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Un réfugié kurde peut décrocher le prix de peinture le plus prestigieux d'Australie grâce à un autoportrait peint avec une brosse à dents

Mostafa Azimitabar, dit Moz Azimi, a passé huit ans en détention. Il en a profité pour peindre avec des objets de tous les jours. Il saura en fin de semaine s'il remporte le plus prestigieux prix de peinture d'Australie. 

Article rédigé par Sébastien Baer
Radio France
Publié
Temps de lecture : 2 min
Mostafa Azimitabar devant la toile "KNS088", peinte à la brosse à dents alors qu'il était détenu dans un centre de rétention pour migrants illégaux. Photo postée sur son compte Instagram. (CAPTURE D'ÉCRAN)

C'est un portrait aux tons un peu sombres qui laisse apparaître le visage d'un homme. Sourcils épais, barbe et moustaches noires, regard perdu dans le vide. Cet homme, c'est Mostafa Azimitabar, que ses amis appellent Moz Azimi. Ce réfugié kurde a passé huit années en détention dans un camp pour migrants en situation irrégulière. Difficile de faire plus isolé, sur l'île de Manus, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, à 2 000 kilomètres de la côte nord australienne.

En 2013, Moz Azimi fuit par bateau son pays, l'Iran et les répressions. Il débarque en Australie mais se retrouve victime de la très dure politique d'immigration, piégé par la lourde bureaucratie australienne. Pendant huit ans, le jeune homme qui pensait trouver une terre d'accueil va alterner centres de rétention et hôtels sordides pour réfugiés. Son quotidien est marqué par la violence, les meurtres parfois comme celui de son plus proche ami en 2014. Les privations, le manque de nourriture et de médicaments, les coupures d'électricité, d'eau courante... Pour oublier son quotidien, pour tromper son ennui, Moz Azimi se réfugie dans l'écriture de chansons, de poèmes. Et puis, lui vient l'idée de peindre. Mais pas question pour ses geôliers de lui fournir du matériel, ils redoutent qu'il n'avale les pinceaux ou la peinture pour s'automutiler.

Système D

Moz Azimi a une idée : il récupère une tasse de café et une brosse à dents. Trempée dans le café, puis glissée sur la feuille, la brosse à dents donne naissance à des dessins, des tableaux. "Quand je peins, je ne ressens plus aucun traumatisme" dit Moz Azimi qui, pendant huit ans, dessine les paysages dont il est désormais privé : la montagne, les maisons, les habitants des campagnes et puis donc, son autoportrait qu'il baptise "KNS088", son numéro de matricule pendant sa longue détention sur l'île de Manus. Le kurde a voulu faire passer dans son travail dit-il son ressenti de réfugié, "la souffrance, la tristesse" mais aussi "la force".

Après 2 737 jours de détention, Moz Azimi a été libéré, en janvier 2021. Libre, avec un visa australien. Depuis, il refait sa vie et travaille pour une organisation caritative. Il s'est mobilisé aussi pour les autres réfugiés et demandeurs d'asile du Park Hotel de Melbourne. C'est dans cet hôtel que le joueur de tennis Novak Djokovic a passé quelques jours en début d'année après être entré en Australie sans être vacciné contre le Covid-19. Moz Azimi saura en fin de semaine s'il remporte le prix Archibald, le plus prestigieux prix de peinture d'Australie. Celui qui est arrivé les mains vides il y a huit ans empocherait alors 100 000 dollars australiens, environ 70 000 euros, de quoi enfin commencer sa nouvelle vie...

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