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Enquête
Coupe du monde de football 2022 au Qatar : dans les coulisses du déjeuner de l’Élysée qui a tout fait basculer
La cellule investigation de Radio France et l’émission "Complément d’enquête" sur France 2 se sont associées pour enquêter sur les dessous de l’attribution de la Coupe du monde 2022 au Qatar.
"Par quel miracle le Qatar, qui avait le plus mauvais dossier de tous les candidats, a obtenu la Coupe du monde ? Si vous êtes croyant et qu’on se retrouve lors du jugement dernier, il faudra poser la question au Bon Dieu !" Lorsque nous le rencontrons sur les hauteurs de Zürich, dans une maison peuplée de photos où on le voit s’afficher aux côtés de chefs d’État ou du pape, Sepp Blatter fait mine de s’interroger. À 86 ans, l’homme qui a passé 17 ans à la tête de la Fifa (1998-2015) connaît tous les secrets du foot business. C’est lui qui, le 2 décembre 2010, annonce à la stupéfaction générale que le Qatar décroche la Coupe du monde 2022. Alors qu’il disposait du plus mauvais dossier technique, l’émirat l’emporte avec 14 voix contre huit pour le grand favori, les États-Unis.
Depuis 2016, la justice française enquête. Une information judiciaire pour corruption a été ouverte en 2019. Nous avons donc exploré les pistes suivies par les juges d’instruction. Toutes mènent vers un “deal” global qui aurait été noué entre la France et le Qatar, lors d’un déjeuner à l’Élysée, le 23 novembre 2010. Selon nos informations, ce jour-là auraient été évoquées comme contreparties possibles en échange du soutien de la France au Qatar : le rachat du PSG, mais aussi la vente de 24 avions de combat Rafale (finalement vendus au Qatar en 2015). Un rendez-vous entre Claude Guéant, alors secrétaire général de l’Élysée, et un sulfureux homme d’affaires qatari au lendemain de ce déjeuner intrigue également les enquêteurs.
Un déjeuner radioactif
"Le déjeuner organisé à l’Élysée le 23 novembre 2010 a constitué un tournant décisif (…) en favorisant l’attribution de la Coupe du monde au Qatar." C’est la conclusion d’une note de synthèse du Parquet national financier (PNF) datée du 26 novembre 2019 que nous avons pu consulter.
Selon le plan de table récupéré par les enquêteurs, ils sont sept à y avoir participé dans le salon des ambassadeurs de l’Élysée : le président de la République, Nicolas Sarkozy, le secrétaire général de l’Élysée, Claude Guéant, la conseillère Sports du chef de l’État, Sophie Dion, le président de l’UEFA et vice-président de la Fifa, Michel Platini, le prince héritier du Qatar, aujourd’hui à la tête de l’émirat, Tamim Ben Hamad Al Thani, ainsi que le Premier ministre et ministre des Affaires étrangères du Qatar, Hamad Ben Jassem Al Thani, accompagnés d’une interprète.
Ce déjeuner parait si gênant que deux personnes démentent y avoir été présents. Claude Guéant explique n’avoir fait qu’accueillir la délégation qatarie lors d’un apéritif qui a précédé le déjeuner, tandis que Sophie Dion dit n’en avoir conservé "aucun souvenir". Lors de sa garde à vue, le 18 juin 2019, l’ancienne conseillère Sports de Nicolas Sarkozy a pris ses distances avec les différents protagonistes de cette histoire : "Je vous jure sur la tête de mes enfants que je n’ai jamais entendu parler à l’Élysée de l’attribution de la Coupe du monde au Qatar", affirme-t-elle aux policiers.
Difficile de savoir ce qui s’y est dit précisément. Selon nos informations, les Archives nationales ont répondu aux juges d’instruction qu’il n’y avait "pas de document produit à l’issue du déjeuner". Le journaliste du Monde Rémi Dupré n’a pas pu avoir accès aux documents préparatoires au repas versés aux Archives. La Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) lui a répondu qu’ils étaient couverts par la protection des intérêts fondamentaux de l’État.
Le sujet est d’autant plus délicat que des intérêts géopolitiques et financiers ont pu se greffer à ce déjeuner. En 2021, le site Blast en a publié un compte-rendu en arabe, selon lequel les discussions entre Nicolas Sarkozy et les Qataris auraient porté sur le financement de la guerre en Libye, pour renverser Kadhafi, ce qui se produira trois mois plus tard. Ce compte-rendu, comme les autres documents publiés par Blast ont été versés au dossier judiciaire.
De possibles liens financiers entre la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy de 2007 et le Qatar intriguent également les enquêteurs. Selon un rapport de la police anticorruption révélé par Mediapart, sept mois après le déjeuner de l’Élysée, le chef de l’État aurait fait financer par l’émirat des prestations de communication qu’il n’avait pas déclarées dans son compte de campagne en 2007. Autant d’éléments qui confèrent à ce déjeuner un caractère ultra-sensible.
