"L’empire de l’or rouge", une enquête exceptionnelle dans l’univers de la tomate d'industrie
Le journaliste Jean-Baptiste Malet a obtenu le prix Albert-Londres pour son enquête sur la "tomate d’industrie". Entre l’Italie et la Chine, de la mafia aux rayons des grandes surfaces, il dévoile un univers sans pitié.
Depuis les années 1960, la production mondiale de tomate a été multipliée par six. Omniprésente dans l’alimentation, des pizzas aux conserves, la tomate d’industrie est devenue un immense marché. Le journaliste Jean-Baptiste Malet lui consacre une enquête internationale, L’Empire de l’or rouge (J’ai Lu), récompensée par le prix du livre Albert-Londres.
"Tout le monde en mange mais personne n’en a jamais vu"
Invité de "L’Interview éco" mardi 1er janvier, il décrit un paradoxe : cette tomate d’industrie, "tout le monde en mange mais personne n’en a jamais vu. Sa peau est beaucoup plus épaisse que celle qu’on voit sur les marchés, dans nos marchés. Sa finalité, c’est d’être transformée dans une usine". Elle deviendra généralement du concentré de tomate, stocké dans des barils, exporté dans le monde entier, pour produire finalement des pizzas surgelés, des sauces, des soupes, etc. D’où vient la tomate contenue dans nos pizzas ? "C’est très difficile de s’y retrouver", explique Jean-Baptiste Malet, car "l’étiquetage n’est pas assez précis. Quand on consomme du ketchup par exemple, il est pratiquement impossible pour le consommateur de savoir d’où vient le concentré de tomate utilisé (…) Il faudrait durcir les normes d’étiquetage".
Dans cette géopolitique agroalimentaire, la Chine est un acteur majeur : elle est aujourd’hui le premier exportateur mondial de concentré de tomate. En moins de trente ans, elle est devenue "le principal concurrent des Italiens, notamment sur les marchés africains".
Cette mondialisation de la tomate va de pair avec une grande confusion. Le produit est fréquemment coupé, transformé : "Si on prend le ketchup, par exemple, explique Jean-Baptiste Malet, il y a très peu de tomate. On va trouver de l’eau, du vinaigre, du triple concentré, des épices (…) Le pire, c’est en Afrique de l’Ouest. Là, les Chinois, pour concurrencer les Italiens, coupent le produit avec de l’amidon, de la fibre de soja, des colorants, des additifs qui ne sont pas déclarés sur l’étiquette".
Un "esclavage moderne contrôlé par la mafia"
Derrière cette production de masse, les conditions de travail sont souvent épouvantables, notamment en Italie, comme l’explique Jean-Baptiste Malet : "Beaucoup de migrants qui arrivent en Italie, pour survivre, vendent leur force de travail dans l’agriculture. C’est le secret inavouable de la compétitivité de l’agriculture italienne. Des dizaines de milliers d’hommes, chaque été, font les récoltes dans les Pouilles, premier producteur mondial de tomate pelée. Ils ne gagnent que 20 à 30 euros par jour. Il faut savoir que les industriels du sud de l’Italie achètent la tomate seulement huit centimes le kilo. Donc, forcément, à ce prix, les petits producteurs n’ont pas d’autre choix que d’embaucher des migrants et de les exploiter".
Le journaliste décrit des conditions proches de l’esclavage. Un "esclavage moderne", encadré par la mafia. "Tout le monde ferme les yeux, s’indigne Jean-Baptiste Malet. La grande distribution, les industriels…. et à la fin, nous avons dans les rayons de nos supermarchés des produits souillés par l’esclavage".
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