Subventions réduites voire supprimées, nouvelle stratégie... Laurent Wauquiez est-il en guerre contre la culture en Auvergne-Rhône-Alpes ?

Quatre millions d'euros ont été supprimés aux structures culturelles de la région Auvergne-Rhône-Alpes, depuis 2022. Une diminution des subventions que les professionnels du secteur mettent en cause.
Article rédigé par Thierry Fiorile
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, le 24 juin 2020. (NICOLAS GUYONNET / HANS LUCAS)

Que se passe en région Auvergne-Rhône-Alpes ? Depuis deux ans, Laurent Wauquiez, le président Les Républicains de cette grande région, a supprimé quatre millions d'euros à 140 structures culturelles. Parmi elle, le 46e festival du court-métrage de Clermont Ferrand, dont la subvention de la région a été divisée par deux, et qui débute le vendredi 2 février.

Sur place, depuis plusieurs jours déjà, des centaines d'enfants venus de toute la métropole de Clermont-Ferrand profitent de ce festival "Sauve qui peut le court-métrage". Joyeux, mais préoccupé cette année, Eric Roux, le président de ce rendez-vous - qui rassemble plus de 150 000 personnes et génère 11 millions d'euros de retombées économiques - ne comprend pas pourquoi la région a baissé de 110 000 euros sa subvention : "Depuis le dernier festival 2023, où j'ai eu madame la vice-présidente au téléphone, on n'a pas eu de moment d'échange direct, ce que j'ai demandé plusieurs fois... Je veux parler avec Laurent Wauquiez, je veux parler avec Sophie Rotkopf. On a des choses à se dire !", explique-t-il à franceinfo.

Une nouvelle stratégie de la région

La vice-présidente de la région qu'évoque Eric Roux, c'est Sophie Rotkopf, vice-présidente de la région chargée de la culture : "Sauve qui peut est un festival remarquable mais qui a la capacité, bien plus que d'autres, à attirer à la fois du financement public et du financement privé. La preuve en est cette année, puisque Pathé est venu compléter le financement du festival. Le dialogue n'est pas coupé. La subvention sera revotée à hauteur de 100 000 euros. On ne peut pas dire qu'on ait abandonné", précise-t-elle. À un détail près : si Pathé, géant français du cinéma, soutient bien le festival cette année, c'est sans engagement pour le futur, et il a fallu programmer moins de films.

Il faut rééquilibrer l'engagement de la région vers les territoires ruraux, trop éloignés de la culture : c'est le mantra de Laurent Wauquiez et de sa vice-présidente. D'accord, dit Eric Roux, ça tombe bien : "On le fait déjà !". 

Eric Roux, président et trésorier de "Sauve qui peut le court métrage", à Clemont-Ferrand. (FESTIVAL DU COURT MÉTRAGE DE CLERMONT-FERRAND)

"Un truc très simple : on fait une programmation qui s'appelle circuit court, qui sont vraiment les coups de cœur de la sélection des films en compétition, précise Eric Roux. Et ce circuit court va se balader dans des petits cinémas, dans des petites communes, dans des salles des fêtes. Si je vous cite Saint-Gènes-Champanelle, Rochefort-Montagne, Isssoire, Thiers... C'est le territoire, c'est le tissu que l'on fabrique tout au long de l'année pour faire vivre cette culture du cinéma sur le territoire. Ça me semble être totalement dans les idées que développe le conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes pour diffuser la culture. Donc il me semble qu'on coche toutes les cases !"

"La culture de la peur"

C'est dans les grandes villes de la région, telles que Lyon, Clermont-Ferrand ou Grenoble que les coupes sont les plus sévères. Dans la capitale des Gaules, le théâtre Nouvelle Génération, qui est un Centre Dramatique National, a perdu 100% de sa subvention en deux ans : plus de 150 000 euros, soit 7% de son budget. Pour son directeur, Joris Mathieu, aucun doute : c'est parce qu'il a dit sur le site de son syndicat professionnel, le Syndéac, que "la région était gouvernée par la culture de la peur", que son théâtre a été sanctionné. Un recours auprès du tribunal administratif a été déposé. Sophie Rotkopf conteste : "Il n'y a eu que des échanges par médias interposés, avec une volonté de brouiller les pistes. Il n'y a pas de dialogue, j'en suis la première attristée. C'est la seule structure dans la région avec laquelle on n'arrive pas à discuter."

Sur le fonds, Joris Mathieu cite le même rapport de l'Inspection générale des affaires culturelles, que la nouvelle ministre de la Culture, Rachida Dati, sur les grandes structures qui tourneraient le dos aux territoires ruraux. "Ce rapport dit qu'il y a seulement 5% de scènes labellisées implantées en territoires ruraux, c'est quelque chose dont tout le monde à conscience. Mais ce même rapport pointe, dès 2021, c’est-à-dire bien avant le fait que la région n'affirme réorienter sa politique, que les scènes labellisées, comme les Centres dramatiques nationaux, sont particulièrement exemplaires en région Auvergne-Rhône-Alpes dans leur capacité à couvrir largement le territoire. Donc la région s'est appuyée sur un a priori qui n'était absolument pas objectivé par des chiffres."

Une crise de la décentralisation culturelle

Au-delà de l'ambiance actuelle pour le moins pesante, beaucoup d'acteurs culturels, attachés au financement croisé Etat-collectivités territoriales, craignent que ce soit un cas révélateur d'une crise de la décentralisation culturelle, telle que François Mitterand et Jack Lang l'avaient initiée.

"Aujourd'hui, on ne peut pas reprocher à la région de ne pas jouer le jeu des financements croisés", insiste Sophie Rotkopf, qui nie vouloir sortir de ce modèle.

"On n'est pas du tout en train de déshabiller Paul pour habiller Jacques, on rééquilibre ! C'est peut-être une petite révolution et je comprends que ça puisse sembler brutal. Pour autant chaque euro a été dépensé, il n'y a pas eu d'économie faite sur le dos de la culture en région et il n'y en aura pas de faite."

Sophie Rotkopf

à franceinfo

Redistribués et dépensés les quatre millions d'euros supprimés depuis 2022 ? Joris Mathieu, directeur du Théatre Nouvelle Génération à Lyon, n'est pas du tout convaincu : "L'appel à projets destiné à mener des actions en territoires ruraux, en lien avec des communes, était doté cette année de deux millions, et non pas de quatre. Et sur ce deux millions, seul un million a été distribué. Donc, en effet, au niveau de nos syndicats, on s'interroge : où part l'argent et comment il est utilisé réellement ?"

Avec 8,44 euros par an et par habitant dépensés pour la culture, la région Auvergne Rhône-Alpes reste en dessous de la moyenne nationale des autres régions qui est de 12 euros. Et pour de nombreux acteurs culturels de la région, qui n'ont pas voulu s'exprimer par crainte de représailles, le système Wauquiez ouvre la porte au clientélisme.

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