Témoignages
"On a déjà été occupés, ça fait peur" : en Ukraine, les habitants de la région de Kharkiv redoutent l’arrivée des troupes russes

Moscou continue à progresser dans la région du nord-est de Kharkiv, où se trouve notamment la commune de Tsirkuny. Les habitants vivent dans la peur et se préparent à l'arrivée des Russes.
Article rédigé par Virginie Pironon, Jérémy Tuil
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Valentina,n 70 ans, et sa fille Natalia, 45 ans, vont bientôt quitter le village ukrainien de Tsirkuny pour ne pas revivre l’occupation russe, le 17 mai 2024. (VIRGINIE PIRONON / RADIO FRANCE)

L'armée russe poursuit son assaut d'ampleur. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a expliqué s'attendre à une offensive russe plus large dans le nord et dans l'est qui viserait à prendre Kharkiv, la deuxième ville du pays. Vendredi, le président russe, Vladimir Poutine, a justifié cette nouvelle offensive en affirmant répliquer aux frappes ukrainiennes de ces derniers mois en territoire russe et vouloir créer une zone tampon.

Au nord-est de Kharkiv, Tsirkuny est une localité composée de neuf villages, dont certains à moitié détruits. Les 2 000 habitants environ ont déjà connu l’occupation dans les premiers mois de la guerre, en 2022. Avec sa femme, Sacha est venu chercher un peu d’aide alimentaire dans ce qui reste de l’ancien hôpital du village. Il remplit le coffre de sa voiture, regard anxieux, la voix étranglée par l’angoisse de voir les Russes arriver. Ils ne sont qu’à une petite vingtaine de kilomètres. "La situation est incertaine, indique Sacha. Bien sûr que c’est stressant. On ne veut surtout pas que ça arrive." Selon lui, la situation peut très vite empirer. Il a déjà perdu une partie de sa maison il y a deux ans : "Bien sûr qu’il y a eu des destructions, un obus a touché un coin de notre maison. Mon voisin est mort. Il y a eu des éclats partout, ça l’a tué."

"Ce sont des fascistes"

Debout un peu à l’écart, Valentina, 70 ans, et sa fille s’apprêtent à quitter bientôt le village. Il est hors de question de revivre l’enfer de l’occupation, explique Natalia, 45 ans, emmitouflée dans un sweat à capuche rose : "C’est très très difficile. On ne dort pas. On tremble. C’est effrayant de se dire qu’il pourrait y avoir à nouveau une occupation. On a déjà été occupés, ça fait peur." Sa mère, Valentina, vient à peine de la rejoindre il y a quelques jours. Elle a quitté Loukiantsi, à 4 km de la frontière. Un village visé par les Russes, car il leur ouvre la voie pour Lypsti, en direction de Kharkiv. "Ils sont déjà là-bas, explique Valentina. Ils sont dans notre village. Et on a peur qu’ils arrivent ici, maintenant. Vu la cadence de l’offensive, ça ne fait guère de doutes.

"Pourquoi ils nous font ça ? Pourquoi ils nous bombardent ? Je n’ai plus de forces. J’ai perdu la moitié de mes cheveux."

Valentina, Ukrainienne

à franceinfo

Le visage encadré d’un foulard orange, vert et bleu, Nadiejda, 75 ans, est venue chercher de la farine, du sucre, des conserves pour pouvoir tenir au cas où et se terrer dans sa cave. "Mon Dieu, faites qu’ils ne reviennent pas, espère Nadiejda. Nous, on est des retraités, la première fois ils ne nous ont rien fait. Mais les plus jeunes, bien sûr qu’ils les ont visés. Quand de jeunes hommes passaient, ils leur tiraient dans les jambes. Qu’est-ce que tu veux, ce sont des fascistes."

Nadiejda, retraitée du village de Tsirkuny (Ukraine), mai 2024 (VIRGINIE PIRONON / RADIO FRANCE)

"S’ils reviennent, c’est sûr qu’ils vont tuer tout le monde"

Vendredi, le gouverneur de la région de Kharkiv a indiqué que les forces ukrainiennes ne sont pas parvenues à arrêter l’adversaire. Pas de quoi perturber le maire de Tsirkuny. Dans son bureau, Mikola Sikalenko enchaîne les coups de fil. S’il est inquiet, avec de grandes poches sous les yeux, l’élu local n’en laisse rien paraître. "Si je me mettais à paniquer, cela ne serait pas bon pour nos villages, explique le maire ukrainien. En tenant compte des informations qui me viennent de la ligne de front et ce que me disent directement les militaires, je suis persuadé que les Russes n’arriveront pas jusqu’ici."

Et quand on lui demande ce qu’il faut souhaiter aux habitants ici, il le dit en quelques mots : "Résister ! Et la victoire ! " Une confiance que ne partage pas vraiment Vladimir, qui peine à tirer un chariot dans un chemin de terre, chargé de deux colis pleins de nourriture. L’occupation, il l’a vécue pendant 75 jours. "S’ils reviennent, c’est sûr qu’ils vont tuer tout le monde et mettre les gens dans les sous-sols, explique Vladimir en sourjik, un mélange d’ukrainien et de russe. Vous avez entendu ce qui se passe à Vovtchansk ? C’est terrible." Vladimir s’éloigne. "Ces prochains jours, dit-il, ne promettent rien de bon."

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.