Objectif : convaincre Platini de voter Qatar
Des notes (révélées en 2020 par Mediapart) rédigées par Sophie Dion, saisies lors d’une perquisition à son domicile, montrent que dès mars 2010 (soit huit mois avant le déjeuner), l’Élysée s’intéressait déjà de très près au rôle que pouvait jouer Michel Platini pour favoriser la candidature du Qatar. "Michel Platini a une influence non négligeable sur le vote des membres de la Fifa. La délégation qatarie espère obtenir le soutien de la France et du président de l’UEFA, Michel Platini", écrit Sophie Dion dans l’une de ses notes préparatoires au déjeuner.
Mais pour l’Élysée, le soutien de Platini au Qatar n’est pas garanti. C’est ce qui ressort d’une autre note de Sophie Dion adressée au chef de l’État et au secrétaire général de l’Élysée, la veille du déjeuner de l’Élysée. Sophie Dion explique que le rendez-vous du 23 novembre se fera en deux séquences. Il y aura d’abord, un tête-à-tête de 12h30 à 13 heures, entre Michel Platini et le président Sarkozy portant sur la réélection de Platini à la tête de l’UEFA et sa candidature potentielle à la Fifa. Puis une seconde séquence de 13 heures à 14h30 où ils seront rejoints par la délégation qatarie. Et Sophie Dion conclut dans sa note : "Michel Platini devrait être réservé sur cette candidature du Qatar lors de la première séquence du rendez-vous. Naturellement devant vos hôtes, sa position doit être plus favorable."
"Je savais que Michel Platini était réservé sur l’attribution de la Coupe du monde au Qatar, finit par lâcher Sophie Dion aux enquêteurs. Mais je ne trouvais pas opportun qu’il le dise au cours de ce déjeuner."
Une ingérence politique
Ce déjeuner "était une ingérence politique", nous a affirmé Sepp Blatter, comme il l’a déclaré aux enquêteurs, en avril 2017. L’ancien président de la Fifa nous raconte : "Michel Platini m’a appelé juste après. Le président Sarkozy lui a recommandé de voter pour le Qatar. Platini m’a dit : ‘Qu’est-ce que tu ferais toi, si ton président te recommandait une chose pareille ?’ Je lui ai répondu que nous n’avions pas de président en Suisse. Puis Platini m’a dit : ‘Notre entente ne tient plus. Tu ne peux plus compter sur mes voix au conseil exécutif de la Fifa’. Ça a changé la donne des cartes." Dans l’esprit de Sepp Blatter, Michel Platini aurait donc pu influencer plusieurs représentants européens au comité exécutif de la Fifa : quatre ou cinq voix qui auraient pu faire pencher la balance en faveur du Qatar.
Sepp Blatter affirme qu’avant le déjeuner de l’Élysée, il existait "un consensus" en faveur d’un ticket Russie/États-Unis pour les Coupes du monde 2018 et 2022. "C’était encore la guerre froide, nous explique Sepp Blatter. La Fifa aurait pu être un agent de paix en désignant ces deux pays pour la Coupe du monde." "C’est archi-faux", répond Platini aux enquêteurs, le 14 décembre 2017, tout en reconnaissant avoir bien appelé le président de la Fifa après le déjeuner. Concernant ce déjeuner de l’Élysée, il assure qu’il avait déjà décidé de voter pour le Qatar et qu’il souhaitait "le dire au président de la République". "Monsieur Sarkozy ne m’a jamais demandé de voter pour qui que ce soit, mais j’ai cru comprendre qu’il soutenait le Qatar, explique Michel Platini. Il n’y avait aucune possibilité de m’influencer sur quoi que ce soit. (…) Beaucoup de monde savait que j’allais voter pour le Qatar."
Michel Platini affirme cependant avoir été surpris de découvrir la présence des autorités qataries autour de la table. "Ce n’est pas sympa de sa part d’avoir organisé un déjeuner avec tout le monde, dit-il sur procès-verbal, alors que je pensais déjeuner avec lui. Il aurait pu le faire plus discrètement. (…) Mais j’ai bien compris qui il supportait." Nicolas Sarkozy ne cache effectivement pas son soutien à la candidature du Qatar. "Il avait décidé pour des raisons géopolitiques de soutenir la candidature du Qatar", confirmera Claude Guéant aux enquêteurs. Le déjeuner de l’Élysée "devait être l’occasion pour le Qatar de faire valoir les atouts de sa candidature auprès d’une personnalité influente de la Fédération internationale de football", c’est-à-dire Michel Platini, ajoute Claude Guéant.
La volte-face de Platini
La version d’un Michel Platini bien décidé à voter Qatar avant le déjeuner de l’Élysée ne convainc cependant pas la justice, car elle est contredite par deux de ses proches collaborateurs. "En juin 2010, Michel Platini n’envisage pas de voter pour la Russie, ni pour le Qatar, affirme son ancien directeur de cabinet Kevin Lamour, le 16 janvier 2018. Je pense [que Platini] va voter Angleterre [pour 2018] / États-Unis [pour 2022]. Je me souviens que lors d’un petit-déjeuner à Johannesburg [en Afrique du Sud], il nous avait annoncé que si c’était Russie-Qatar, ce serait la fin de l’UEFA en termes d’image." "Il avait une sorte de mépris pour la candidature du Qatar qu’il trouvait loufoque", confirme sur procès-verbal l’ancien directeur de la communication de Michel Platini, William Gaillard, le 15 décembre 2017.
