Fast fashion : "Cette loi est vraiment historique, c'est assez incroyable ce qui s'est passé", réagit Julia Faure, du collectif En mode climat

L'Assemblée nationale a adopté jeudi des mesures visant à freiner la fast fashion. Le texte permettra notamment de "protéger le consommateur", estime Julia Faure, créatrice de mode et cofondatrice d'En mode climat.
Article rédigé par franceinfo
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Julia Faure, grand témoin de franceinfo, le 15 mars 2024. (FRANCEINFO)

"Cette loi est vraiment historique, c'est assez incroyable ce qui s'est passé", a réagi vendredi 15 mars sur franceinfo Julia Faure, créatrice de mode et cofondatrice d'En mode climat, un collectif d'enseignes de mode durable qui regroupe 600 entreprises françaises de l'habillement, alors que l'Assemblée nationale a adopté jeudi des mesures pour pénaliser la fast fashion.

Les députés ont voté à l'unanimité l'interdiction de la publicité pour la vente de vêtements à prix cassés et un "malus" environnemental renforcé pour les rendre moins attractifs. Le texte doit maintenant passer par le Sénat. "La France a adopté hier une régulation que personne n'a réussi à faire passer dans le monde. C'est quelque chose d'assez incroyable. Est-ce que c'est de nature à endiguer le phénomène ? Oui", a-t-elle estimé. Les enseignes ciblées dénoncent une atteinte à la liberté des consommateurs : "Le rôle de la nation, le rôle d'un État, c'est justement de protéger le consommateur", répond Julia Faure, au même titre qu'il protège les jeunes des méfaits de l'alcool et du tabac.


franceinfo : En quoi cette loi est importante ?

Julia Faure : Cette loi est vraiment historique. C'est assez incroyable ce qui s'est passé. La France a adopté hier une régulation que personne n'a réussi à faire passer dans le monde. Est-ce que c'est de nature à endiguer le phénomène ? Oui ! Et c'est la première fois. Cela fait vingt ans que rien ne s'oppose à la fast fashion et pour la première fois, il va y avoir des pénalités pour les marques qui incitent trop à consommer, qui produisent dans de mauvaises conditions. Il va y avoir une interdiction de faire de la publicité pour les marques qui ont passé de tels niveaux d'incitation à consommer que ça en devient dangereux pour notre économie et pour l'écologie. Il y a d'autres mesures qui sont extrêmement importantes, par exemple l'indexation de bonus-malus sur l'affichage environnemental. Cette espèce de nutri-score du textile qui va être déployé dans les prochaines semaines ou mois est assez génial. C'est un gros travail qui a été fait par le ministère de la Transition écologique et l'Agence de la transition écologique à Paris (Ademe). Globalement, les marques qui produisent loin avec du polyester vont avoir une mauvaise note et les marques qui produisent localement avec des matières naturelles, bio, vont avoir de bonnes notes.

Pensez-vous que cela va faire changer le comportement du consommateur, qui regarde avant tout son porte-monnaie ?

Cette loi ne cible pas le consommateur. Les lobbies de la fast fashion disent : "On laisse le consommateur décider. C'est la liberté du consommateur. Le consommateur doit avoir accès à la mode." Ce n’est pas une taxe sur le prix du produit qui est demandé, c'est une pénalité à l'échelle de l'entreprise. L’entreprise peut changer son comportement si elle ne veut pas payer cette pénalité. Elle n'a qu'à produire des vêtements plus écolos, plus localement, moins inciter à consommer. Si vraiment elle est pénalisée, elle n'est pas obligée de le répercuter sur le prix du produit. Cet argument qui consiste à dire : en mettant des pénalités à la fast fashion, on pénalise les plus pauvres, c’est un argument que vous retrouverez dans la bouche de ces propres enseignes qui vont être pénalisées mais pas dans la bouche des associations de solidarité qui viennent en aide aux plus précaires. Emmaüs, qu'on ne peut pas vraiment taxer d'être une association de bourgeois ou de bobos, soutient cette loi.

La liberté du consommateur n’est pas un bon argument, selon vous ?

C’est une charge mentale extrêmement forte de devoir penser à toutes les externalités négatives des choses qu'on achète et qu'on consomme. C'est pour ça que les lois sont là. C’est dégueulasse de laisser au consommateur le choix entre des produits qui sont issus de l'esclavage et pas chers et des produits qui sont plus chers mais bien produits. Le rôle de la nation, le rôle d'un État, c'est justement de protéger le consommateur de tout ça. Ces marques d'ultra fast fashion ciblent beaucoup nos adolescents, qui sont des mineurs. On les protège contre plein de dérives. Ils ne sont pas autorisés à boire de l'alcool, on n'est pas autorisés à leur vendre du tabac. Pourquoi est-ce que ce serait autorisé de leur vendre des vêtements qui sont produits dans des conditions de misère ? Vouloir laisser au consommateur ce choix, ce n’est pas le bon débat, ce n'est pas le rôle du consommateur.

La France est le premier pays à légiférer. La prochaine étape, c’est l’Europe ?

Aujourd'hui, au niveau européen, il y a le vote de la loi de devoir de vigilance qui a commencé à être pensée après l'effondrement du Rana Plaza, cet immeuble au Bangladesh où il y avait des couturières qui faisaient nos vêtements, et lors duquel il y a eu des milliers de morts. Dans les décombres, on a trouvé des étiquettes d'enseignes qui vendent en France et qui n'ont jamais été tenues responsables de cette catastrophe. Cette loi dit : "Vous, les marques, s'il se passe quelque chose dans votre chaîne d'approvisionnement, s'il se passe un drame social ou écologique, on peut vous traîner en justice." C'est la meilleure chose qu'on puisse faire pour favoriser le made in Europe et le made in France. S’il y a bien quelque chose de magique dans notre pays, c'est qu'il y a des normes sociales et environnementales qui font que ces catastrophes ont peu de chance d'arriver. Cette loi au niveau européen va être votée aujourd'hui. On croise les doigts pour qu’elle soit ambitieuse. Il faut aussi la législation au niveau européen. Mais c'est extrêmement important d'avoir des lois aussi au niveau national. La loi sur le devoir de vigilance au niveau européen s'inspire de la loi française. Tout ce qu'on fait en France a vocation à inspirer les lois au niveau européen et ailleurs.

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