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Reportage
"La population augmente et le travail diminue": l'immense défi de l'Inde, le pays le plus peuplé du monde, face à l'emploi

Le taux de chômage en Inde a atteint 8,3 % en décembre 2023, son plus haut niveau depuis 45 ans. Un chômage particulièrement élevé chez les jeunes de moins de 25 ans, puisque 45% d'entre eux n'ont pas d'emploi.
Article rédigé par franceinfo - Farida Nouar
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Gory Sankar est ouvrier à la journée, il n'a pas de travail tous les jours et s'inquiète pour l'avenir de ses enfants. (FARIDA NOUAR / RADIO FRANCE)

Cette semaine du lundi 10 avril, l’Inde devient officiellement le pays le plus peuplé au monde, avec 1 428 000 000 d’habitants. Le pays devance donc désormais la Chine, et tout l’enjeu pour Delhi sera de transformer cette force démographique en croissance et en force économique. Pour cela, il faudra donner du travail à tous et surtout aux jeunes. Car aujourd'hui, la moitié des Indiens ont moins de 25 ans et cela se voit très vite quand on met le pied à Delhi.

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Ce qui frappe dans la capitale indienne, c’est cette circulation chaotique où taxis, bus, rickshaws et piétons se frôlent. Il y a aussi cette nuée de scooters qui se faufilent dans les rues de Delhi et qui permettent de vivre à des centaines de millions d’Indiens, comme Santander. Devant un restaurant, polo rouge siglé "Zomato", le géant indien de livraison de repas, et casque vissé sur la tête, il attend sa prochaine commande. Il est coursier depuis trois ans. "Pendant le confinement, il n’y avait pas de travail donc j’ai été obligé de choisir ce boulot", confie-t-il. "Parfois il fait trop chaud, ou il pleut, parfois la moto tombe en panne ... C'est comme ça ! Mais l’avantage, c’est que je suis libre de travailler comme je le veux."

Le poids de l'économie informelle

Coursier, livreur, vendeur de thé, coiffeur de rue, en Inde, 80 % de l’économie du pays est en réalité informelle. Ces emplois sont précaires, sans aucune sécurité ni statut. Si Santader, le coursier, semble s’en satisfaire, ce n’est pas le cas de Gory Sankar. "Je fais de la peinture, des travaux de réparation, du plâtre, explique ce père de famille et ouvrier à la journée. Je ne travaille pas tous les jours, ce n’est pas un emploi fixe. J’essaie de me débrouiller avec ce que je gagne, mais je n’ai pas le choix. Il n’y a pas suffisamment de travail, pas suffisamment d’argent. Cela m’angoisse 24 heures sur 24. Je n’ai pas de diplôme… Je fais tout pour que mes enfants soient scolarisés, qu’ils aient des compétences, mais cela va être difficile, car la population augmente et le travail diminue."

Le taux de chômage en Inde a atteint 8,3 % en décembre dernier, il n’a jamais été aussi élevé depuis 45 ans. Le secteur privé n’offre pas assez d’opportunités et les entreprises se plaignent de ne pas trouver d’employés compétents. Pour trouver du travail, beaucoup se tournent donc vers les concours de la fonction publique, mais ceux-ci sont très sélectifs. En 2018 par exemple, 23 millions d’Indiens ont passé le concours des chemins de fer pour seulement 100 000 postes.

Payl (au centre) et Raj (à droite) préparent tous les deux les concours très sélectifs pour entrer dans la fonction publique. (FARIDA NOUAR / RADIO FRANCE)

Au campus de la Jawaharlal Nehru University, assis sur un banc en face de la bibliothèque, Raj fait une pause. Sur son téléphone, il regarde fébrilement une horloge numérique. "C’est le compte à rebours : il me reste 50 jours, 400 heures, 26 minutes et 31 secondes… Ah non 21 !" Car l’étudiant prépare un concours pour travailler dans la diplomatie. Comme lui, des millions d’Indiens convoitent aujourd’hui un emploi dans le secteur public avec chaque fois, un nombre colossal de candidats pour peu d’élus. "C’est la sécurité, c’est sûr", s'enthousiasme Raj. "Vous devenez un fonctionnaire de l’État et ensuite, c'est dur de vous licencier !"

On peut vivre correctement avec les salaires de l’État, socialement aussi vous devenez plus influent. J’ai un ami qui a réussi le concours, et grâce à cela son père est devenu le chef du conseil du village … Il y a un effet domino.

Raj, étudiant

franceinfo

Son ami Payl, 24 ans, prépare lui aussi un concours pour entrer dans l’administration. "Je viens du Rajasthan. Si vous vous rendez dans l'un de ses districts pour assister à une réunion et que vous dites que vous venez du privé, les gens n’accorderont aucune importance à votre parole, raconte-t-il. Mais si vous êtes fonctionnaire, ils diront : 'Ok cette personne a du calibre, une opinion.' Ma société accorde donc une plus grande valeur à la fonction publique. Et c’est pour cela que je veux atteindre ce prestige." Payl souhaite aussi ne pas faire partie des statistiques : aujourd’hui, 45 % des jeunes de moins de 25 ans sont au chômage dans le pays.

Faire revenir les femmes dans le marché du travail 

Mais en Inde, le défi de l’emploi est aussi de faire revenir les femmes sur le marché de l’emploi, car leur taux de travail est l’un des plus bas du monde. Seules 20% des Indiennes travaillent ou recherchent un emploi. Beaucoup sont diplômées, mais elles se retirent du marché, car dans cette société patriarcale, c’est un honneur pour un homme de subvenir seul aux besoins de sa famille. Louania, 25 ans, est diplômée en gestion d’entreprise. Elle a travaillé pendant quelques mois puis elle a dû s’arrêter après le mariage. "Ma belle-famille me reprochait de ne pas consacrer assez de temps aux tâches ménagères et trop à mon travail, raconte-t-elle. Aujourd’hui, je me lève, je prépare le petit-déjeuner pour eux, le ménage, puis le déjeuner, le dîner pour eux. Je suis à leur service."

Je regrette de m’être mariée à quelqu’un qui a l’esprit fermé ... Mais que puis-je y faire maintenant ? Le gouvernement devrait valoriser les femmes.

Louania, femme au foyer

franceinfo

Anouska apprend le français et envisage de quitter l'Inde car pour la jeune femme, aucun avenir professionnel ne l'attend dans son pays (FARIDA NOUAR / RADIO FRANCE)

Dans son côté, Anouska prépare son avenir en prenant des cours de français. "J'apprends le français parce que je veux travailler à Paris", dit-elle en français. L’étudiante préfère quitter l’Inde, car elle a le sentiment que le pays ne sera pas capable de relever le défi de l’emploi. "Il n’y pas d’opportunités de travail ici", regrette-t-elle. "Peut-être dans un futur très lointain, mais dans les cinq prochaines années, je ne pense pas." Car il faudra du travail pour tous et tout de suite. Selon le gouvernement indien, la population en âge de travailler s’élèvera à plus d’un milliard dans la prochaine décennie. Il faudra donc créer un million d’emplois par mois au risque de gâcher cette manne démographique.

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