"Au moindre bruit, aujourd'hui encore, on sursaute" : le long retour à la normale à Rouen, un an après l'incendie de l'usine Lubrizol
L'usine classée Seveso a été entièrement nettoyée, mais les riverains craignent de voir la catastrophe se reproduire.
Franceinfo est au coeur du site Lubrizol, presque un an après l'incendie qui a ravagé l'usine classée Seveso à Rouen, le 26 septembre 2019. Là où autrefois se dressaient les entrepôts de stockage, un espace de près de 10 000 mètres carrés qui abritait 19 000 fûts d'hydrocarbure, il ne reste qu'une simple dalle de béton. L'endroit ressemble à un gigantesque parking de supermarché complètement désert.
Pendant des mois, une trentaine de personnes en combinaison blanche, gants, chaussures de sécurité, lunettes et casque ont nettoyé le site sous le contrôle de Cyrille Macé de Lépinay, le responsable des opérations. "Il y avait un bâtiment qui se trouvait sur la gauche, qu'on appelait le bâtiment A4, et la grande dalle que vous voyez au fond, c'était le bâtiment A5, décrit-il. C'était les deux bâtiments qui servaient d'entrepôts pour les fûts. On avait l'impression, quand on voyait les images, que tout brûlait, mais pas du tout, même si c'était très spectaculaire."
Quasiment quatre mille tonnes de déchets ont été évacués depuis la catastrophe. Il s'agit pour la plupart de morceaux de ferraille et des mélanges de boue et d'hydrocarbures. Les flux de stockage les plus à risque et calcinés ont été manipulés par des robots. Ce n'est que la semaine dernière que la zone a été complètement vidée. "Certains fûts étaient odorants, voire très fortement odorants, explique Cyrille Macé de Lépinay. Notre grosse problématique était de ne pas générer des odeurs au niveau du voisinage. Donc on les prenait un par un alors qu'il y en avait des milliers. On les vidangeait complètement, on les nettoyait. Et après, on les envoyait en centre de destruction."
C'est notre maison qui a brûlé. Pour nous, ça a été un déchirement.
Éric Bertier, directeur des achats Europe de Lubrizolà franceinfo
Sur le site, un dispositif anti-intrusion et des barbelés ont été ajoutés et le système d'alerte incendie a été renforcé avec des caméras thermiques. Éric Bertier, le directeur des achats Europe de Lubrizol, attendait avec impatience la fin du nettoyage du site : "On est content de voir la zone nettoyée. C'est une étape. Il y en a beaucoup d'autres après, mais au moins, c'est une étape importante." Les entrepôts ravagés par l'incendie ne seront pas reconstruits, ce qui libère un espace de 11 000 mètres carrés qui sera en partie végétalisé. Plusieurs milliers de mètres carrés de panneaux solaires vont être aussi installés.
Les riverains toujours très marqués
Près de l'usine, là aussi le souvenir de la catastrophe est encore très vif. Les riverains n'ont pas oublié les bruits d'explosions, les flammes jaunes orangées qui déchirent la nuit et qui poussent les habitants dans la rue, avant même que ne retentisse la sirène. "On se disait : 'On va mourir là', se souvient Carole, 58 ans, qui vit à moins de 300 mètres de l'usine. Au moindre bruit, aujourd'hui encore, on sursaute parce qu'on se dit : est-ce que c'est l'usine qui a un problème ? Est-ce que c'est une autre usine ? Qu'est-ce qu'on risque encore ? On a eu des périodes où on était obligés de fermer les fenêtres parce que l'odeur était là. Notre seule échappatoire, c'était tous les week-ends de partir à la campagne, à la mer ou en forêt."
C'est gravé dans nos mémoires. Je me revois encore au bout de ma rue en train de regarder les flammes.
Carole, une riveraineà franceinfo
Avec l'évacuation du dernier fût sur le site de Lubrizol début septembre, les odeurs ont disparu. Mais il reste l'angoisse liée pour beaucoup aux images du gigantesque panache de fumée noire, long de 22 kilomètres. Il a laissé dans son sillage de nombreuses questions et interrogations. La principale : y aura-t-il une recrudescence des cancers ou des maladies cardiovasculaires ? Officiellement, les 265 000 tests, prélèvements d'eau, de sol, d'air et de végétaux réalisés depuis l'incendie n'ont mis en évidence aucun impact sur la santé des riverains.Tous les indicateurs sont en dessous des seuils d'alerte. Mais ces résultats ne suffisent pas à rassurer les associations de riverains qui, pour certaines, dénoncent des analyses incomplètes.
Quels enseignements après cette catastrophe ?
L'incendie a pointé des failles sur les questions de stockage de produits chimiques. La fameuse sirène déclenchée plusieurs heures après la catastrophe est désormais jugée complètement dépassée et obsolète. Mais en matière de prévention, rien n'a vraiment changé, regrette Gérald Le Corre, responsable des questions de santé et sécurité à la CGT : "On aurait pu penser qu'après Lubrizol, les industriels se posent quelques minutes et réfléchissent afin de savoir si les procédures de sécurité étaient nickel. On a vu tout l'inverse, avec un discours du gouvernement qui a minimisé la catastrophe de Lubrizol." Selon le syndicaliste, les industriels ont "continué comme avant" et malgré une surveillance de l'État, il se dit inquiet "de ce qui peut se passer dans d'autres sites Seveso ou nucléaires."
Le site redémarre peu à peu
L'usine, elle, tourne toujours et a repris son activité en deux temps, de manière partielle. En novembre 2019 puis en juillet 2020, après autorisation du préfet Pierre-André Durand. "Lubrizol a externalisé son stockage et un certain nombre de process, ce qui fait que matériellement, il n'est plus possible d'avoir un incendie de cette ampleur sur site, assure-t-il. D'autre part, j'ai prescrit des règles de sécurité, notamment des moyens incendie surdimensionnés, allant même, dans certains cas, au-delà de la réglementation." Le site fonctionne aujourd'hui à 80%, avant la relance d'une nouvelle unité de production en octobre.
Un an après la catastrophe qui a secoué le site, l'origine de l'incendie n'a toujours pas été déterminée.
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