Élections à Taïwan : la victoire du favori démocrate pourrait avoir un goût amer

Samedi 13 janvier aura lieu l'élection présidentielle à Taïwan. Alors que Pékin dément officiellement toute implication dans la campagne qui s'achève, la menace d'une guerre avec la Chine a particulièrement opposé les trois principaux candidats. Nos correspondants décrivent la situation sur place.
Article rédigé par Sébastien Berriot - Adrien Simorre
Radio France
Publié Mis à jour
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Lai Ching-te (ou William Lai), candidat du Parti démocrate progressiste (DPP) au pouvoir, lors d'un rassemblement électoral à New Taipei, le 12 janvier 2024. (SAM YEH / AFP)

Les Taïwanais éliront leur nouveau président, samedi 13 janvier, ainsi que leurs députés. Ce scrutin est crucial pour l'archipel menacé d'invasion par la Chine. Deux principales formations s'opposent : le Parti démocrate progressiste au pouvoir et le parti d'opposition favorable à Pékin, le Parti nationaliste chinois. La question du rapport à la Chine a été au cœur des débats et les trois principaux candidats se sont déchirés sur le sujet avec une question en tête : comment éviter un conflit futur avec Xi Jinping ?

Avec plus de 90% des Taïwanais opposés à l'annexion chinoise, le favori dans les sondages est le vice-président Lai Ching-te, mieux connu sous le nom de William Lai. Celui-ci défend une position ferme face aux revendications de Pékin. Son parti, le Parti démocrate progressiste, veut renforcer la défense militaire de Taïwan et réduire la dépendance de l'économie taïwanaise au marché chinois. "Si nous sommes trop faibles, alors la Chine nous envahira", expliquait jeudi un représentant du parti, lors du plus grand meeting de la campagne.

"Cette élection est un choix entre la guerre et la paix"

En face, le Parti nationaliste chinois critique une position qui mènera, selon lui à la guerre. Pour ce parti d'opposition, c'est le gouvernement taïwanais qui porte la responsabilité des tensions et notamment des manœuvres militaires chinoises, de plus en plus fréquentes ces dernières années. "Cette élection est un choix entre la guerre et la paix", ne cesse de répéter son candidat, l'ancien policier Hou Yu-ih. Ce dernier propose donc de reconnaître l'appartenance théorique de Taïwan à la Chine, une concession qui permettrait selon lui d'apaiser les tensions et d'éviter à terme un conflit. Sans surprise, la proposition est soutenue par Pékin qui, selon le gouvernement taïwanais, tenterait d'influencer le scrutin notamment via la diffusion massive de fausses informations.

Malgré tout, le Parti nationaliste chinois reste impopulaire parmi les Taïwanais, qui sont opposés à plus de 90% à l'annexion chinoise. La jeunesse en particulier, ne fait plus confiance à la Chine depuis la reprise en main autoritaire de Hong Kong par Pékin. Quant au troisième candidat, qui a fait son irruption dans la campagne, l'outsider Ko Wen-je, son positionnement s'est concentré sur des réformes domestiques, prix des logements, bas salaires... Ces questions inquiètent aussi la jeunesse taïwanaise, mais sur la Chine, le candidat reste volontairement ambigu.

Une victoire mitigée en vue

Dans les derniers sondages, le candidat du parti démocrate progressiste William Lai était en tête. Certains pensent que les jeux sont faits et que, sauf surprise, il sera élu samedi 13 janvier à la présidence. Mais cette victoire pourrait avoir un goût amer. Dans la dernière ligne droite, l'opposition tente de mobiliser sur des questions sans lien avec la Chine, comme la corruption ou la politique énergétique. Cette stratégie devrait porter ses fruits au moins aux élections législatives, où le parti au pouvoir devrait perdre sa majorité. Le futur président taïwanais devra donc composer avec une assemblée divisée. Une difficulté supplémentaire face aux menaces de Pékin.

La Chine, qui est régulièrement accusée par Taipei, est soupçonnée de vouloir interférer de plusieurs façons dans ces élections. Les autorités chinoises ont réagi à ces accusations par un démenti formel. Il y a quelques jours encore, Wu Qian, le porte-parole du ministère de la Défense de Pékin, a déclaré que "non, la Chine n’interfère pas dans le processus électoral taïwanais." Effectivement ces derniers jours, la presse officielle chinoise s’est montrée très discrète sur l’événement, ce qui pourrait laisser penser que la Chine n’essaye pas d’influencer le vote.

La pression discrète de la Chine

Mais il y a tout de même une déclaration qui, à Taïwan, n’a échappé à personne. Fin décembre 2023 à Pékin, un ancien numéro 2 du bureau des affaires taïwanaises en Chine s’est exprimé lors d’une conférence. Il a dit que si William Lai venait à remporter le scrutin, il y avait clairement un risque de guerre. Une manière quand même assez claire et assumée de faire pression sur les électeurs s'ils veulent garantir la paix dans l'île.

Ces dernières semaines, certains médias d’État chinois ont également laissé entendre qu’en cas de reconduction du DPP (Parti démocratique progressiste) à la présidence, de nouvelles sanctions économiques contre Taïwan pourraient tomber, avec des restrictions supplémentaires sur les importations de produits taïwanais en Chine.

Démonstrations de force

Au-delà des mots, Pékin a aussi montré sa force pour faire pression avant l’élection présidentielle. Depuis plusieurs mois, la Chine déploie régulièrement sa force militaire dans le détroit de Taïwan, en envoyant des avions de chasse, qui selon Taipei ont encore franchi la ligne médiane du détroit il y a quelques jours. Pékin mobilise aussi des drones de reconnaissance et déploie également ses navires de guerre. La télévision chinoise a montré il y a quelques jours des images du nouveau porte-avions Fujian, presque terminé, et une série de ballons espions chinois survolent depuis le mois dernier le territoire taïwanais. Une présence qualifiée par Taipei de guerre psychologique pour tenter de peser sur l’élection présidentielle.

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