Pour l’organisation de la Coupe du monde 2022, Michel Platini semble d’abord privilégier la candidature des États-Unis. Il se serait même engagé auprès du président de la Fédération américaine de football, Sunil Gulati. "Les États-Unis étaient au départ candidats pour [la Coupe du monde] 2018 et se sont ensuite retirés à la demande de Platini, affirme encore l’ancien directeur de la communication de Platini, William Gaillard. Je le sais puisque c’est moi qui menais les négociations pour lui. C’est moi qui connaissais le mieux Sunil Gulati, le président de la fédération de football des États-Unis. (…) À la demande de Michel Platini, j’ai dîné avec lui à Nyon [en Suisse, siège de l’UEFA] et je lui ai expliqué que l’UEFA ne soutiendrait pas la candidature des États-Unis contre un pays européen pour 2018, mais en revanche que Michel Platini soutiendrait leur candidature pour 2022 s’ils se désistaient pour 2018." Cette rencontre se serait déroulée en septembre 2010, soit deux mois avant le déjeuner de l’Élysée.
Selon son ancien directeur de cabinet, Kevin Lamour, la position de Michel Platini aurait commencé à évoluer un mois avant le déjeuner de l’Élysée, à l’occasion de la présentation officielle de la candidature qatarie, à Genève, le 21 octobre 2010. "Michel Platini leur a laissé entendre qu’il pourrait voter pour le Qatar, mais en leur disant que si jamais le Qatar gagnait, il militerait pour que la Coupe n’ait lieu pas seulement au Qatar, mais dans toute la région, comme un grand symbole. Et aussi qu’il faudrait vraisemblablement changer le calendrier", se souvient Kevin Lamour.
Son ancien directeur de cabinet évoque également "le lobbying qu’exerçait sur [Michel Platini] Marios Lefkaritis en faveur du Qatar". Marios Lefkaritis est un homme d’affaires chypriote, vice-président, trésorier et membre du comité exécutif de la FIFA en 2010. En mai 2011, cinq mois après le vote désignant le Qatar vainqueur, le fonds souverain de l’émirat Qatar Investment Authority (QIA) achète un terrain 32 millions d’euros au groupe du même Lefkaritis, membre du comité exécutif de la FIFA.
Michel Platini réfute de son côté tout lobbying ou pression extérieure : "Je pars du principe que la Coupe du monde est la plus grande des compétitions, dit-il sur procès-verbal. On ne doit pas être figé. (…) Je suis quelqu’un qui s’intéresse au développement du football dans le monde entier, j’ai vite compris qu’il fallait que je donne [la Coupe du monde] au monde arabe pour 2022 d’une part, et aux pays de l’Est d’autre part pour 2018. (…) Les pays arabes étaient les seuls à ne pas l’avoir eue."
Il faut sauver le PSG
Si Michel Platini dément avoir été influencé par Nicolas Sarkozy pour voter en faveur du Qatar, il laisse néanmoins entendre que certaines "choses" auraient pu se négocier derrière son dos.
Ainsi, lors de sa garde à vue, le 18 juin 2019, il lâche cette phrase lourde de sous-entendus : "Nicolas Sarkozy a pu profiter de mon vote pour faire le barbot auprès de qui il voulait… pour les besoins de la France, j’espère." En 2014, devant les caméras de Complément d’enquête Platini déclarait déjà : "Peut-être que Nicolas Sarkozy savait que j’allais voter pour le Qatar. Et donc peut-être qu’il a vendu ma voix au Qatar au nom de la France pour avoir plein de choses." C’est le fil que tire actuellement la justice française : d’éventuelles contreparties négociées par Nicolas Sarkozy en échange du soutien de la France à la candidature du Qatar.
Et le premier dossier concerne le Paris Saint-Germain. À l’époque, le club de football de la capitale appartient à un fonds d’investissement américain : Colony Capital. Son directeur général en Europe, Sébastien Bazin, est un proche de Nicolas Sarkozy. La fille de Sébastien Bazin faisait partie des enfants pris en otage dans l’école maternelle de Neuilly, en mai 1993 (ville dont Nicolas Sarkozy était alors maire). "À l’époque, la situation n’est pas bonne financièrement pour le PSG, rappelle le spécialiste des rachats de clubs, Luc Dayan, qui en 2006 avait déjà tenté d’aider le Qatar à racheter le PSG. Chaque année, Colony Capital est obligé de remettre de l’argent pour équilibrer les comptes. Durant cinq ans, le club a dû perdre entre 70 et 100 millions d’euros. Et l’actionnaire commence à s’inquiéter."
