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"Affaire Mis et Thiennot" : 75 ans après, "il n'est jamais trop tard pour réparer une telle injustice", clame le comité de soutien

En 1946, Gabriel Thiennot et Raymond Mis sont condamnés à 15 ans de travaux forcés après la mort d'un garde-chasse. Un meurtre qu'ils ont toujours nié. Plus de 70 ans après, leurs proches poursuivent le combat judiciaire en déposant ce mercredi un septième recours en révision.

Article rédigé par franceinfo, David Di Giacomo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Raymond Mis (à droite) et Gabriel Thiennot (à gauche), le 16 décembre 1988, à Lyon. (JEAN-MARIE HURON / AFP)

C'est un combat judiciaire qui dure depuis 75 ans. Les proches de Raymond Mis et Gabriel Thiennot ont déposé, mercredi 1er juin, leur septième requête en révision. "Nous demandons à la Cour de révision, pour la mémoire des défunts Mis et Thiennot et pour leurs familles qui se battent depuis longtemps, l'annulation de leurs condamnations dès lors que leurs aveux extorqués par la violence auront été châtiés par la Commission d'instruction", a expliqué maître Pierre-Emmanuel Blard, l'un des avocats qui porte la requête pour le comité de soutien Mis et Thiennot. "Cette requête est le fruit d'un long travail effectué auprès des parlementaires pour faire évoluer la loi et la rendre conforme aux engagements internationaux de la France."

Les deux hommes avaient été condamnés pour le meurtre d'un garde-chasse au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Ils clameront ensuite leur innocence jusqu'à leur mort. Franceinfo s'est replongée dans l'"affaire Mis et Thiennot" pour tenter de comprendre pourquoi leurs proches parlent encore aujourd'hui d'une erreur judiciaire.

Des aveux après huit jours d'interrogatoire

Nous sommes le 29 décembre 1946, dans les étangs du Berry, un garde-chasse est tué de quatre coups de fusil. Il faut alors très vite trouver des coupables et des jeunes chasseurs sont arrêtés. Parmi eux : Gabriel Thiennot,19 ans, et Raymond Mis, 20 ans. "Je les ai bien connus et je les ai aimés, explique Léandre Boizeau, le président d'honneur du comité de soutien Mis et Thiennot. C'était des hommes remarquables qui étaient tombés dans un traquenard épouvantable". Depuis 40 ans, il se bat pour les faire innocenter. Pour lui, c'est le combat d'une vie.

Mis et Thiennot ont bien signé des aveux dans cette affaire, avant de se rétracter : ils avaient parlé après huit jours d'interrogatoire. À cette époque, la garde à vue n'était pas du tout encadrée et les deux jeunes hommes affirmeront avoir été torturés. "Ces huit jours et ces huit nuits d'interrogatoire à la gendarmerie de Mézières en Brenne [Indre], c'était l'enfer, raconte Léandre Boizeau. Ils sont privés de sommeil, privés de nourriture, ils reçoivent des coups. Et malgré leurs hurlements, personne ne vient à leur secours. Ils se demandent s'ils vont pouvoir survivre.

"Pour leur mémoire, on doit continuer le combat jusqu'à temps qu'on obtienne réparation".

Léandre Boizeau, le président d'honneur du comité de soutien Mis et Thiennot

à franceinfo

Les deux hommes seront graciés par René Coty en 1954, après avoir purgé la moitié de leur peine de 15 ans de travaux forcés. "Graciés par le président Coty après huit ans de prison, Mis et Thiennot courent encore derrière leur honneur perdu",résumait un reportage d'Antenne 2 en 1993. Où en est l'affaire, 29 ans plus tard ? Gabriel Thiennot et Raymond Mis sont morts. Le premier en 2003, à 76 ans, le deuxième en 2009, à 83 ans. Aujourd'hui, le combat de leurs proches continue pour, disent-ils, laver leur honneur.

