Décès de Colette Kreder : qui est cette pionnière de la parité, quasi inconnue du grand public ?
L’intrus de l’actu donne chaque soir un coup de projecteur sur une personnalité qui aurait pu passer sous les radars de l’actualité.
Toute sa vie aura été celle d'une intruse. Une femme dans un monde d'hommes, comme étudiante, comme ingénieure et comme militante. Colette Kreder est morte il y a une semaine en région parisienne, elle a été inhumée mercredi avant qu'on apprenne sa disparition.
Une jeune femme ingénieure dans les années 1950, ça ne sonne pas comme une évidence. Surtout quand on vient comme elle d'une famille de Mayenne : avec un père maréchal ferrant, une mère commerçante. Sa chance, c'est que ses parents la soutiennent dans cette voie après ses années de lycée à Rennes et Laval, qu'elle passe le concours et qu'elle est admise à l'Ecole polytechnique féminine (EPF). Rien à voir avec Polytechnique, l'EPF avait été créée par une association pour tenter précisément d'augmenter les quotas de femmes ingénieure puisque les filles n'avaient pas accès aux grandes écoles.
Dès sa sortie, elle va se faire embaucher au ministère de l'air et des lignes télégraphiques au service des télécommunications, où elle se dit victime de discriminations. Au début des années 1970, elle part carrément monter son entreprise. Elle sera une des premières à le faire dans ce secteur, la Soredi fait de la documentation technique pour les administrations. En 1982, elle est alors directrice de l'école polytechnique féminine (celle où elle avait été étudiante). Et elle témoigne dans le Journal de FR3 alors que la loi d'Yvette Roudy, sur l'égalité professionnelle entre hommes et femmes arrive à l'Assemblée le lendemain : "Savez vous que nous sommes 6% de femmes dans l'industrie et que plus d'un tiers d'entre elles sont des EPF. Or il y a autant de bachelière C que de Bachelier C. Malheureusement après le baccalauréat, le lycée tout d'abord, la famille ensuite n'incitent pas les filles à aller vers les carrières d'ingénieures".
Un combat politique
En politique aussi, Colette Kreder trouve que ça n'évolue pas assez vite. Elle passe à la vitesse supérieure au moment de sa retraite notamment lorsqu'elle rencontre Françoise Gaspard et Claude Servan Schreiber avec qui elles vont fonder "Demain la parité". Ensemble, elles n’ont de cesse de brandir les chiffres. Aux Législatives de 1993 : 19% de candidates, 6% de femmes élues ! À l'époque, ça n'a pratiquement pas bougé depuis 50 ans, où on était à 5,6% en 1946. La France est l'avant dernière en Europe, juste devant la Grèce.
La parité, la parité, la parité... Elle pousse vraiment ce mot avec François Gaspard et Claude Servan Schreiber. C'est ce que m'a expliqué France Chabod, la responsable du Centre des archives du féminisme à Angers où elle a d'ailleurs déposé toutes ses archives : "Elle a contribué à introduire ce concept de parité en France, avant on parlait de quotas. On disait qu'avec 30% de femmes dans les conseils d'administration des entreprises ce sera très bien. Mais non, ça ne suffit pas, il faut passer à la parité pour aboutir à une vétritable justice entre les femmes et les hommes. Et elles ont entamé un lobbying auprès des partis politiques pour qu'ils prennent des mesures en faveur de la parité."
Pour la présidentielle de 1995, elle fera défiler sur la scène du Palais des congrès Les candidats Jacques Chirac, Edouard Balladur et Lionel Jospin pour répondre aux questions des 1 600 représentantes d'associations féminines - pas uniquement féministes. Tout cela aboutit à la loi du 6 juin 2000 sur l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions électives
Son combat passe aussi par les décorations, légions d'honneur et autres. En 2007, pour son premier 14 juillet à l'Elysée, Nicolas Sarkozy doit même revoir complètement sa liste dans laquelle Colette Kroder a compté 23% de femmes promues. Elle publie un communiqué de presse qui fait l'effet d'une petite bombe. Résultat : depuis janvier 2008, c'est du 50-50. Pour pousser les filles dans les carrières scientifiques, elle crée aussi l’ association "Femmes et sciences". L'ensemble lui vaudra deux décorations majeures : commandeur de l’ordre national du Mérite en 2007 et commandeur de la Légion d’honneur en 2009. Elle laisse trois enfants, dont deux filles ingénieures.
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