En juin 2011, le fonds d’investissement QSI (Qatar Sports Investments) débourse 76 millions d’euros (selon une enquête de France Football) pour racheter le club. "Ça a sauvé Colony Capital et permis aux Qataris d’avoir la Coupe du monde", ajoute Luc Dayan. Le rachat du PSG s’est-il invité au déjeuner de l’Élysée ? Des textos de Sébastien Bazin récupérés par les enquêteurs le laissent penser. "Nicolas Sarkozy vient de m’appeler, il déjeune aujourd’hui avec Son Altesse Tamim à l’Élysée. Je lui ai donné les messages clés", écrit Sébastien Bazin à un proche, le jour du déjeuner. Au lendemain du déjeuner, il écrit de nouveau : "Nicolas Sarkozy m’a rappelé. Son excellence lui a confirmé que le deal interviendrait après le 2 décembre." Le 2 décembre 2010, soit le jour de l’attribution de la Coupe du monde à Zürich. Contacté, Sébastien Bazin explique que l’acquisition du PSG par QSI s’est effectuée "sans intermédiaire" et sans "contreparties (…) autre que le prix de cession."
"Sébastien Bazin m’a demandé si je pouvais l’aider, a affirmé Nicolas Sarkozy sur le plateau de l’Équipe du soir, le 23 janvier 2018. Mais c’était engagé déjà depuis bien longtemps. Ce n’est pas moi qui ai dit à Tamim d’acheter le PSG ni à Sébastien Bazin de vendre le PSG." Les policiers interrogent Michel Platini : "A-t-il été évoqué au cours de ce déjeuner du 23 novembre 2010 le rachat du PSG ?" "Ils ont dû en parler." "Mais encore ?" "Je suis désolé, je me répète mais il s’agit d’un déjeuner où je ne me sentais pas à l’aise parce que dans le cadre de mon activité de président de l’UEFA, cela prêtait à confusion, [avec] des problèmes d’éthique notamment. À tel point que j’en avais parlé après avec Sepp Blatter", ajoute Michel Platini. Lorsqu’il est entendu le 20 avril 2017, Sepp Blatter explique, de son côté, que Michel Platini lui aurait dit : "Nicolas Sarkozy m’a parlé des intérêts français."
Le bingo des droits TV
Mais Doha ne se contente pas de voler au secours du PSG ... En juin 2011, le Qatar va également renflouer les caisses du football français en faisant monter les enchères sur les droits télévisés du championnat de France de Ligue 1, face à Canal + alors en situation de monopole. Un an plus tard, la chaine BeIn Sports est lancée. Or cette question des droits télé intrigue les enquêteurs.
Le 11 novembre 2010, trois semaines avant le vote décisif pour la Coupe du monde, un contrat de 300 millions de dollars est signé entre la Fifa et la chaîne qatarie Al Jazeera concernant l’achat des droits télévisés pour les Coupes du monde 2018 et 2022. Une clause de ce contrat attire l’attention : elle prévoit un bonus de 100 millions de dollars pour la Fifa si le Qatar décroche la Coupe du monde. Six millions de dollars devant être versés en exécution de ce contrat avant le 12 janvier 2011. "C’est une vraie stratégie d’influence, commente le spécialiste des rachats de clubs Luc Dayan. Est-ce de l’achat de votes ? Le vote de la Coupe du monde est la vache à lait de la Fifa." Interrogé sur ce point, Sepp Blatter laisse entendre qu’une telle clause a pu également être négociée par les autres pays candidats. "Je n’étais pas au courant, répond Michel Platini aux enquêteurs. C’est un problème de la Fifa, je suis extérieur à tout cela. (…) Un tel contrat ne m’aurait pas choqué. (…) La présence du Qatar permettait un surenchérissement des offres."
Mais ce n’est pas tout. Lors de l’assemblée générale de décembre 2010 précédant le vote, un bonus exceptionnel de 200 000 dollars aurait également été versé par la Fifa aux membres du comité exécutif, qui votent pour la Coupe du monde. "C’est un bonus exceptionnel reçu par rapport aux bons résultats de la Coupe du monde en 2010 [en Afrique du Sud], explique Michel Platini. C’est le pouvoir discrétionnaire du président de la FIFA de décider de l’attribution de ce bonus. Je l’ai perçu en même temps que tout le monde. J’ai payé des impôts dessus." En janvier 2011, Michel Platini reçoit également 2 millions de francs suisses (1, 8 millions d’euros) de la Fifa, correspondant selon lui à un paiement différé d’un travail effectué entre 1998 et 2002. En juillet 2022, Michel Platini et Sepp Blatter ont été relaxés par la justice suisse concernant ce paiement.
Dans une note de synthèse de novembre 2019, le Parquet national financier s’interroge sur un éventuel lien entre ces différents flux financiers et la Coupe du monde au Qatar. "Je suis blanc comme neige, je ne suis pas un corrompu, je ne suis pas pourri, ils peuvent chercher ce qu’ils veulent, ils ne trouveront jamais rien parce qu’il n’y a rien", nous a répondu Michel Platini, à la sortie du tribunal suisse de Bellinzone, en juillet 2022. Devant les enquêteurs, il a également démenti avoir reçu des cadeaux de la part des Qataris ou des Russes, ajoutant : "Des cadeaux, j’en reçois des tonnes depuis toujours. Tout le monde m’offre des montres à 10 000 euros."
