Horaires intenables, salaires de misère, conduite dangereuse : le quotidien des forçats de la livraison à domicile
Le nombre de livreurs a explosé avec les confinements et les couvre-feux. Le soir, on ne voit plus qu'eux ou presque dans les rues des villes. Le choix de franceinfo est consacré au quotidien de ces travailleurs précaires devenus "essentiels" pendant l'épidémie de Covid-19.
Il est 20 heures dans un Paris sous couvre-feu. À un carrefour de la capitale, on entend le ballet des livreurs à scooter ou à vélo. Sur une place parisienne, il y a un fast-food, qui est un peu comme un port d'attache pour eux. Avec l’épidémie de Covid-19, le nombre des livreurs des plateformes comme Deliveroo ou Ubereats a explosé. Amarré à cette place, il y a Mamadou et son vélo. Sur son téléphone, une sonnerie retentit. Elle va rythmer la soirée de Mamadou. "J’ai une course du McDonald de Beaugrenelle, explique-t-il. Je l’accepte."
Chaque seconde a son importance
Et la course contre la montre commence. Chaque seconde a son importance. Le restaurant traîne à envoyer la commande, c'est de l'argent perdu. Mamadou se trompe dans son itinéraire, c'est de l'argent perdu. Devant chez le client, il faut monter au 6e étage, c'est de l'argent perdu.
Entre la sonnerie et la livraison, il s'est écoulé 20 minutes. Mamadou a gagné 3 euros… Alors pour espérer un salaire décent, "il faut que tu commences à 9 heures et termine à 21 ou 22 heures avec une ou deux heures de pause, pour vraiment gagner ta vie, décrit Mamadou. Sachant que tu fais ça six jours sur sept au moins, ou même sept jours sur sept le plus souvent parce que sinon tu ne peux pas… Le prix des courses a été diminué, ça régresse tout le temps. Il faut travailler beaucoup, être beaucoup sur la route et risquer par moment ta vie."
Si tu as un loyer à payer, de la famille à nourrir, ce n'est pas évident. Tu ne peux pas t'en sortir.
Mamadou, livreurà franceinfo
Entre 20 heures et 22 heures, heure de fermeture des restaurants, Mamadou a réalisé six courses. Il a gagné une trentaine d'euros ce soir-là. "Je vais rentrer, lance-t-il. Je vais arrêter parce qu'il y a la fatigue aussi. Ça tire quand même, tu as des douleurs cervicales. Forcément, dès que tu te couches, les muscles sont fatigués, tu t'endors tout de suite. Par moment, tu te réveilles avec des courbatures."
Les bonus augmentent les risques
Le lendemain matin, nous rencontrons des livreurs à scooter. À la différence des vélos, ils ont des frais importants : achat du scooter, entretien, essence, assurance. Alors pour compenser, il faut enchaîner les courses. "Tu es obligé de faire vite pour gagner plus", lance Aref. Je grimpe à l'arrière de son scooter. Feux rouges grillés et vitesse trop élevée, Aref prend des risques. Le tout pour gagner 27 euros ce jour-là.
Les risques augmentent certains soirs parce que des plateformes mettent en place un système de bonus, comme les week-ends ou les jours de match. Si vous faites dix courses en une heure, vous gagnez 20 euros de bonus. Et là, il n'y a plus vraiment de code de la route, de l'aveu même des livreurs, comme Sékou : "S’il y a des bonus, il y a beaucoup de gens qui font des infractions. Par exemple, ils roulent à contresens, ils roulent n’importe comment en fait." Et malgré ces risques et ces salaires très bas, le nombre de livreurs a explosé ces derniers mois.
Les profils de ces livreurs sont assez variés. Aref, par exemple, travaille à mi-temps dans un supermarché, en plus de son boulot de livreur. Ils sont nombreux dans ce cas. "Je suis chauffeur dans un ministère, témoigne un jeune homme qui veut rester anonyme. Mais avant d'embaucher, je me lève très tôt le matin pour livrer des petits déjeuners. Après, je vais au travail. Entre midi et deux, je redeviens livreur à scooter. Ensuite, je retourne au ministère, et le soir, je redeviens livreur".
Enfourcher un vélo pour survivre
Il s’agit d’un complément de salaire donc pour certains. Ensuite, il y a ceux qui livrent sept jours sur sept. Parmi eux, sur la trentaine de livreurs rencontrés, la moitié d'entre eux ont perdu leur emploi pendant l’épidémie de Covid-19. Beaucoup de cuisinier, des serveurs, ou d'anciens intérimaires également comme des peintres en bâtiment, ou des plaquistes... Du jour au lendemain, ils ont dû enfourcher un vélo pour survivre.
Au sein de ce nouveau prolétariat, il y a également un sous-prolétariat chez les livreurs, ce sont les sans-papiers. Impossible pour eux de s'inscrire sur les plateformes alors ils louent des comptes. C’est le cas de Joseph, un malien arrivé en France en 2018. Il confie donner "des fois 50 euros, des fois 100 euros" par semaine à la personne à qui il loue son compte alors que lui ne gagne que 200 à 300 euros par semaine. Un tiers du maigre salaire de Joseph est détourné. Selon les syndicats de livreurs, environ 30% des livreurs de plateformes à Paris sont des sans-papiers. Les plateformes tentent d'endiguer ce phénomène, notamment en mettant en place des systèmes de reconnaissance faciale, via un smartphone, à la prise de service.
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