"Lui, il continuait de croire"

Nous avons rencontré, près de Châteauroux, dans la petite commune de Déol (Indre), Aurore et Janine, la petite-fille et la veuve de Gabriel Thiennot. "Pour moi, il a toujours été innocent et j'ai envie de le prouver aux yeux du monde entier, tout simplement, raconte Aurore. C'est un rêve de petite fille parce que j'idolâtre mon grand-père, j'aurais été très fière qu'il me voit grandir notamment, ça aurait été une fierté. Même s'il n'est plus là, c'est lui rendre le plus bel hommage en continuant de batailler pour ça finalement."

"Il continuait de croire à la justice malgré tout ce que la justice lui avait fait. Il y croyait dur comme fer au fait qu'un jour ou l'autre, il allait être innocenté."

Aurore, petite-fille de Gabriel Thiennot

à franceinfo

"Je l'ai toujours vu, même dans son regard, ça ne trompe pas. Il y a quelque chose qui vous dit 'j'y crois plus fort que tout''", se souvient la petite-fille de Gabriel Thiennot.

Après 75 ans à clamer l'innoncence de son mari, Janine Thiennot continue, elle aussi, d'espérer : "Ça fait des années et des années que je l'attends, je voudrais tellement que ça arrive. J'y crois encore à peine parce qu'on a tellement été déçus. Est-ce que ça arrivera assez tôt avant que je sois partie ? Oui, c'est ce que j'espère, aller sur sa tombe et lui dire 'voilà, tu es bien reconnu innocent par tout le monde."

Janine Thiennot, la veuve de Gabriel Thiennot, tenant un portrait de son mari, chez elle à Déol (Indre), en mai 2022. (DAVID DI GIACOMO / RADIO FRANCE)

"On continue le combat parce que, lui, il n’est plus là, nous a aussi confié Thierry, le fils de Gabriel Thiennot. Mais pour nous, c’est laver ce qu’il nous reste à tous, laver notre honneur. Je vois ma maman qui a 86 ans. Elle aimerait bien partir en paix. Ça lui ferait un plaisir énorme."

L'espoir du nouvel amendement

Pourtant, tout le monde n'est pas convaincu de l'innocence de Mis et Thiennot. Trois quarts de siècle après, cette affaire passionne toujours, en témoigne la parution très récente de deux livres. Deux ouvrages qui remettent en cause l'innocence des deux hommes. C'est le cas de la contre-enquête de l'ancien commissaire de police Jean-Louis Vincent : "Il y a des éléments qui, selon moi, pèsent réellement en défaveur de Mis et Thiennot. Je me fonde sur les PV, les rapports. J'apporte le dossier au lecteur sur un plateau. Mais quand on lit, je pense qu'on a de quoi s'interroger."

Ce mercredi 1er juin au matin, une septième requête en révision sera déposée et cette fois, si elle a une chance d'aboutir, c'est en raison d'un amendement de la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire adoptée en fin d'année. Cette disposition permet à la commission d'instruction de la Cour de révision de procéder à l'annulation des pièces d'un dossier lorsque la condamnation résulte de déclarations recueillies "à la suite de violences exercées par les enquêteurs". "Des aveux extorqués sous la violence ne peuvent pas être la base d'une condamnation dès lors qu'il n'y a rien d'autre. Et ça, c'est majeur", résume l'avocat Jean-Pierre Mignard. C'est lui qui va défendre la requête en révision concernant le dossier Mis et Thiennot. Ce type de requête ne concerne que les condamnations prononcées par une cour d'assises avant l'entrée en vigueur du code de procédure pénale (en 1957) qui a réglementé et encadré la garde à vue.

La commission d'instruction de la Cour de révision dira si elle considère que les aveux de Mis et Thiennot ont bien été extorqués par la violence et s'il y a donc lieu de faire rejuger l'affaire. Le comité de soutien espère maintenant que la procédure ira vite pour qu'à 86 ans, la veuve de Gabriel Thiennot ait une chance de savoir son mari réhabilité par la justice. "Il n’est jamais trop tard pour réparer une telle injustice, même après leur mort, estime Léandre Boizeau.Toute leur vie, jusqu’à leur mort, ils ont pensé à cette affaire qui les a poursuivis."

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