"La Bougie du sapeur", seul journal à ne sortir que les 29 février : "On ne peut pas se louper", assure son directeur, Jean d'Indy

En 44 ans d’existence, ce périodique humoristique n’a publié que 12 numéros.
Article rédigé par Célyne Baÿt-Darcourt
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Jean d'Indy, le 29 février 2024. (FRANCEINFO / RADIOFRANCE)

Jean d'Indy est le directeur d'un titre unique dans l'univers de la presse, créé en 1980, La Bougie du sapeur et dont la particularité est de ne sortir que les 29 février, soit les années bissextiles. Jeudi 29 février 2024 est donc marqué par la sortie, uniquement en kiosque, du douzième numéro, sans publicité, financé par le fruit de la vente des 120 000 exemplaires vendus en 2020. Il reverse une partie de ses revenus à l’association À Tire d’Aile qui traite de l'autisme.

franceinfo : C'est le 12ᵉ numéro que vous publiez depuis 1980. On est toujours un peu fébrile au moment de la sortie, surtout quand c'est seulement tous les quatre ans ?

Jean d'Indy : Oui, on ne peut pas se louper ! Si je perds mes clients aujourd'hui, je n'ai pas demain pour me rattraper. C'est extrêmement sérieux. Il y a plein de fake news, mais dans la presse aussi. L'idée, c'est vraiment que les gens respirent et voient l'actualité sous un jour nouveau, une fois tous les quatre ans.

La Bougie du Sapeur fonctionne comme un vrai journal. Il y a les rubriques éco, politique, culture, mais c'est vrai que c'est un peu sarcastique, il y a des jeux de mots. Comment le définissez-vous ?

C'est un vrai journal. C'est même un quotidien parce que ma définition du quotidien, c'est que c'est un journal daté du jour. Le mien est daté du 29 février. Ce n'est pas de ma faute à moi si la Terre tourne à cette vitesse-là et qu'il y a un 29 février que tous les quatre ans, je n'y peux rien moi. 

"La ligne éditoriale, c'est clairement l'humour, se moquer de l'actualité récente ou d'actualités fortes d'il y a quatre ans, trois ans, deux ans, ou des grands sujets de société."

Jean d'Indy

franceinfo

Mais ça signifie que pendant quatre ans, vous notez au fur et à mesure les sujets qui potentiellement pourraient se retrouver dans le prochain numéro ?

Oui, j'ai une boîte à chaussures dans mon bureau. Je prends des notes, je découpe des articles, je mets tout ça dans une grosse boîte et puis à la fin, avec mes copains, on choisit. Le boulot de rédacteur en chef, c'est bien ça. Le titre de la Une de ce dernier numéro, c'est une très bonne nouvelle, "on va devenir tous intelligents", sans faire d'études, sans se donner du mal. Maintenant, avec l'IA, l'intelligence artificielle, on va appuyer sur un bouton et on va avoir l'air super malins.

Vous avez parlé de vos copains qui écrivent pour La Bougie du sapeur. Sont-ils journalistes ?

Alors, non, parce que j'ai un gros défaut, c'est que je ne paye pas mes journalistes. Ce ne sont que des bénévoles, des copains. On n'a pas de bureau, de salle de rédaction, etc. On va au bistrot, je les abreuve de produits licites, mais ça stimule les neurones. On délire et le produit de notre délire est dans ce journal.

C'est assez insupportable ce que vous faites parce que vous démarrez dans ce numéro un feuilleton. Et on aura la suite que dans quatre ans...

Je vous recommande de ne pas louper celui de 2028. Réservez-le déjà chez vos marchands de journaux. 

"On faisait des mots croisés aussi à l'époque et cela agaçait beaucoup les lecteurs parce que quand ils butaient sur un mot, il fallait être très patient pour avoir la solution."

Jean d'Indy

franceinfo

Dans ce numéro, on ne l'a pas fait, il n'y a pas de mots croisés, parce qu'on se faisait engueuler, en plus on oubliait, donc il fallait attendre huit ans.

Comment est né ce journal ?

C'est une bande de copains de la génération d'avant, en 1980, qui a voulu faire un canular. Ils n'ont jamais pensé que ça marcherait. Ils ont publié un huit pages en noir et blanc avec de la rigolade. Puis, pour pousser le canular jusqu'au bout, ils l'ont mis en kiosques. Et les NMPP, qui étaient le distributeur de l'époque, ont appelé en disant qu'ils avaient vendu 30 000 exemplaires et qu'il fallait en refaire. Comme on ne redémarre pas une imprimerie comme ça, ils ont répondu : "On ne va pas réimprimer le numéro 1, mais on vous promet qu'on fera un numéro 2, puis un numéro 3, puis un numéro 4, etc". Ils cherchaient une date exceptionnelle pour un journal exceptionnel. La seule date exceptionnelle du calendrier, c'est évidemment celle-là.

Et pourquoi ça s'appelle La Bougie du sapeur ?

Le siècle dernier, il y avait un personnage de bande dessinée qui s'appelait Le Sapeur Camember, écrit par un type très drôle qui s'appelait Colomb et il a pris comme pseudo Christophe. Et ce personnage de bande dessinée, c'est le Sapeur Camember qui dans l'histoire est né le 29 février et souffle donc sa bougie ce jour-là.

C'est un journal sans publicité. Ça signifie que l'argent que vous récoltez vous sert à fabriquer le prochain numéro ?

Sans publicité, nous sommes totalement indépendants, j'y tiens beaucoup. On commence par mettre de côté l'argent pour la pérennité du titre, donc pour 2028. Et puis, le reste, on le donne à une association formidable, à Tire d'Aile, qui est une association qui traite de l'autisme et qui gère une maison à La Châtre dans l'Indre, la Maison des oiseaux. C'est la seule info sérieuse du journal, mais au moins, on sert à quelque chose de bien.

Il y a beaucoup de kiosquiers qui vous soutiennent et qui mettent en avant La Bougie du sapeur parce que vous reversez une partie des bénéfices à cette association, ça leur plaît comme démarche ?

Je pense que ça leur plaît. Ça leur plaît aussi parce qu'on veut absolument qu'ils soient les seuls à vendre notre journal. 

"On ne veut pas être sur Internet, on ne veut pas être en numérique."

Jean d'Indy

franceinfo

Les marchands de journaux font partie de l'aménagement du territoire, des villages et on y tient beaucoup. Allez chez vos marchands de journaux, ils ont besoin d'avoir des clients, ils ont besoin qu'on les soutienne !

Savez-vous si le concept de La Bougie du sapeur existe ailleurs dans le monde ?

Je reçois des mails de gens qui me disent : "C'est un ovni de la presse sur la planète entière", je suis très fier et d'autres qui me disent : "Vous pourriez peut-être le traduire". Mais c'est impossible. Vous ne traduisez pas un calembour, un jeu de mots et puis on parle de l'humour français qui n'a rien à voir avec l'humour anglais. Je pense qu'on est les seuls sur la planète entière !

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.