sud d’Israël. Elle témoigne de son expérience de survivante dans un livre bouleversant, Croire en la vie, publié aux éditions Robert Laffont. "Le but de mon livre était d'expliquer un peu aux gens ce qui s'est passé" a-t-elle confié.
Ce jour-là, elle participe à un festival dans le désert du Neguev, à six kilomètres de la bande de Gaza, avec des milliers de personnes. Alors que l’attaque débute, elle prend "la décision en quelques secondes" de se cacher, avec son mari et des amis, dans sa caravane. "C’est notre grande chance", dit-elle. Cinq mois après l’attaque, Laura Blajman-Kadar regrette que ses "amis soient toujours pris en otage à Gaza et que la guerre continue".
franceinfo : La force de ce récit, ce sont ces détails minute par minute, l'irruption de l'horreur alors que c'était une journée normale...
Laura Blajman-Kadar : Oui, ça a vraiment commencé comme une journée magnifique, un sublime festival. Le samedi matin, on se levait. À 6h28 du matin, les roquettes ont commencé à tomber quand on est allé danser sur la piste de danse. Ils ont coupé la musique. Le DJ a demandé à tout le monde de sortir dehors. Ce n'est pas la première fois en Israël qu'il y avait une attaque de roquettes.
"On pensait que c'était simplement une attaque de roquettes qui se terminerait dans 15 ou 20 minutes."
Laura Blajman-Kadar, rescapée du Tribe of Novaà franceinfo
On ne pouvait pas imaginer qu’une demi-heure plus tard, des centaines de terroristes allaient débarquer.
Vous mettez un certain temps à comprendre de la gravité de la situation
On s’est dit, on attendra un petit peu que ça se termine. On prendra la voiture pour rentrer à la maison. C'est seulement une quarantaine de minutes après, vers 7h30, alors qu’on a voulu prendre la voiture pour entrer à la maison, qu’on a commencé à comprendre qu’il y avait des terroristes. Une amie m'a appelé et m'a dit : "Laura ! Ne partez surtout pas parce qu'il y a des terroristes partout sur la route". C'est à ce moment qu'on a pris la décision de se cacher dans la caravane.
Cette intuition vous a sauvé la vie ?
C'est notre grande chance. Je connais bien le sud d'Israël. Je savais que là où l’on était, il n'y avait pas d'endroits où se cacher puisque c'est une immense forêt. On a bien compris qu'on ne pouvait pas prendre la voiture parce qu'il y avait des terroristes sur toutes les routes, un peu partout. On a pris la décision en quelques secondes de se cacher dans notre caravane.
Vous êtes avec votre mari et des amis terrés dans cette caravane. C’est le début d’une expérience sonore ?
Oui, on n’a rien pu voir, mais seulement entendu. Quand on est rentrés dans la caravane pour se cacher dans les premières minutes, il n'y avait toujours pas de terroristes autour de nous. On a entendu les coups de feu au loin. Deux ou trois minutes plus tard, on a entendu les terroristes débarquer, des hurlements, des 'Allahu akbar', des coups de feu. On entendait les gens hurler et tomber par terre.
Le moment le plus terrible, c’est le moment où les terroristes sont autour de votre caravane ?
On est sept personnes dedans. Les terroristes ont essayé d’ouvrir la porte plusieurs fois et ont tiré sur la caravane. Nous avions vraiment la sensation qu’ils étaient debout à côté de nous. Il y a seulement la tôle de la caravane qui nous sépare.
Vous communiquez avec vos proches et les autorités par SMS. Vous prenez conscience de l’ampleur de l’attaque ?
Oui, on a essayé d'avoir les autorités. Comme tout le sud d'Israël était attaqué, quand on a appelé la police, personne ne répondait et l'armée n'arrivait pas. Ça a pris très longtemps. Je raconte dans mon livre, minute par minute, cette longue journée. Les pensées qu'on a eues. On comprend que ce n'est pas un attentat sur le festival, mais c'est une attaque sur tout le sud d'Israël et qu’une guerre commence. On comprend qu’il n'y a personne qui va pouvoir venir nous sauver.
Et à 14 heures, 6 heures après le début de l’attaque, vous décidez de sortir de la caravane. Que voyez-vous ?
On a compris qu'on pouvait enfin sortir. On a ouvert la porte. C'est le moment où on découvre le massacre. Pendant toutes ces heures, on entend un massacre, on entend des coups de feu, on entend des gens tomber par terre, mais on ne voit pas. Quand on sort, c'est vraiment une des choses les plus horribles que j'ai vues dans ma vie. Des dizaines de gens par terre, tués par des terroristes, énormément de festivaliers.
Votre religion juive vous interdit de voir un mort. Quel est votre premier réflexe ?
J’ai automatiquement cherché quelque chose pour couvrir la première personne que je vois par terre. Mais quand j’ai cherché quelque chose pour la couvrir, j'ai simplement vu encore des dizaines de corps étalés par terre. C’est à ce moment que je comprends que, même si je trouve quelque chose pour mettre sur cette personne, qu'est-ce que je fais avec toutes les autres personnes ?
Pourquoi il était important pour vous d’écrire ce livre ?
Je suis franco-israélienne. Je suis née en France et mon livre sort en français, premièrement parce qu'il est pour les Français. Le but de mon livre était d'expliquer un peu aux gens ce qui s'est passé. Une personne est venue danser un week-end et a perdu tellement d'amis. C’est pour parler un peu de notre vie en Israël, du fait que je vis dans une ville mixte avec mes voisins arabes et comment on vit ensemble. Hélas, cinq mois après, le livre sort enfin, mais mes amis sont toujours pris en otage à Gaza et la guerre continue toujours.
Alors que l’on parle de plus en plus de cessez-le-feu, comment résonne ce mot en vous ?
Le 6 octobre, il n'y avait pas de feu. On aimerait tous revenir à ce jour-là. Je pense que c'est bien qu'on parle de cessez-le-feu, mais je ne réussis pas à comprendre comment on peut parler de cessez-le-feu sans parler de ramener les otages. On ne peut pas parler de cessez-le-feu avant qu'on ne parle de ramener mes amis de Gaza. Ça fait cinq mois qu'ils sont là-bas.
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