L'info de l'histoire : la reine de l'immobilier vietnamien condamnée à mort

Le procès d’une banquière, Truong My Lan, s’est achevé cette semaine au Vietnam. Elle a été condamnée à mort pour une gigantesque fraude représentant 11,6 milliards d’euros. Une histoire emblématique de l’histoire de ce pays et de ses mutations politiques et économiques.
Article rédigé par Fabrice d'Almeida
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Truong My Lan lors de son procès à Ho Chi Minh-Ville (Vietnam), le 11 avril 2024 (STR / AFP)

C’est d’abord l’ascension d’une femme d’affaires. Truong My Lan est née en 1956 à Saigon, dans ce qui était alors le Sud-Vietnam. Un régime politique autoritaire en guerre contre le Nord tenu par les communistes. Dans ce régime, l’obsession pour l’argent est déjà massive et donne lieu au premier programme de lutte contre la corruption. En 1966 un procès-spectacle s’est soldé par l’exécution d’un commerçant accusé de fraude.

Mais le régime sud-vietnamien, malgré le soutien américain, ne résiste pas à l’offensive de l’armée communiste du Nord-Vietnam. En 1975, Saïgon, la capitale du Sud, est prise. La jeune Mme Truong a alors 19 ans. Saïgon est rebaptisée Ho Chi Minh-Ville, du nom du vainqueur et du fondateur du mouvement communiste vietnamien. C’est la plus grande ville du pays et encore aujourd’hui son cœur économique. C’est là que Mme Truong commence modestement à vendre des accessoires de coiffure. Un petit marché qui lui permet de dégager de premiers fonds. Le pays est encore très marqué par la collectivisation, mais à partir de 1986 commence le Doi Moi, la politique de "renouveau". De nouvelles opportunités s’ouvrent. Le but est de sortir de l’économie planifiée.

Naissance de "la reine de l'immobilier"

Cela permet à la jeune femme d’affaire de changer de secteur d’activité. Elle commence à travailler dans l’immobilier, en s’appuyant sur des relations politiques qui lui aplanissent les difficultés. Truong My Lan représente bien ces femmes qui depuis des décennies prennent de l’importance dans l’économie du pays et suscitent la confiance à cause de leur efficacité et de leur fiabilité. En 1992, elle est à la tête d’un véritable groupe immobilier qui investit dans l’immobilier de luxe et les centres commerciaux, puis les hôtels. Bientôt on la surnomme "la reine de l’immobilier".

Vingt ans plus tard, les autorités font appel à elle pour restructurer le secteur bancaire, dont plusieurs établissements menacent faillite. C’est ainsi qu’elle arrive à la tête de la Saïgon Commercial Bank dont, en théorie, elle ne pouvait détenir que 5% du capital. Mais en sous-main, elle crée des sociétés écrans et passe par des hommes de paille pour détenir presque la totalité du capital de cette puissance financière. Et partant de là, elle effectue des prêts frauduleux qui lui permettent de pomper l’épargne de pas moins de 42 000 personnes. Pendant dix ans elle prospère dans ce système qui la place au cœur de l’élite vietnamienne.

Un procès-spectacle

En 2016, une vaste campagne anticorruption est lancée par le leader du parti communiste vietnamien Nguyen Phu Trong. Une enquête ouverte sur des responsables économiques et politiques prend plusieurs années et inclut les activités de Truong My Lan. Elle aboutit à son arrestation en octobre 2022. Pas moins de 85 personnes sont visées par cette enquête, dont son mari et sa nièce. Son procès qui s’est ouvert le mois dernier était qualifié de "procès du siècle" par la presse vietnamienne et internationale. Les sommes en jeu représentaient 6% du PIB du pays !

La condamnation à mort de Mme Truong My Lan doit servir d’exemple de lutte contre la corruption. Déjà le président du pays, numéro 2 du régime, a dû démissionner pour une affaire de fraude. On retrouve le bon vieux système communiste des procès-spectacle et des chasses aux sorcières pour éliminer les figures que l’on juge encombrantes et embarrassantes. Rappelez-vous, c’étaient déjà les mêmes procédés qui étaient utilisés par les staliniens dès les années 1930, le régime modèle des communistes vietnamiens.

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