Des questions se posent également sur l’embauche de son fils, Laurent Platini, en décembre 2011 par l’équipementier sportif Burrda Sport, filiale du fonds qatari QSI qui a racheté le PSG. Une note manuscrite saisie dans l’ancien bureau de Sébastien Bazin fait le lien entre le rachat du PSG par le Qatar et le salaire à venir du fils Platini, soit 150 000 euros par an. S’agit-il d’un renvoi d’ascenseur ? Michel Platini le conteste, expliquant que son fils a été recruté sur la "recommandation" de Sébastien Bazin, car le Qatar "recherchait des jeunes talentueux". "L’embauche de Laurent Platini chez Burrda n’a aucun lien" avec la vente du PSG à QSI, nous répond de son côté Sébastien Bazin. Laurent Platini, qui dément tout favoritisme, exercera ses fonctions de "general manager" chez Burrda Sport jusqu’en décembre 2016, avant de retourner travailler dans le groupe Lagardère, dont le Qatar est actionnaire, comme directeur marketing de la branche sport.
Quand le Rafale s’invite au déjeuner
Mais la Coupe du monde et le PSG n’étaient visiblement pas les seuls sujets de conversation au menu du déjeuner de l’Élysée. Dans une note jamais évoquée jusqu’ici, rédigée par la cellule diplomatique de l’Élysée à l’attention du président Sarkozy, que Complément d’Enquête et la Cellule investigation de Radio France ont pu consulter, des contrats d’armements figurent aussi en bonne place.
Extrait de la note rédigée par la cellule diplomatique :
A) Sport au Qatar
B) Candidature à la Coupe du monde
C) Relation France-Qatar dans le sport
D) Autres sujets bilatéraux, en cas d’aparté :
- Avions de combat
- Défense anti-missile globale
"La partie [de cette note] concernant les ventes d’armement provenait certainement de l’État-major particulier" de l’Élysée, déclare le conseiller diplomatique et sherpa de Nicolas Sarkozy, Jean-David Levitte, sur procès-verbal, le 20 mai 2019. Les avions de combat dont il est question dans cette note sont des Rafale.
"En novembre 2010, soit à peu près au même moment que le fameux déjeuner à l’Élysée, lors d’une conférence de presse à Doha, l’un des hauts dignitaires de l’armée qatarie évoque la possibilité de remplacer leurs avions Mirage un peu vieillissants par des Rafale ou par des avions américains, explique la journaliste Bérengère Bonte, auteure du livre-enquête La République française du Qatar. Les Qataris ont la volonté d’aller vite et de boucler ça avant la fin 2012, ce qui correspond à la fin du mandat de Nicolas Sarkozy. Le message est assez clair : les Rafale nous intéressent."
"Le Qatar n’a en fait pas besoin de Rafale, relève de son côté l’ancien officier du renseignement Alain Chouet. Le Qatar s’est dit : ‘Je vais renouveler mon contrat d’assurance, donc je vais proposer aux Français de leur acheter des Rafale.’ Leur idée c’est d’avoir la certitude que le jour où ils auront des problèmes, les Français viendront les aider." Autrement dit : il s’agissait d’un geste diplomatique de la part du Qatar, plutôt que d’une nécessité militaire. "Vendre ces Rafale pour Nicolas Sarkozy c’est important, ajoute Bérengère Bonte. Le Rafale, c’est la fierté, le couteau suisse, le joyau de l’industrie de défense française. C’est évidemment énormément d’emplois, un outil d’influence très fort. Et à ce moment-là, la France n’arrive pas à vendre cet avion."
Dans ce type de contrat, le poids de l’Élysée est énorme. "Les ventes d’avions de combat sont des actes politiques, expliquait le PDG de Dassault Aviation dans Le Monde en septembre 2009. Ce sont les politiques qui vendent." Ironie de l’histoire, ce sera François Hollande qui tirera le bénéfice politique de cette vente au Qatar, qui s’effectuera cinq ans plus tard. 24 Rafale sont vendus par Dassault pour 6,3 milliards d’euros, avec une option pour d’autres acquisitions. Selon un rapport de la commission des Affaires étrangères de décembre 2021 (voir p. 26), la vente de Rafale au Qatar s’est poursuivie : "30 des 37 avions commandés – 25 en 2015 et 12 en 2017- ont d’ores et déjà été livrés, les six derniers appareils devant être livrés avant avril 2022." "Nous avons eu des discussions avec le Qatar sur le Rafale, c’est vrai, reconnaît Claude Guéant lorsque nous l’interrogeons sur le sujet. Mais je ne vois pas le rapport avec la Coupe du monde."
Lors de son audition, les enquêteurs lui demandent cependant : "Le choix de soutenir la candidature du Qatar par la présidence de la République ne relevait-il pas de considérations économiques, que ce soit au titre des investissements qataris en France ou au titre des retombées de contrats au bénéfice des entreprises françaises, notamment principalement dans le domaine du BTP mais aussi dans celui de l’armement ?" "C’est vrai que nous avions une relation bilatérale de qualité avec le Qatar, se contente de répondre Claude Guéant. Vous me permettrez d’ajouter que tous ces éléments relèvent de l’appréciation du président de la République et du gouvernement."
