"’Franc-Tireur’ est un journal mordant contre la polarisation et contre les excessifs", explique Caroline Fourest

L’essayiste est l’une des cofondatrices de ce magazine qui lutte contre les extrémismes, le complotisme, les populismes. Il fête ses deux ans d’existence.
Article rédigé par Célyne Baÿt-Darcourt
Radio France
Publié
Temps de lecture : 93 min
Carolien Fourest, cofondatrice et directrice éditoriale du journal hebdomadaire "Franc-Tireur", le 29 novembre 2023. (RADIOFRANCE / FRANCEINFO)

Caroline Fourest est cofondatrice et directrice éditoriale du journal hebdomadaire Franc-Tireur dont le nouveau numéro, sorti mercredi 29 novembre, fait sa Une avec le procès de l'assassinat de Samuel Paty. Depuis deux ans, ce magazine politique, dont le prix reste bloqué à 2 euros et voit son nombre d’abonnés augmenté à 30 000 abonnés, donne la parole à des personnalités aux idées fortes, parfois contraires, mais qui luttent toutes contre leurs ennemis communs et surtout les mots en –isme tels que l'obscurantisme, le wokisme, le complotisme, les extrémismes, l'intégrisme et cetera.

Franceinfo : Vous dites défendre les idées avec une volonté de modération et d'apaisement. Est-ce vraiment possible en 2023 avec les réseaux sociaux qui hystérisent le débat et surtout dans le contexte extrêmement tendu de la guerre au Proche-Orient ?

Caroline Fourest : C'est un vrai défi. C'est un vrai défi hebdomadaire, mais on y met de l'énergie, du cœur et de la bonne humeur. On essaie, effectivement, de faire un journal mordant contre la polarisation et contre les excessifs, contre les extrêmes, mais on s'est aperçus qu'il fallait quand même aussi donner du plaisir aux lecteurs et pas simplement dire des choses modérées de façon parfois trop tiède. Il faut le dire parfois franchement. Voilà.

Les ventes de "Franc-Tireur" ont bondi depuis le déclenchement de la guerre au Proche-Orient. À votre avis, qu'est-ce qui a séduit de nouveaux lecteurs ? Est-ce vraiment lié à ce qui se passe au Proche-Orient ?

On était déjà sur une courbe ascendante depuis le lancement du journal. Honnêtement, on gagne à la fois des lecteurs en kiosque et des abonnés. On a aussi encore plus travaillé notre formule à l'occasion des deux ans. Mais oui, bien sûr qu'il y a un effet du 7 octobre, parce que justement, dans les moments où les excès se font beaucoup entendre et où des gens en souffrent, les gens ont besoin aussi de lire un journal qui leur remonte un peu le moral, qui les aide à tenir.

Vous disiez : "On doit dire les choses franchement", mais alors comment garde-t-on la nuance quand on dit les choses franchement ?

Clairement. C'est ça la différence.

"Souvent on confond le fait d'être modéré avec le fait de dire un peu à gauche, un peu à droite, et puis les gens s'y retrouveront. Quand on dit clairement quelque chose, c'est cette précision qui fait la différence."

Caroline Fourest

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Les gens, qui n'ont pas beaucoup de temps pour essayer de démêler tout ce qui se raconte et qui sont généralement submergés par les propagandes ou par les déclarations, par les petites phrases, apprécient. C'est ce que nous disent nos lecteurs.

Sur la guerre entre Israël et le Hamas, on peut être nuancés ? Comment faites-vous ?

Nous, on s'en prend à ceux qui ne le sont pas ou à ceux qui, par exemple, confondent évidemment la lutte pour la Palestine avec la lutte pro Hamas. Ça fait beaucoup de monde aujourd'hui, malheureusement. Quand vous avez un slogan, par exemple, qui dit pour la Palestine : "De la rivière à la mer", ce n'est pas un slogan anticolonialiste, c'est un slogan exterminationniste. Mettre les mots sur ça, montrer là où est le discours dérape et révèle, je peux vous dire qu'en huit pages chaque semaine, on a de quoi faire.

Selon vous, que dit ce conflit au Proche-Orient de la société française ?

D'abord, il y a encore une fois tout qui est entremêlé, c'est-à-dire qu'il y a en ce moment, à la fois des gens qui sont en train de confondre, par exemple, ce qui se passe à Crépol et ce qui s'est passé le 7 octobre. On sent dans les discours qu'il y a une confusion. Tout est mélangé et des gens font des continuités en fonction des prénoms qu'on essaie aussi de démêler car c'est important de mettre des mots quand c'est une violence en bande organisée, ça n'est pas un attentat et puis ce n'est pas le pogrom qu'on a connu le 7 octobre.

Mais ça, c'est le fait de l'extrême droite qui attise cela ?

Oui, enfin, moi je crains que malheureusement ce soit plus large que ça. L'extrême droite cherche à créer ces continuités par les prénoms, par les origines, par les identités. Nous, on est un journal qui justement essaye en permanence de défaire les discours identitaires qui existent en grande majorité à l'extrême droite et parfois aussi à l'extrême gauche, honnêtement, c'est ça le risque, parce qu'ils se nourrissent et on essaie de remettre un débat d'idées.

"On a le droit de ne pas être d'accord, mais l'essentiel, c'est qu'on continue à se disputer sur nos idées, pas sur nos identités. Parce que ça, ça s'appelle la guerre civile."

Caroline Fourest

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"Franc-Tireur", c'est huit pages sans publicité, des articles courts, pas de photos, un papier journal, 2 euros. Qui vous lit ?

Alors on a évidemment, comme tous ceux qui lisent la presse écrite, sans doute des CSP+, on a des gens pas plus âgés que dans le reste de la presse écrite, on est dans la moyenne et on essaye, de séduire et les étudiants et encore une fois, ceux qui n'achetaient plus la presse et qui y reviennent grâce au prix. L'équilibre Femme-Homme est respecté.

Quels sont vos rapports avec le propriétaire du journal, le milliardaire Daniel Křetínský ? Y a-t-il des interventions de sa part ?

Non. Je souhaite vraiment à toutes les rédactions d'avoir la liberté qu'on a et en même temps, en ayant été chercher des gens comme moi ou Raphaël Enthoven, vous vous doutez bien que s'ils n'avaient pas eu ça en tête, c’est qu’ils n'avaient pas choisi les bonnes personnes.

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