Ces deux études se répondent de façon étonnante. L'enquêtebritannique a porté sur des fumeurs moyennement dépendants. Elle a montré queceux qui avaient réussi à arrêter de fumer se sentaient moins déprimés, moinsanxieux. Ils avaient même une vision plus positive de la vie, que ceux quin'avaient pas réussi à écraser leur dernière cigarette. Aujourd'hui l'étude,publiée par des médecins français, apporte une information complémentaire, maisune information essentielle: les fumeurs dépendants à la nicotine seraientexposés à un risque accru de suicide comme le confirme le Pr Michel Lejoyeux, chefdu service de psychiatrie et d'addictologie de l'hôpital Bichat à Paris.Il a dirigé cette étude publiée dans la revue américaineJournal of Addiction . Il est arrivé à cette conclusion après avoir examiné200 patients dans son service d'urgence après une tentative de suicide. "Nousavons mesuré leur dépendance au tabac par le test de Fagerström. Nous avonstrouvé un taux de fumeurs étonnant : 57 %. Et nous avons aussi montré queles tentatives de suicide faites par les fumeurs sont plus graves. Les fumeursfont plus de tentative de suicide, se mettent en danger avec des gestes contreeux-mêmes plus agressifs et sont plus souvent hospitalisés en psychiatrie."*"Il y a deux manières d'interpréter ces résultats" ajoute-t-il. "Le fait de fumer est un indice de souffrancepsychologique. Quand on fume, on est plus à risque d'être angoissé, déprimé etdépendant de l'alcool. Mais il y a une autre explication encore plusinquiétante. Peut-être que c'est la nicotine elle-même qui augmente le risquede dépression et même de suicide. Nous ne sommes pas les seuls à le penser. Lesautres équipes travaillant sur le sujet le disent aussi."D'après cette étude, les patients qui avaient fait unetentative de suicide et qui étaient dépendants au tabac, l'étaient aussi àl'alcool. "Les fumeurs buvaient plus d'alcool (4 verres par jour enmoyenne contre seulement un verre chez les non-fumeurs). Ils étaient plussouvent dépendants de l'alcool. Plus d'un tiers des fumeurs sont dépendants del'alcool."Selon le Pr Lejoyeux, il est possible que la nicotine majorele risque suicidaire : "On ne peut évidemment pas en être sûr mais unfaisceau d'étude montre l'effet déprimant et angoissant de la cigarette. Lanicotine diminue les taux de neuromédiateurs régulant l'humeur, c'est-à-dire labonne humeur en fait."Son étude, ainsi que l'étude britannique qui vient demontrer qu'arrêter de fumer rend plus heureux, vont à l'encontre d'une idéereçue, qu'on a admise pendant des décennies : on croyait que le tabacavait un effet antidépresseur. C'est l'inverse ! On s'est donc trompé "peutêtre à cause de la publicité pour le tabac véhiculée par ses producteurs. Etpuis il y a aussi des fausses idées sur les effets euphorisants du tabac."Dans son dernier livre qui vient de paraître chez Plon, Reveillezvos désirs, le professeur montre bien qu'on réveille justement ses désirsen sortant de la dépendance. Puisqu'on sait aujourd'hui que le tabagisme nerend pas plus zen ou plus heureux, qu'il peut même majorer le risque desuicide, est-ce que la prise en charge des patients qui veulent arrêter defumer va changer ? Le Pr Lejoyeux répond par l'affirmative : "Ouinous ne dirons plus à un fumeur qu'il faut qu'il attende d'être de bonne humeurpour se sevrer. Nous lui dirons l'inverse. C'est en vous sevrant que vous allezvous réveiller vos envies et retrouver votre énergie."En conséquence, les messages de prévention doivent aussichanger et mettre en avant ces risques peu connus du public liés autabagisme : risque de déprime, risque de suicide et pas seulement risquede cancers. "Sans dramatiser ni faire peur, il faut quand même dresserun inventaire complet des effets nocifs du tabac y compris sur le risque dedépression et de suicide. On trouve plus de goût et de plaisir à la vie sans cigarette."