Un Qatari très influent à l’Élysée
Un autre épisode, jusqu’ici jamais dévoilé intrigue les enquêteurs. Ils se sont intéressés à une note rédigée par Benjamin Gallezot, un ingénieur en armement en charge des dossiers industriels de la présidence. En juin 2022, Benjamin Gallezot a été nommé chargé de mission auprès du délégué général de l’armement au ministère des Armées. Selon cette note, au lendemain du déjeuner de l’Élysée, le 24 novembre 2010, le Qatari Ghanim Bin Saad Al Saad devait être reçu par le secrétaire général de l’Élysée. Ghanim Bin Saad Al Saad est un homme très influent qui dirige un conglomérat présent dans le BTP, l’aéronautique, le pétrole et la finance (Ghanim Bin Saad Al Saad and Sons Group, GSSG). Il dirige à l’époque Qatari Diar, une filiale du fonds souverain de l’émirat QIA qui brasse des milliards de dollars.
"Al Saad est quelqu’un qui a d’énormes moyens et beaucoup de contacts grâce à son business, décrypte le journaliste Philippe Auclair, coauteur d’un livre sur le Qatargate. Il peut accomplir certaines tâches utiles au Qatar, sans mettre en péril la réputation de l’émir." En 2012, Ghanim Bin Saad Al Saad sera cependant contraint de quitter la direction de Qatari Diar, rattrapé par plusieurs affaires judiciaires. Comme l’a révélé Mediapart, le FBI et la justice brésilienne le soupçonne d’avoir corrompu plusieurs membres du comité exécutif de la FIFA pour voter en faveur du Qatar.
L’homme d’affaires qatari est également soupçonné de malversations lors de l’achat de 5% de Veolia en juin 2010 par son fonds. La justice française le soupçonne d’avoir versé 182 millions d’euros de commissions occultes, à travers trois sociétés écran, à Chypre, en Malaisie et à Singapour. Selon nos informations, dans cette affaire Qatar-Veolia, une information judiciaire pour corruption, abus de biens sociaux, banqueroute et blanchiment commis en bande organisée a été ouverte par le Parquet national financier, en janvier 2020. Une commission rogatoire internationale a aussi été lancée par les juges en charge de l’enquête sur la Coupe du monde au Qatar pour analyser les comptes bancaires de Ghanim Bin Saad Al Saad.
Quant à savoir pourquoi l’homme d’affaire devait rencontrer Claude Guéant à l’Élysée, après le fameux déjeuner du 23 novembre : "Je n’ai aucun souvenir de cette rencontre avec M. Ghanim Bin Saad Al Saad", lâche l’ancien secrétaire général de l’Élysée sur procès-verbal, le 18 juin 2019. "Nous vous rappelons que ce rendez-vous avec M. Saad Al Saad intervient le 24 novembre 2010. Y a-t-il un lien entre ce rendez-vous d’un responsable d’un fonds souverain et le déjeuner de l’Élysée qui s’est déroulé la veille ?", lui demandent les enquêteurs. "Je ne vois pour ma part aucun lien", répond Claude Guéant. "Ça ne me dit rien. Je n’en n’ai pas le souvenir", nous répète l’ancien secrétaire général de l’Élysée, lorsque nous l’interrogeons sur cette rencontre.
Décrocher des contrats
Une fois le Qatar désigné comme organisateur de la Coupe du monde, l’Élysée espère décrocher d’autres contrats pour les entreprises françaises.
Selon nos informations, dès le 8 décembre 2010, soit six jours après la victoire du Qatar, une note de la délégation interministérielle à l’intelligence économique adressée à Claude Guéant et à Benjamin Gallezot, met l’accent sur les "opportunités de contrats liés à la Coupe du monde au Qatar et aux projets d’infrastructures". Il s’agit de "sensibiliser les entreprises françaises à ce type de marchés", comme dans le secteur des transports ou du BTP. Les interlocuteurs préconisés sont les principaux fonds d’investissement qataris : Qatari Diar et QSI.
Le 27 décembre 2010, une autre note de la cellule diplomatique de l’Élysée explique que "Claude Guéant soutient la création d’une task force" pour décrocher des contrats au Qatar. Un groupe interministériel est créé dans la foulée. "La France a envie de cet argent, elle facilite fiscalement les investissements qataris, analyse Bérengère Bonte. Les Qataris sont alors dans une grande entreprise de soft power. Ils prennent des participations dans de nombreuses sociétés du CAC 40 : Veolia, Lagardère, Vivendi, Orange ..." Le rapprochement est également diplomatique. "Le Qatar devient un interlocuteur incontournable", témoigne l’ancien officier de la DGSE Alain Chouet, qui effectuait alors des missions pour l’Élysée. "Les conseillers de l’émir vibrionnaient à Paris. Et en plus, ils nous promettaient de nous acheter de beaux ‘roudoudous’ pour des milliards de dollars."
Mais le soft power qatari passe aussi par l’université. Ainsi, en mars 2012, la conseillère Sports de Nicolas Sarkozy, Sophie Dion, apparaît sur une vidéo vantant les mérites d’un partenariat entre Paris-I Panthéon Sorbonne, où elle enseigne le droit du sport, et une fondation qatarie de droit privé, ICSS (Institut Center for Security for Sport), dont le rôle trouble apparaît dans les Football Leaks. Ce partenariat entre ICSS et la Sorbonne s’inscrit dans le cadre de la création d’une chaire sur l’éthique et la sécurité dans le sport.
