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Un "rôle d'acteur de théâtre", un "Euro Disney de la démocratie" : cinq ans après, ces députés ont décidé de ne pas se représenter aux législatives

Après un seul mandat, plusieurs députés élus en 2017 dans la foulée de l’élection d’Emmanuel Macron ont décidé de raccrocher l’écharpe, avant même les investitures.

Article rédigé par franceinfo - Victoria Koussa, édité par Pauline Pennanec'h
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Albane Gaillot, députée du Val-de-Marne, et Pacôme Rupin, député de la 7e circonscription de Paris, le 9 mai 2022 dans leurs bureaux respectifs. (VICTORIA KOUSSA / RADIO FRANCE)

"C'est vrai qu'aujourd'hui encore, quand j'arrive dans ce bureau, que je vois cette Tour Eiffel qui scintille, que je vois ce palais, je suis toujours... assez émue !" Albane Gaillot, députée du Val-de-Marne, va bientôt vider son petit bureau à la moquette noire qui donne sur le palais Bourbon, alors que les candidats investis par la majorité présidentielle pour les législatives se réunissent en séminaire à Aubervilliers, mardi 10 mai. Aujourd'hui connue pour avoir étendu le délai de recours à l'IVG, il y a cinq ans, cette cheffe de projet rejoint la "Macronie". Un nouveau monde pour celle qui n'a jamais mis un pied à l'Assemblée nationale. Elle apprend même sur YouTube à mettre son écharpe de députée.

Plus tard, Albane Gaillot est exclue de La République en marche pour des divergences, avant de créer, avec d'autres, le groupe Ecologie Démocratie Solidarité. "J'étais pleine d'espoir, assure-t-elle. J'ai été élue sous l'étiquette La République en marche, d'un président de la République qui voulait changer les pratiques. On est jeune, on est novice, on est la société civile, on va apporter ce vent de fraîcheur dont Emmanuel Macron et la France ont besoin." Que s'est-il passé ? "On se rend bien compte que l'institution de la Ve République fonctionne toujours. C'est un système à changer entièrement et renverser la table, ce n'est pas si facile."

"Les plats y sont accrochés, les nappes sont tendues par des attaches, donc ce n'est pas facile de renverser la table. Il nous aurait fallu beaucoup plus de volonté et beaucoup plus d'utopie."

Albane Gaillot, députée du Val-de-Marne

à franceinfo

Pour elle, la politique c'est fini. Albane Gaillot compte s'investir dans le milieu associatif et féministe, seule façon d'après elle de faire bouger les choses.

L'Assemblée, une "chambre d'enregistrement"

D'autres députés partagent aussi ce sentiment d'inutilité. C'est le cas d'Annie Chapelier, députée Agir Ensemble du Gard, qui est aussi une "double déçue" du parti La République en marche, qu'elle a quitté en cours de route, et de la fonction de député. L'infirmière anesthésiste refuse de réintégrer l'Assemblée qu'elle qualifie de "chambre d'enregistrement".

"L'immense majorité des œuvres d'art qu'il y a dans l'Assemblée sont en toc. On a des répliques, un décorum devant nous qui n'est pas réel, un peu comme si on était une sorte d'Euro Disney de la démocratie."

Annie Chapelier, députée Agir Ensemble du Gard

à franceinfo

"Au bout du compte, si on creuse vraiment le sujet, on se rend compte que même nous, on nous demande de tenir un rôle mais pas de tenir une fonction, poursuit la députée. Un rôle qui est celui d'un acteur de théâtre où nous avons de grandes messes qui sont les questions au gouvernement, les séances, tout est prévu à l'avance etc. Tout cela, c'est une mise en scène !"

Pour d'autres c'est tout l'inverse. Le Parlement remplit son rôle d'après Matthieu Orphelin, ex-marcheur devenu député écologiste de Maine-et-Loire. D'après lui, le problème vient de ceux qui sont à l'intérieur dont il veut s'éloigner. "En politique, on voit le meilleur et le pire, confie-t-il. Le meilleur, c'est d'arriver à faire changer les choses pour les gens. Et puis on voit le pire, ce que les gens imaginent : des apparatchiks dans les partis, des gens qui ne pensent qu'à leur réélection, les coups bas..."

L'effet compresseur de la mandature

Pâcome Rupin, jeune marcheur, raccroche l'écharpe de député mais va continuer d'être élu à la mairie de Paris où il garde dans son bureau la toute première photo de lui dans l'hémicycle à côté du président Richard Ferrand. Il fait partie de la trentaine de marcheurs qui n'ont pas souhaité repartir, un choix dont il parle pour la toute première fois. Deux raisons : des divergences avec le nouveau programme d'Emmanuel Macron...et l'effet rouleau compresseur de sa mandature. "C'est usant, personnellement c'est dur, assure-t-il. Il faut être sur le pont tout le temps. Quand on ne siège pas, on fait des réunions, on est en circonscription, on reçoit des citoyens, on essaie de les aider... On n'arrête pas !"

"J'ai l'impression que de plus en plus on subit l'actualité. On est devenus presque des commentateurs sur les chaînes d'information en continu."

Pâcome Rupin, député de la 7e circonscription de Paris

à franceinfo

Cette machine infernale peut nuire au fonctionnement même du Parlement d'après le sociologue Étienne Ollion. Il a suivi les premiers pas des néophytes de l'Assemblée il y a cinq ans. "Pour moi la politique, c'est une vie à part, une vie d'excès où on donne énormément de temps, où on donne mais on reçoit aussi des coups, confie le sociologue. Si on veut d'une certaine manière avoir des citoyens et des citoyennes ordinaires qui s'engagent en politique, il faudrait peut-être que la vie politique soit une vie elle aussi un petit peu plus ordinaire avec des règles, avec des cadres, avec un droit du travail."

Reste une ambivalence : certains novices redoutent maintenant le vide après cette autre vie à mille à l'heure qui aura duré cinq ans et qui va s'arrêter net fin juin.

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