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Eldorado ou sanctuaires, les grands fonds marins seront-ils les gisements de minerais de demain ?

Alors que la captation de minerais à plusieurs milliers de mètres sous la surface des océans ne relève plus de la science-fiction, des ONG s’inquiètent des conséquences de potentielles extractions minières. Des compagnies disposant de licences d'exploration ont, pour leur part, déjà effectué des premiers tests.

Article rédigé par Etienne Monin
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Le navire 'Hidden Gem" destiné à l'exploitation des nodules polymétalliques. (Allseas.com)

Il faut s’imaginer un monde noir, silencieux, dont les scientifiques découvrent les organismes par bribes. Qui est selon la formule consacrée moins bien connu que le surface de la lune. Ce monde des grands fonds attire pourtant déjà de gros investissements au Canada et en Belgique notamment pour préparer l’exploitation des minerais qu’il renferme. Cette question sera centrale, mercredi 9 février, lors de l'ouverture du Sommet des océans, One Ocean Summit, à Brest. Une vingtaine de chefs d'État et de gouvernement sont réunis pour l'occasion.

>>Grands fonds marins : La France investit dans l’exploration minière, un sujet sensible

Dans ces grands fonds, trois types de minerais ont été cartographiés : les nodules polymétalliques, semblables à de grosses patates noires, les sulfures hydrothermaux, de grandes cheminées parfois actives à 1 500 m de profondeur sur la dorsale océanique, et les encroûtements cobaltifères, qui forment une croûte de quelques dizaines de centimètres d’épaisseur. 

Pour les repérer à 4 000 m de profondeur, l'Ifremer, l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer, envoie des capteurs permettant d'identifier la présence de méthane. "Nos systèmes peuvent prélever l'eau à différentes profondeurs, explique le géologue Ewan Pelletier. Donc si on trouve une concentration en méthane qui est bien plus forte que celle habituellement dans l'eau de mer, c'est qu'il y a en-dessous. On a alors suffisamment d'indices pour envoyer un robot téléopéré dans les grands fonds." Si ces minerais intéressent c'est parce qu'ils renferment des métaux nécessaires à la transition énergétique : le nickel, le cobalt, le cuivre et le manganèse, utilisés pour les batteries de voitures électriques. D'après l'Ifremer, les nodules polymétalliques au nord-est du Pacifique, au large du Mexique et d'Hawaï, permettraient d’exploiter 340 millions de tonnes de nickel.

"On trouve aussi bien des métaux de base comme le cuivre, le nickel ou le zinc, que des métaux précieux comme l'or et l'argent, et enfin des métaux rares dits high-tech comme le sélénium, l'indium ou le germanium."

Ewan Pelletier, géologue

à franceinfo

Néanmoins, Ewan Pelletier le reconnaît : "Pour le moment, on n'a pas encore d'évaluation de ces volumes, on est dans une approche préliminaire."

Une exploitation possiblement à risque pour les organismes marins

Les ONG et certains scientifiques s’inquiètent des conséquences d’une extraction minière, parce qu’on a encore du mal à évaluer les dégâts potentiels sur la façon dont l’océan stocke le carbone dans les profondeurs, et sur les organismes qui y vivent. L'Ifremer étudie depuis plusieurs décennies des organismes des grands fonds et une exploitation de leur habitat risquerait de les affecter, selon le biologiste Pierre-Marie Sarradin, spécialiste des grands fonds pour l'Ifremer : "On sait qu'il y a des organismes, qu'ils sont petits et nombreux, et que certains sont très rares. On sait que les exploiter risquerait d'en faire disparaître certains. On sait également que le retour à un écosystème, peut-être pas identique mais comparable, serait au conditionnel très long."

"Il y a quelques années, on essayait simplement de se poser la question du fonctionnement de l'océan ; maintenant, en plus de son fonctionnement, on se demande ce qu'il se passera si jamais on l'exploite."

Pierre-Marie Sarradin, biologiste

à franceinfo

Pour protéger ces grands fonds qui sont dans les zones internationales, l’ONU a créé un organisme : l’Autorité internationale des fonds marins. Pour l’instant, elle n’a délivré que des permis d’exploration, qui permettent de mieux connaître l’environnement, mais aussi de préparer le terrain d’une possible exploitation. Trente-et-un permis ont été délivrés, majoritairement dans la zone Clarion-Clipperton qui renferme les champs de nodules polymétalliques au large du Mexique et de Hawaii sur 9 millions de kilomètres carrés.

Une dynamique qui s'accélère

Deux compagnies ont déjà des machines capables de draguer les fonds. La belge Global Sea Mineral Resources a effectué ses premiers tests en avril 2021. La canadienne The Metals Company a obtenu trois permis d'exploration et se prépare à faire des tests grandeur nature dans la zone Clarion Clipperton. Elle a fait appel à un géant des installations offshore, Allseas, qui a construit une machine de 80 tonnes pour tenter d’aspirer les minerais par 4 200m de fond.

Le géant des installations offshore, Allseas, a construit une machine de 80 tonnes pour tenter d’aspirer les minerais par 4 200m de fond. (ALL SEAS / CAPTURE D'ECRAN)

Pour le directeur général de The Metals Company, Gerard Barron, l’exploitation future n’affectera pas les fonds marins. "On a déjà demandé à notre partenaire Allseas le premier navire de production, qui ira sur la zone Clarion-Clipperton dans les mois qui viennent, détaille-t-il. On pourra ainsi voir fonctionner toutes les étapes du processus, comment le collecteur, le système d'extraction et le navire de production se comportent dans la zone. Quand cette étape sera terminée, le navire reviendra au port et on y fera quelques modifications pour être prêt pour la production en 2024."

Pour l’instant, The Metals Company n’a qu’une licence d’exploration, mais elle espère forcer la main de l’Autorité internationale des fonds marins pour arracher une licence d’exploitation d’ici assez peu de temps. L'Auorité internationale travaille d'ailleurs sur l’élaboration d’un code minier. Pour les pays concernés, ce serait une façon d’encadrer l’extraction en prenant en compte les fragilités du milieu avec par exemple la définition de zones protégées, une façon d’éviter de se retrouver face à une sorte de Far West. Mais pour the Deep Sea Conservation Coalition, une coalition d’ONG – dont Greenpeace – opposée à l’exploitation, l’adoption d’une réglementation marquerait en réalité le coup d’envoi... de l’exploitation.

François Chartier, chargé de la campagne océan pour Greenpeace, craint de voir de telles licences attribuées d'ici un an : "D'une part, il y a l'accélération des négociations pour l'établissement d'un code minier, avec un certain nombre d'états et d'entreprises minières qui font pression pour qu'il aboutisse. Et d'une certaine manière, la France en fait partie."

"Aujourd'hui, la question de pouvoir aller chercher du minerai à 1 000, 2 000, 5 000, jusqu'à 6 000 mètres, ce n'est plus de la science-fiction, c'est quelque chose qui peut devenir une réalité."

François Chartier, de Greenpeace

à franceinfo

Ces ONG demandent un moratoire sur l'exploitation minière des fonds marins. Une motion a d'ailleurs été adoptée en septembre lors du congrès de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) pour la biodiversité à Marseille. À cette époque la France s'était abstenue. La France, justement, qui possède deux licences d’exploration, plus ou moins en sommeil, gérées par l'Ifremer, a élaboré une stratégie pour l’exploitation de ces ressources minières et compte en évaluer l’impact et la faisabilité.

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