Presse : "Tout l'intérêt pour nous est de comprendre les contenus qui peuvent séduire plus largement et ramener ensuite vers des liens plus durables", selon Pascal Ruffenach, de Bayard
Quel avenir pour les médias ? Faut-il se réinventer, se diversifier ? Pascal Ruffenach est le président du directoire du groupe Bayard, qui comprend La Croix - qui fête ses 150 ans - Le Pèlerin, Notre Temps et le pôle jeunesse, avec Astrapi, Okapi, J'aime lire. Il répond mercredi 22 novembre à franceinfo.
franceinfo : Pascal Ruffenach, quand on voit que la diffusion des journaux papier est en baisse de l'ordre de 10% l'an dernier. Faut-il absolument se diversifier et se numériser pour aller de l'avant ?
Pascal Ruffenach : D'abord, il faut continuer à se battre pour les journaux papier, parce qu'ils ont des vertus que rien ne remplace. On le sait maintenant, notamment pour les plus jeunes, l'attention, l'attachement, l'engagement… Tout ça, ce n'est pas du tout la même chose dans l'univers digital. Ça ne veut pas dire que le digital n'est pas une bonne chose, mais il ne faut pas abandonner le papier. Et le papier s'embellit de plus en plus.
"La qualité des magazines ou des journaux devient de plus en plus belle. Ça, c'est déjà un premier combat à tenir, il n'y a pas de raison d'abandonner."
Pascal Ruffenachà franceinfo
Le livre tient plutôt bien dans les librairies. On est sur un marché de l'offre, donc il n'y a pas de raison que le papier, en tout cas sur certains segments de population, ne tienne pas.
Mais la baisse de la diffusion est quand même de 10% par an.
On retrouve aujourd'hui les diffusions, à peu près, d'avant le Covid, qui étaient plutôt stables depuis assez longtemps, en tout cas pour la jeunesse, voire légèrement en croissance. Aujourd'hui, les familles ont des besoins culturels pour leurs enfants, pour faire comprendre l'actualité, qui sont de plus en plus grands et elles se tournent vers les ressources, notamment celles de Bayard ou du groupe Milan, qui fait partie du groupe Bayard. Mais se diversifier, évidemment, c'est important. Parce que ce qui coûte cher dans nos métiers, c'est la création, la fabrication des contenus. Pas seulement, mais ça coûte cher.
Le plus important, c'est la qualité du contenu.
Oui, c'est le contenu. Et comment on peut développer ce contenu, ces intuitions éditoriales, sur plusieurs supports ? C'est ce à quoi Bayard a voulu répondre en devenant éditeur, il y a maintenant une cinquantaine d'années, en étant les numéros deux et trois de l'édition avec Milan Jeunesse, notamment sur la bande dessinée jeunesse. On est vraiment leader sur ce segment. À l'inverse des magazines, chaque livre est un acte d'achat différent, une manière d'écrire différente, mais il y a l'intuition éditoriale, le lien entre les personnes. Une entreprise, c'est une aventure économique, mais c'est surtout une aventure humaine.
"Quand les gens se parlent, échangent sur leurs idées, ça donne des idées de livre et puis ça donne, pourquoi pas, des idées de rubriques pour des magazines."
Pascal Ruffenachfranceinfo
Par exemple, un long reportage qui a duré neuf mois à La Croix, dans un commissariat à Roubaix, a donné un roman graphique, qui va sortir à la rentrée prochaine.
Mais la numérisation, se développer sur internet, avoir des contenus plus riches aussi, c'est également augmenter ses revenus. Et vous avez des ambitions ?
Oui, on a des ambitions sur internet. Nous, on a vraiment une culture de la relation, de l'abonnement, de la fidélité, du long terme. Et c'est vrai que, quand on pense au digital, on pense tout de suite à l'audience, à la monétisation de cette audience avec la publicité, au "clic".
"Internet, pour nous, c'est une culture un petit peu différente de celle qu'on connaît, qui est celle de plutôt de l'attachement."
Pascal Ruffenachà franceinfo
Mais il faut quand même gagner de l'argent.
Oui et l'audience est nécessaire, parce que c'est à partir d'elle qu'on engage les gens, qu'on les fait venir chez nous. Donc tout l'intérêt pour nous, c'est de comprendre les contenus qui peuvent séduire plus largement et qui, après, ramènent vers des liens plus durables et notamment des liens qui ont un fondement économique.
"Toute la difficulté, c'est que de plus en plus de gens s'informent, veulent avoir accès à l'information, mais il n'y a que 30% des gens qui payent pour l'information en France."
Pascal Ruffenachà franceinfo
Donc il faut qu'on arrive absolument à percer ce mur, qu'on montre aux gens que ça a de la valeur, qu'il y a des équipes de journalistes qui travaillent. Il y a des équipes liées à la techno qui développent ça et qui permettent l'accès à ces contenus. Ça a un coût et il faut donc permettre qu'ils soient payés.
Vous vous êtes également internationalisés en rachetant une entreprise aux États-Unis. Pour le coup, c'est pour gagner de l'argent ?
Oui, même quand on est Bayard, il faut gagner de l'argent. Aujourd'hui, on ne doit pas séparer l'aventure humaine de l'aventure économique, ni de l'aventure écologique d'ailleurs. C'est-à-dire qu'il n'y a pas une économie qu'on doit faire qui est séparée des autres finalités.
Et comment vous faites chez Bayard ?
Pour revenir aux États-Unis, on y va parce que l'ADN de Bayard, exactement pour les mêmes raisons de création en France, peut se retrouver à l'international. Soit pour vendre des droits de ce qu'on a créé, soit, de façon encore plus intéressante, pour s'établir longuement dans des pays. C'est le cas au Canada, en Allemagne, à Hong Kong, en Afrique. En Afrique, depuis 25 ans, on tente plusieurs modèles pour voir comment on peut développer et donner accès à des contenus produits par des Africains.
"C'est aussi ça l'intérêt de l'international, c'est que vous reviennent des contenus des pays dans lesquels vous êtes."
Pascal Ruffenachà franceinfo
Vous élargissez ainsi votre cercle de contenus, de créateurs, d'illustrateurs, de photographes, etc. Donc l'international, pour nous, c'était une voie naturelle. Les Américains ne s'en privent pas. Il n'y a pas de raison que les Français s'en privent.
Bayard est un ovni dans le monde de la presse puisque le groupe est détenu par la congrégation des Augustins de l'Assomption. Quand les autres groupes de presse sont détenus par des milliardaires, qu'est-ce que ça change ?
Ça donne un certain goût de l'indépendance, d'abord. Ça donne l'obligation de compter sur vos propres ressources pour vous développer, car c'est un actionnaire auquel on ne verse pas de dividendes et qui ne nous donne pas d'argent pour nous développer particulièrement.
Est-ce que vous jouez dans la même cour ?
Oui, il me semble. On a une taille comparable à celle de tous les autres groupes de presse. Bayard, c'est à peu près 360 millions d'euros cette année, c'est-à-dire à peu près la taille du groupe Les Echos, Le Monde, peut-être Le Figaro ou des groupes de presse régionales.
Donc cette concentration des médias aujourd'hui dans la main de plusieurs milliardaires ne vous inquiète pas ?
On a une vraie barrière, qui est digitale et qui coûte très cher. On a besoin de moyens, donc il n'y a pas d'opposition formelle à la concentration. Simplement, il faut que ça soit fait pour de bonnes raisons.
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