Les Qataris "voulaient mettre en place quelque chose au niveau international, des outils pour lutter contre les fraudes sportives, le dopage, les paris en ligne", explique Sophie Dion aux policiers, en octobre 2019. Elle reconnaît sur procès-verbal avoir été rémunérée dans le cadre de ce partenariat, alors qu’elle était encore en poste à l’Élysée. "J’avais un contrat de consultant pour un an qui commençait en février 2012 jusqu’à février 2013, dit-elle. Mon contrat prévoyait quatre versements de 13 000 euros chaque fois, pour les cours effectués. Comme j’ai arrêté mon contrat, je n’ai touché que 13 000 euros. J’ai totalement cessé cette activité en juin 2012 car je suis devenue parlementaire." Élue députée LR de Haute-Savoie en 2012, Sophie Dion a ensuite occupé le poste de vice-présidente du groupe d’amitié franco-qatari à l’Assemblée nationale.
"C’est assez étonnant de constater que toutes les personnes, tous les acteurs de ce déjeuner, qu’ils disent avoir été présents ou pas, ont finalement obtenu des avantages", s’interroge la présidente de l’association Anticor, Élise Van Beneden, partie civile dans cette affaire. Précisons qu’aucune mise en examen n’a pour l’instant été prononcée.
Au Qatar, derrière la porte de l’hôtel
Douze ans après le déjeuner de l’Élysée, bien qu’elle soit dénoncée pour son non-sens écologique et pour le travail forcé imposé aux migrants par de nombreuses associations et ONG, la Coupe du monde va finalement se dérouler sur le sol qatari. Même s’il est difficile de se baser sur des chiffres fiables, plusieurs ONG dénoncent des "milliers de morts" durant les chantiers. La secrétaire générale d’Amnesty International, Agnès Callamard, dénonce le sort réservé à "l’équipe la plus importante : celle des travailleurs, qui a été blessée, tuée, dont les conditions de travail ont été flouées".
Un constat minimisé par l’actuel président de la Fifa, Gianni Infantino. Interrogé sur le sujet, le 2 mai 2022 à Los Angeles, il répond que c’est "en fait, trois personnes" qui seraient mortes sur les chantiers selon les "partenaires extérieurs" auxquels a fait appel la Fifa. Gianni Infantino se félicite d’avoir "pu changer les conditions de travail du million et demi de travailleurs au Qatar", en concluant par ces mots : "C’est quelque chose qui nous rend fiers."
Le 22 juin 2022, lors du Forum économique du Qatar, à Doha, un Français s’exprime à son tour devant les caméras sur les conditions de travail au Qatar. Il s’agit de Sébastien Bazin, l’ancien patron de Colony Capital Europe qui a revendu le PSG au Qatar en 2011. Depuis 2013, il est le PDG du groupe hôtelier Accor. En décembre 2015, Qatar Investment Authority (QIA) devient un actionnaire de poids (plus de 10% des parts de l’entreprise) du groupe français. Quant à Nicolas Sarkozy, il est entré au conseil d’administration du groupe, en février 2017, avec une rémunération de 86 000 euros par an, selon L’Express. Mais tout cela n’a “aucun lien” avec la vente du PSG au Qatar, affirme le groupe Accor.
Pour la Coupe du monde, le groupe hôtelier Accor a conclu un important contrat avec le Qatar : 60 000 chambres, des villas et des appartements seront dédiés à l’accueil des supporters. "J’entends beaucoup de gens qui font du Qatar bashing, déclare ainsi Sébastien Bazin. Mais je n’ai pas vu beaucoup de preuves. Et donc nous, on va tout faire pour que ce Qatar bashing soit totalement erroné. Sur ce qu’on appelle le rapport à l’autre, en termes d’interactions humaines, non seulement nous serons au rendez-vous, mais vous pouvez dormir tranquille." Nous avons pourtant rencontré un agent de sécurité de l’entreprise Al Bateel Securicor, employé dans un Movenpick (une marque du groupe), un hôtel quatre étoiles qui affiche complet pour la Coupe du monde.
Son récit est glaçant. Cet agent de sécurité travaille 84 heures par semaine. Ses nombreuses heures supplémentaires ne lui auraient jamais été payées. Impossible de se plaindre, il risquerait l’expulsion. Sa situation relève du travail forcé, comme tous les gardes de l’hôtel qui vivent avec lui dans la zone industrielle de Doha, où nous nous sommes rendus. Sanitaires répugnants, cuisines pleines de crasse, espace vital insuffisant : les conditions de vie de ces hommes violent tous les engagements du Qatar concernant le bien-être des ouvriers. Pourtant dans sa charte éthique, le groupe Accor s’engage à respecter le droit des travailleurs, y compris avec les sous-traitants.
Doha compte sept hôtels estampillés Accor. Contacté, AccorHotels nous a répondu être "particulièrement attentif aux conditions de travail et d’hébergement de [ses] collaborateurs."
