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Témoignages
"Je ne peux pas dire que je suis totalement en sécurité, même ici en France" : rencontre avec des déserteurs russes qui ont fui la guerre en Ukraine
Sacha* ne voulait pas combattre pour la Russie et il a trouvé refuge en France, sur la Côte d'Azur. À l'abri des regards, dans une petite pièce, les volets sont mi-clos, et pourtant, il préfère garder ses larges lunettes de soleil. "Je ne peux pas dire que je suis totalement en sécurité, même en étant ici en France", explique-t-il. Le jeune homme de 23 ans est méfiant et sur ses gardes depuis un an et demi. "La sécurité est meilleure ici, je me sens mieux. Mais, avec ces espions, ces mouchards, ça me rend un peu tendu." En effet, les renseignements russes n'hésitent pas à assassiner les déserteurs, comme l'ancien pilote Maxim Kouzminov, abattu en Espagne, en février 2024.
À l'hiver 2022, Sacha a été convoqué devant le commissariat militaire. "On m'a menacé en me disant que si je n'étais pas volontaire, pour aller en Ukraine, eh bien, on m'y obligerait", détaille-t-il. Sacha décide alors de prendre la route et de fuir son pays. Il part, direction la Turquie, puis la Bosnie et enfin la France. Il est libre, mais la liberté a un prix en Russie et c'est sa famille qui va le payer.
"Ma mère a été licenciée de son travail. Son supérieur lui a dit : 'Tu es la mère d'un déserteur et des employés comme toi, on n'en a pas besoin'".
Sacha, déserteur russeà franceinfo
Toute sa famille a eu droit à son lot d'intimidations. "Mon père a reçu des menaces du commissariat militaire. On lui a dit : 'Si ton fils ne revient pas, c'est toi qui vas y aller à sa place'. Ensuite, on a menacé mon petit frère en lui disant que dès qu'il aura 18 ans, il faudra qu'il se prépare à entrer dans l'armée", raconte Sacha. Quant à ses amis, qui appartiennent comme lui à une minorité ethnique particulièrement visée par la mobilisation, beaucoup sont revenus mutilés du front ukrainien.
Sacha est seul, ici en France. Il a obtenu l'asile en 2023, mais il vit d'expédients. Il dort dans des squats, parfois, même à la rue. Pourtant, il ne regrette pas d'avoir quitté la Russie et il est hors de question qu'il fasse cette guerre en Ukraine. "Vous savez, si un autre pays avait tenté d'envahir ma patrie, je n'aurais eu aucun problème à prendre les armes, explique-t-il. Mais en l'occurrence, envahir des terres, qui ne sont pas les nôtres, tuer les femmes, les enfants, les vieillards et faire partie de cette armée criminelle, dans une guerre criminelle... Je ne pourrai pas vivre toute ma vie après ça."
Quitter son pays pour toujours
Comme Sacha, Vlad* a fui la Russie et s'est réfugié dans le nord de la France. Il a 53 ans et dès le début de l'invasion russe en Ukraine, il manifeste publiquement son opposition à cette guerre, ce qui lui vaut six mois de prison. À sa sortie, il reçoit son ordre de mobilisation et quitte aussitôt son pays.
"Je suis certain que je ne pourrai plus y retourner parce que ce n'est plus la Russie. C'est maintenant une maison de fous et ça ne sera jamais plus comme avant."
Vladà franceinfo
Et Vlad de confier : "C'est comme si j'avais quitté l'Allemagne nazie et qu'on me disait : 'Tout va très bien, vous pouvez revenir'". L'homme a d'ailleurs coupé les ponts avec ses connaissances en Russie. "Je n'ai plus qu'un seul ami là-bas, qui comprend tout et qui n'a pas perdu la tête. Les autres, c'est fini parce que sous l'effet de la propagande, ils sont devenus des zombies". Il souhaite refaire sa vie, ici en France, et espère désormais, trouver un travail, dans le bâtiment. En attendant, il fait du bénévolat, pour des associations humanitaires.
Un statut de réfugié difficile à avoir
Sacha et Vlad ont obtenu l'asile, notamment grâce à un assouplissement des conditions d'obtention du statut de réfugié. La Cour nationale du droit d'asile (CNDA) s'est, en effet, adaptée à l'actualité, puisqu'en juillet 2023, au regard des crimes de guerre commis par l'armée russe en Ukraine, elle décide que les soldats mobilisés récemment peuvent obtenir une protection. La France a d'ailleurs accordé l'asile à 19 déserteurs de l'armée russe en 2024.
Cependant, ils doivent fournir des preuves, ce qui n'est pas toujours simple, selon l'avocat Sylvain Saligari, qui a conseillé plusieurs requérants russes, ces derniers mois. "Si vous n'avez pas de convocation militaire, de livret militaire, ou un document pour justifier que vous avez été réellement appelé dans l'armée russe, vous pouvez être en grande difficulté pour arriver à convaincre les juges, explique-t-il. Et quand vous fuyez votre pays, vous n'avez pas de documents dans votre valise."
Sylvain Saligari estime que la situation est difficile, car l'exigence de preuves est trop importante de la part de la CNDA et de la part de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. De son côté, la CNDA répond à franceinfo, qu'elle est obligée d'être exigeante puisque la mobilisation en Russie est partielle et qu'elle ne concerne pas tous les citoyens. Les déserteurs doivent donc fournir des preuves et elle précise qu'un peu moins de la moitié des requérants finit par obtenir le statut de réfugié.
*Le prénom a été modifié
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