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Les avocats face aux juges : une affaire de principe

La démocratie est-elle bafouée par les écoutes de Nicolas Sarkozy et son avocat Thierry Herzog ?
Article rédigé par Jean-François Achilli
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
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Ça ne vous rappelle
rien ?

Juin 2005 : "Le juge doit payer pour sa faute",
déclare un certain... Nicolas Sarkozy, après le meurtre d'une joggeuse, Nelly
Crémel. L'un des deux assassins était en liberté conditionnelle. Le ministre de
l'intérieur traitera plus tard de "laxistes" les magistrats du
tribunal de Bobigny après l'agression de deux CRS à Corbeil-Essonnes.

Diatribe anti-juges, carte
judiciaire malmenée, les magistrats - consciemment ou pas- sont en train de se
venger d'un ex-président qui ne les a ni aimés, ni épargnés, lui qui n'a eu
cesse de jouer les juges contre la police, les juges contre le peuple, se
méfiant de ce qu'il a toujours pris pour un pouvoir parallèle, exorbitant parce
qu'il ne tire pas sa légitimité du suffrage universel. "C'est le peuple
qui est souverain, pas les juges", répète à l'envi Henri Guaino, l'ex-conseiller
spécial de Nicolas Sarkozy, pour qui "l'indépendance, ce n'est pas de
faire n'importe quoi, sinon, nous sommes tous en danger".

Ce qui est inédit dans les
écoutes de Nicolas Sarkozy, ce n'est pas qu'un ancien président soit ramené au
rang de simple justiciable. Son statut ne lui donne pas plus de droit qu'un citoyen
ordinaire.

La polémique porte
aujourd'hui sur le secret professionnel des avocats. Le principe dépasse la simple
expression d'un corporatisme.

Éric Dupond-Moretti, ténor du
barreau, est dans le vrai quand il lance d'une formule limpide : "L'avocat
doit être un sanctuaire".

Christiane Taubira, sur France Info hier, a pourtant
fixé la règle.

La garde des Sceaux a été
claire : il n'est pas question d'assurer l'impunité à un avocat qui "éventuellement
serait impliqué dans une infraction". Pour Christiane Taubira, "le justiciable ordinaire a besoin d'être sûr
que tout le monde est traité de la même façon". C'est bien là le
problème : Nicolas Sarkozy a-t-il été mis sur écoute pour des indices
graves et concordants, ou sur de simples soupçons dans l'interminable dossier
Kadhafi ? Les magistrats sont allés très loin en épiant des mois durant un
ancien chef de l'Etat et son avocat Thierry Herzog. Toute l'opposition au
passage frémit à l'idée d'avoir défilé sur les tables d'écoutes des enquêteurs,
pointant un déni de démocratie.

C'est donc une question de
curseur ?

Il faut attendre la fin d'une
procédure désormais polluée par un improbable soupçon de complot, pour dire si
l'enquête ouverte pour trafic d'influence était justifiée, ou si la justice a
outrepassé ses droits. Nous aurons, au final, soit un acharnement, soit un
scandale d'Etat.

Reste la question qui dépasse
de loin le seul cas de Nicolas Sarkozy : jusqu'où un magistrat peut
aller ? La profession des avocats en fait une affaire de principe, elle qui
accuse la justice de bafouer un secret professionnel protégé par la loi. Les
avocats sont certes des justiciables comme les autres s'ils enfreignent la loi.
Mais dans un même temps, s'il n'y a plus le moindre refuge où parler, alors le
système s'apparentera à un régime totalitaire, un monde orwellien dans lequel chaque individu pourrait être épié pour un
oui ou pour un non, à la merci de juges qui, comme les avocats, doivent rester des
remparts de la démocratie.

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