Nous avons interrogé l’entreprise sous-traitante du groupe Accor, Al-bateel, en prétextant être un homme d’affaire français voulant connaître les tarifs des gardes de sécurité. Résultat : le tarif facturé au client est de 4 000 dollars, alors que seuls 400 dollars sont reversés au garde comme salaire. Selon le comité suprême qatari qui gère l’organisation de la Coupe du monde, près de 25 000 gardes privés participeront à l’évènement. Les autorités qataries n’ont pas répondu à notre demande d’interview.
Le grand silence des Bleus
De son côté, la Fifa a publié sa liste d’hôtels agréés à Doha, en garantissant qu’il n’y aurait ni travail forcé, ni violation des droits humains. On retrouve dans cette liste, l’hôtel cinq étoiles Al Messila, choisi pour être le camp de base de l’équipe de France, durant la compétition. Dans une vidéo publiée en avril 2022 par le Fédération française de football, le président de la FFF, Noël Le Graët et le sélectionneur des Bleus, Didier Deschamps, expriment leur satisfaction d’avoir "trouvé l’endroit idéal" pour l’équipe de France. "La Fédération française [de football] a fait les démarches nécessaires comme toutes les nations pour faire en sorte d’être vigilants et attentifs à cette situation là-bas", lâche Didier Deschamps, lorsque nous l’interrogeons sur les conditions de travail des migrants, au Qatar, lors d’une conférence de presse en mai 2022. Selon nos informations, les démarches de la FFF se sont en fait limitées à un questionnaire envoyé à leur hôtel, que nous avons pu nous procurer.
Des grands principes qui ne collent pas avec la réalité du terrain, comme nous avons pu le constater sur place. Les agents de sécurité qui gardent l’entrée de l’hôtel des Bleus travaillent pour le compte de la société United Security Services. Ils vivent au cœur de la zone industrielle de Doha, dans une grande insalubrité et promiscuité.
Nous avons montré ces images au président de la FFF, Noël Le Graët. "J’ai vu que ce n’était pas l’idéal, nous dit-il. Mais je peux vous montrer plein d’images comme ça dans plein de pays, peut-être même pas très loin d’ici. On va discuter avec le directeur [de l’hôtel], ce n’est pas insoluble, c’est un coup de peinture. Tout ce qui est encore en mauvais état peut largement être remis en place. Heureusement qu’il y a la Coupe du monde là-bas. S’il n’y avait pas eu le foot, ça aurait nettement été pire."
Le 2 octobre 2022, la Fédération française de football a finalement annoncé que suite à de "nouvelles vérifications", la société de sécurité de l’hôtel des Bleus a été écartée, "après avoir constaté que celle-ci se livrait à de nombreuses irrégularités inacceptables concernant le respect des droits de ses travailleurs (non-respect des conditions de logements décentes, rétention des passeports, non-respect des jours de repos)".
"La Coupe du monde organisée au Qatar constitue une opportunité de progrès, mais participer ne signifie pas fermer les yeux", ajoute la FFF. Le sujet des droits humains au Qatar semble cependant rester tabou dans le milieu du football. "Je n’ai pas envie de rentrer dans un débat médiatique", explique Didier Deschamps lors de son unique intervention sur le sujet suite à nos questions en conférence de presse. "Ce qui n’empêche que chaque individu a et aura sa liberté d’expression. Je ne suis pas là pour bâillonner les bouches, [les joueurs] sont libres de s’exprimer." Aucun joueur de l’équipe de France n’a pourtant répondu à nos demandes d’interview sur le sujet.
"Contrairement à la France, des joueurs de la sélection anglaise et leur sélectionneur se sont exprimés franchement sur la question des droits de l’Homme au Qatar, constate le journaliste Philippe Auclair basé à Londres. Noël Le Graët, Didier Deschamps et ses joueurs, ont décidé de ne pas parler ou de parler en esquivant, en permanence. Tout le monde en connaît les raisons : la France ne veut pas se mettre le Qatar à dos. Le football français ne peut pas vivre sans le PSG et le Qatar."
"Une partie de la classe politique française s’est probablement lié les mains en courant à Doha se faire offrir des cadeaux, estime Bérengère Bonte. Cela a créé des obligés. C’est compliqué aujourd’hui pour les politiques français et pour la France de se laver complètement les mains de tout ça." "Sous prétexte qu’ils sont capables de nous acheter x milliards d’euros d’avions ou d’autres choses, on ferme les yeux", ajoute l’ancien officier du renseignement Alain Chouet.
Et l’influence du Qatar n’a sans doute pas fini de se faire sentir dans les coulisses du football mondial. Un bureau de la FIFA vient d’ouvrir ses portes à Paris dans l’Hôtel de la Marine, place de la Concorde. Un édifice dont les travaux ont été financés par Doha, et qui accueille également la collection privée de la famille royale du Qatar. Quant au président de la FIFA, Gianni Infantino, il a décidé d’élire domicile à Doha. Depuis 2020, il fait l’objet d’une procédure pénale en Suisse. Il est soupçonné d’avoir voulu interférer dans des enquêtes sur la Fifa et la Coupe du monde au Qatar.
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