Alzheimer et gratuité de la pilule du lendemain : qui est le professeur Etienne-Emile Baulieu, insatiable chercheur et féministe de toujours ?
L’intrus de l’actu donne chaque soir un coup de projecteur sur une personnalité qui aurait pu passer sous les radars de l’actualité.
C'est un homme de 95 ans, on le retrouve, devinez où ? Dans son laboratoire du Kremlin-Bicêtre : Etienne-Emile Baulieu s'y rend trois fois par semaine pour challenger et questionner ses chercheurs. Jamais il ne renoncera à trouver un médicament pour bloquer Alzheimer. Mais l'autre grand combat de sa vie, c'est la pilule du lendemain, un médicament qui lui vaut encore d’être vilipendé par les anti-avortements.
Au printemps dernier, aux Etats-Unis, un élu républicain a expliqué devant la chambre des représentants du Kentucky que cette molécule RU 486 avait été inventée par un juif (ce qu’il est !) sous le nom de Xyglam B (de même qu’il y a eu le Ziklon B, ce qui est là complètement faux), et qu’elle contiendrait du cyanure (là encore, c'est faux).
Un homme engagé dans la Résistance
Confronté à cette haine toujours vivace, Etienne-Emile Baulieu reste très calme : il sait que ce combat ne sera jamais terminé. Sa découverte date de 1989, assez peu de temps après la loi Veil sur l’avortement et la légalisation de la pilule contraceptive. À l’époque, le cardinal Lustiger parlait de "pesticide humain". Sur un plateau de télé, le professeur Lejeune, lui avait dit qu’il allait "faire plus de morts que Mao, Hitler et Staline réunis." Dire cela à un juif résistant, il fallait quand même oser.
"Ca bloque la grossesse, c'est sûr, explique-t-il. Au début, ça n'a pas été accepté. Et moi, je suis en faveur des progrès pour les femmes, et en l'occurence de pouvoir contrôler la date de leurs grossesses. La molécule avait été prise en otage pour des raisons idéologiques, les femmes se sont affirmées depuis mais le patriarcat n'a pas disparu, vous le savez."
Ce féministe de la première heure n’est pas né Etienne Baulieu. A sa naissance, en 1926, à Strasbourg, il s'appelait Emile Blum. Son père, Léon Blum (un homonyme de l'homme politique socialiste) meurt quand son fils aîné a trois ans. Emile en a treize quand la Seconde Guerre mondiale éclate. Dans la Résistance, il prend le nom d'Etienne Baulieu. Il transporte des armes et s'engage en 1944 dans la 1ère armée, l'une des principales composantes de l'armée de la Libération.
Une vie dédiée à la science
À la fin de la guerre, il passe son bac et s'inscrit en médecine en regroupant ses deux prénoms : il devient donc Etienne-Emile Baulieu. Il devient endocrinologue, et en 1989, alors qu'il a 63 ans, il découvre RU489. Ce nom vient de celui du laboratoire qui l'avait embauché, le laboratoire Roussel-Uclaf, dont c'était la molécule n°36489.
La direction du laboratoire l'avait recruté des années plus tôt, épaté par ce jeune qui avait réussi à être publié par une revue scientifique pour ses travaux sur la DHEA, une hormone réputée pour ses effets anti-vieillissement, alors qu'il n'était qu'interne. Mais pour ce chercheur communiste, idéaliste, travailler pour un laboratoire privé lui vaudra d’être traité de lâcheur par la gauche et de gaucho par la droite. Qu’importe !
Aux Etats-Unis, il rencontre l’inventeur de la pilule contraceptive, Gregory Pincus. Ce dernier lui propose de perfectionner cette pilule, mais Etienne-Emile Baulieu préfère travailler sur la fin du cycle des femmes, pour bloquer non pas l’ovule en amont, mais la grossesse. Il avait même en tête que les femmes prennent cette pilule tous les mois, au 28e jour de cycle, plutôt qu'une pilule contraceptive tous les jours.
Un chercheur épris de culture
Cette vie, dédiée à la science, le chercheur la partage depuis 30 ans avec une productrice de télévision, Simone Harari (on lui doit notamment l'une des premières sitcoms françaises, Maguy), qu'il a épousée religieusement il y a un an seulement. Il a aussi trois enfants d'un précédent mariage : l'avocate Frédérique Baulieu ainsi qu'un fils physicien et une fille psychiatre.
Tous le disent d'une curiosité inouïe. Il passe encore ses soirées dans les vernissages. C'est un grand ami de Gérard Garouste qui expose au Centre Pompidou en ce moment, un ami autrefois d'Andy Warhol, dont un tableau trône dans son bureau à côté d'un cœur de Nikki de Saint-Phalle. Le chef d'orchestre Herbert von Karajan lui avait présenté Sophia Loren, avec qui il aura une liaison.
Aujourd'hui, à 95 ans, l'homme de la DHEA est encore en forme. Parmi ses secrets de longévité, il confie marcher tous les jours, avoir un sommeil régulier, et surtout il s'offre un verre de vin rouge quotidien.
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