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"J'aurais pu y rester" : les ravages du protoxyde d'azote chez les jeunes, un "gaz hilarant" très addictif

Vendus dans les supermarchés, il est consommé en soirée par de plus en plus d'adolescents et de jeunes adultes. Médecins, élus et ex-adeptes du "proto" alertent sur les risques de dépendance et de dommage neurologiques.

Article rédigé par Solenne Le Hen
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
De plus en plus d'adolescents et de jeunes adultes inhale le protoxyde d'azote pour ses effets hilarants et deviennent dépendants. Photo d'illustration. (MYRIAM TIRLER / HANS LUCAS)

À partir de capsules ou même de bonbonnes, les plus jeunes gonflent des ballons qu’ils aspirent ensuite. Le protoxyde d'azote, qui sert à l'origine à faire de la chantilly, est en vente dans les supermarchés et les épiceries. Au début c’est drôle, cela fait rire, on l'appelle même le "gaz hilarant". Nawel 30 ans, a testé la première fois en soirée, avec des amis : "C'est euphorisant, ça fait planer. On est déconnecté, on est dans un autre monde."

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"Après, je suis tombé vraiment accro, poursuit Nawel. Il m'arrivait de me réveiller, il fallait absolument que je prenne le ballon. C'était pas des ballons, c'était des bonbonnes ! Par jour, il m'arrivait [de consommer] cinq ou six bonbonnes. J'en avais besoin." Cinq, six bonbonnes, c’est l’équivalent de 500 à 600 capsules pour faire de la chantilly. Au bout de quelques semaines, le protoxyde d'azote a commencé à atteindre le système nerveux central de Nawel : "Au début, j'ai commencé à avoir des picotements au niveau des mains et au niveau des pieds. Ensuite, j'ai commencé à perdre le toucher."

"Je ne sentais plus ni mes jambes, ni mon ventre, ni mes bras. Rien. Je me levais, mais je ne tenais pas debout. Je tombais. Je pensais que j'allais y rester. J'aurais pu y rester". 

Nawel, 30 ans

à franceinfo

Thibault, 20 ans, est même allé jusqu’à 25 bonbonnes par jour."J'ai vu la plupart de mes proches s'écarter de moi par rapport à mon comportement, se souvient-il. Je passe par toutes les émotions, sous ballon : t'es énervé, après tu es triste, t'es heureux, tu veux tout arracher. Ça joue vraiment avec les émotions." Et puis, lui aussi, un jour, se réveille paralysé : "Tout ce qui était les choses les plus banales de la vie, je ne pouvais plus le faire. Ça touche vraiment neurologiquement, c'est vraiment quelque chose qui blesse dans le corps".

Des troubles neurologiques qui perdurent

Heureusement, au bout de quelques mois, Nawel et Thibault ont fini par récupérer leur mobilité. Mais ce n’est pas le cas de tous, et on sait encore peu de choses des possibles séquelles, explique le Pr Brigitte Chabrol, directrice du service de neuropédiatrie de l’hôpital de la Timone, à Marseille : "Il y a des formes qui se chronicisent avec des jeunes qui vont garder des troubles neurologiques sur le long cours. On ne peut pas dire si c'est à dix, vingt ans, parce qu'on n'a pas encore assez de recul. "

"Il y a des jeunes qui sont suivis depuis plus de deux ans et qui gardent des signes, des gênes à la marche, alors que c'était des jeunes qui avaient une motricité strictement normale et aucune maladie neuromusculaire sous-jacente".

Brigitte Chabrol, cheffe du service de neuropédiatrie à l'hôpital de La Timone, à Marseille

à franceinfo

En France, les cas d’atteintes neurologiques dues au protoxyde d’azote ont été multipliés par trois en un an. Problèmes neurologiques donc, mais aussi cardiaques, et même parfois des décès. 

Informer "sans culpabilisation"

La consommation de protoxyde d’azote s’est banalisée chez les ados et les jeunes adultes. Plus d’un quart des étudiants ont déjà essayé, 5 à 6% des élèves de 3e. Quelle prévention mettre en place ? Si depuis un an la vente de protoxyde d’azote est interdite aux mineurs, dans les faits on trouve des bars à "proto" dans les fêtes. Il s’en vend sur internet pour 20-25 euros la cartouche. Alors le Dr Chérif Héroum, chef du service de neurologie à l’hôpital de Montélimar (Drôme) et adjoint au maire de la ville, a décidé, par exemple, de lancer une campagne d’information avec un message : "Pour faire simple : le gaz hilarant, c'est pas marrant".

Avec sa double casquette de médecin et d'élu, il va aller à la rencontre des collégiens, lycéens de Montélimar et leur montrer un dessin animé : "C'est de l'information qui est présentée, sans jugement de valeur, sans culpabilisation. Il n'y a pas d'interdit, c'est le panneau de danger."

"On insiste sur le danger. Si on est dans des approches comminatoires, avec des interdits, des jugements de valeur, c'est absolument contre-productif."

Dr Chérif Héroum, chef du service de neurologie à l'hôpital de Montélimar

à franceinfo

La police française a récemment réalisé de grosses saisies de protoxyde d’azote provenant des Pays-Bas, de Belgique. Le "proto" fait en effet l’objet de trafic, affirme Nicolas Prisse, président de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et conduites addictives (Mildeca). Il en appelle aussi à la vigilance des commerçants français qui en vendent librement : "On ne peut pas laisser des gamins partir avec une caisse de protoxyde d'azote, ils ne vont pas faire de la chantilly. Sincèrement, que ce soit des mineurs ou même des jeunes majeurs, il faut essayer d'éviter de participer de cette banalisation de la consommation du protoxyde d'azote aujourd'hui en France".

Nicolas Prisse invite également les fabricants des cartouches à chantilly à changer leur formule chimique. "Il doit bien y avoir un moyen, dit-il, de faire de la chantilly autrement qu’avec du protoxyde d’azote".

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