Mode : malgré la baisse des ventes, "beaucoup d'entreprises écoresponsables s'en sortent bien" selon l'Observatoire économique de l'IFM

Le bilan 2023 dans le prêt-à-porter a été présenté vendredi à l’Institut français de la mode (IFM). Avec un chiffre d'affaires de 26,7 milliards d’euros, le secteur accuse une baisse de 1,3 milliards d'euros par rapport à 2022. Gildas Minvielle, directeur de l'Observatoire économique de l’IFM, nous donne son analyse.
Article rédigé par Camille Revel
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7min
Gildas Minvielle, directeur de l'Observatoire économique de l’Institut français de la mode. (RADIOFRANCE)

Depuis plusieurs années, le prêt-à-porter traverse une crise en France, avec des fermetures, des redressements judiciaires, des liquidations. Vendredi 16 février, l’Observatoire économique de l’Institut français de la mode (IFM) a publié son bilan et à ce sujet, il a comptabilisé près de 1 000 fermetures de points de vente en 2023.

Selon ces chiffres, le volume des ventes a aussi reculé de 4%. Dans le détail, la chaussure perd 4,9%, le linge de maison 4,2%, la lingerie 3,8%, l'habillement femme 1,5% et l'enfant 0,5%. Seule la mode homme tire son épingle du jeu avec +0,6%. Gildas Minvielle, directeur de l'Observatoire économique de l’Institut français de la mode, est "L'invité éco" de franceinfo pour commenter ces données.

franceinfo : Vous venez de présenter un bilan du marché pour 2023. Ça a été une année complexe pour le prêt à porter…

Gildas Minvielle : Une année difficile, oui. Depuis déjà plusieurs années, il y a un segment qui est particulièrement vulnérable, c'est celui du milieu de gamme. Et de nombreuses enseignes historiques françaises ont connu des difficultés importantes. On termine l'année à -1,3 [milliards d'euros] en valeur de chiffre d'affaires.

En volume, que représente la baisse ?

On assiste à un recul des ventes de 4% en volume, avec à peu près 2,8% de hausse de prix. La hausse des prix est moins importante que par le passé, mais elle est toujours là et les prix restent élevés, en effet.

Si on fait le détail, habillement, chaussures, etc… Qu'est-ce que ça donne ? Je crois que la chaussure perd 4,9%.

La chaussure est plus affectée que le vêtement. C'est un marché compliqué pour certaines enseignes qui doivent faire face à la montée en puissance des enseignes de sport. Ce sont des problématiques qui sont assez voisines de celles du vêtement.

L'inflation a-t-elle modifié les habitudes des consommateurs ? Les clients ont-ils rogné sur le budget habillement ?

Il y a des effets aggravants, comme évidemment la crise sanitaire avec la fermeture des magasins. L'inflation aussi a conduit à revoir les arbitrages pour les consommateurs, pour faire face à de fortes hausses des prix dans certains postes budgétaires.

"Dans un contexte d'inflation, on va malheureusement se servir de la mode comme d'une sorte de variable d'ajustement."

Gildas Minvielle

sur franceinfo

Mais ce qu'on constate quand même, c'est que le mal est plus profond. Depuis déjà plusieurs années, des mouvements sont à l'œuvre et fragilisent certaines entreprises. Donc il y a des éléments aggravants qui sont récents, mais le mouvement, qu'on peut situer autour de 2016, est bien antérieur à la crise sanitaire.

C'est l'essor de géants d'Internet, de l'ultra fast fashion, cette mode très rapide, jetable, avec des collections renouvelées très rapidement ?

L'arrivée de nouveaux acteurs a eu un impact très négatif. Mais il y a toujours eu des arrivées de nouveaux acteurs qui ont rendu le marché plus complexe. On a toujours eu des vagues successives, dans les années 90, Zara, HM, il y a eu plus récemment Primark dans les années 2000. Mais ces nouveaux géants sont arrivés dans un contexte différent - car depuis 2007-2008, le marché est arrivé à maturité - et ils ont pris des parts de marché. Donc c'est compliqué de réagir quand on est une enseigne historique. On pense évidemment à Camaïeu, dont la fermeture a beaucoup marqué les esprits fin 2022.

Il y a aussi un autre phénomène, c'est la consommation réduite, la seconde main. Ça aussi, c'est quelque chose qui prend de l'essor dans les habitudes des Français ?

On pourrait résumer en disant que les consommateurs consomment autrement.

"On a un rapport aux vêtements qui a beaucoup changé."

Gildas Minvielle

sur franceinfo

On parle parfois de sobriété et c'est vrai que beaucoup de consommateurs consomment moins mais mieux. La seconde main est montée en puissance. C'est aussi une façon d'acheter des vêtements moins chers. C'est très important dans un contexte de crise avec de l'inflation et un pouvoir d'achat qui est fragilisé pour les classes moyennes. C'est une possibilité qui leur est offerte d'acheter des produits beaucoup moins chers.

Pour revenir sur l'ultra fast fashion, le bilan de l'Institut français de la mode montre que le milieu de gamme est trois fois plus cher. Comment fait-on pour tenir, notamment dans le contexte de l'inflation, face à de tels arguments ?

Nous avons choisi d'étudier les prix parce que l'écart entre les tout petits prix et les prix plus premium, voire du luxe, est très important. Cet écart-là s'est beaucoup agrandi. Il y a une vingtaine d'années, le milieu de gamme était beaucoup plus attractif, plus compétitif en termes de prix. Aujourd'hui, il peut apparaître pour certains consommateurs comme trop cher par rapport à la qualité qui est proposée. Et en effet, quand on a des prix en face qui sont trois fois moins chers, c'est compliqué parce que le prix est un moteur très important pour l'achat.

C'est un tableau assez sombre, pour le prêt-à-porter de milieu de gamme. Y a-t-il quand même encore un espoir ?

Bien sûr ! Et merci de me donner l'occasion d'en parler. Il y a beaucoup d'entreprises dont on parle moins et qui s'en sortent très bien. Il y a cette exigence d'écoresponsabilité. Il y a beaucoup d'entreprises qui capitalisent sur l'atout du "made in France", en proposant des produits certes plus chers mais de meilleure qualité. Il faut être riche pour acheter pas cher, parce que quand on achète un vêtement de meilleure qualité, on s'y retrouve. On peut le conserver plus longtemps. Je crois qu'il y a un chemin positif qu'il faut avoir en tête, et il y a beaucoup d'entreprises qui ont des activités commerciales plutôt bien orientées.

Vous savez que des députés veulent s'attaquer à la fast fashion. Une proposition de loi voudrait en interdire la publicité, une autre concernerait un bonus-malus. Que pensez-vous de ces initiatives politiques ?

Je pense que c'est une bonne chose de réglementer. Moi, je suis contre le libéralisme "du renard dans le poulailler". Il faut des règles, évidemment, et il faut que ces règles soient les mêmes pour tout le monde. Mais quand on met en place de nouvelles règles, ce qui est important - et ça va être le cas j'espère - c'est la concertation entre tous les acteurs. Parce que quand on va définir la fast fashion, ça va être compliqué. On a dans le viseur Shein ou Temu, mais il ne faut pas oublier que la fast fashion est beaucoup plus ancienne que ça. Il y a des acteurs français positionnés sur des premiers prix, comme Kiabi par exemple, qui figurent dans le top 15 des enseignes préférées des Français. Vous avez Celio aussi, qui figure dans le top 15 des enseignes les plus fréquentées. Donc il faut faire attention à pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Et pour ça, je crois qu'il faut parler aux professionnels, aux institutions, aux écoles et puis aux fédérations bien sûr.

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