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Attentats du 13-Novembre : Antoine Leiris a "été impressionné par l'intelligence, la clairvoyance" des victimes

Quelques jours après les attentats du 13-Novembre, son billet titré Vous n'aurez pas ma haine avait fait le tour du monde via les réseaux sociaux. Antoine Leiris, dont la compagne a été tuée au Bataclan, a produit un documentaire diffusé sur France 5 dimanche 13 novembre. 

Article rédigé par franceinfo, Céline Asselot
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Antoine Leiris, réalisateur du documentaire "Vous n'aurez pas ma haine" diffusé dimanche 13 novembre 2016 sur France 5.  (DOMINIQUE FAGET / AFP)

Antoine Leiris, ex-chroniqueur de franceinfo, a publié un texte émouvant et digne après le décès de sa compagne tuée au Bataclan, il y a un an, dans les attentats du 13-Novembre. Intitulé Vous n'aurez pas ma haine, ce billet est devenu un livre. Il se transforme aujourd'hui en documentaire. Il sera diffusé à la télévision dimanche 13 novembre 2016, un an après les attentats.

franceinfo : À quel moment vous êtes-vous dit qu'il fallait donner une suite à ce texte ? Qu'il fallait en faire un film ?

Antoine Leiris : Faire un livre et faire un film, ces deux décisions ont été prises de manière à peu près concomitante. Le délai de sortie et de publication d'un documentaire fait qu'il y a un décalage. Mais la décision a été prise en même temps. Le livre parlait d'abord de cette protection que j'ai dû construire autour de moi et mon fils, pour nous protéger du monde. Et puis il y a eu ce documentaire. J'ai un peu forcé ma nature pour le réaliser, mais c'est bel et bien moi qui l'ai proposé. J'ai voulu faire ce geste pour m'ouvrir à nouveau au monde. Ce documentaire m'a permis de sortir du cocon protecteur que j'avais construit.

Dans le documentaire, où vous partez à la rencontre des spectateurs du concert des Eagles of Death Metal à l'Olympia en février 2016, vous dites : "Je ne sais pas très bien ce que j'attends de ces rencontres". Est-ce-que vous l'avez compris, finalement ?

Je n'en suis même pas sûr. Je suis parti avec l'idée de leur donner la parole, avec une règle de base : je ne demanderai jamais à quelqu'un ce que je ne voudrais pas qu'on me demande. À partir de là, on a avancé avec Karine Dufour, ma coréalisatrice. Au fur et à mesure de ces rencontres, j'ai compris que mon histoire était en fait une histoire collective. Et c'est sur cet aspect collectif que j'ai beaucoup avancé, cette année, et que ce documentaire m'a enrichi personnellement. 

Comment avez-vous été accueilli ? Est-ce que les gens que vous avez rencontrés avaient besoin de vous parler ? 

Je pense que s'ils ont accepté, c'est que, quelque part, ils en avaient envie. Personnellement, j'avais une immense boule au ventre avant d'aller les rencontrer. Mais au moment du rendez-vous, il y a eu une complicité, une fraternité immédiate entre nous. On se reconnaissait au premier coup d'œil. 

Avez-vous été surpris de la manière dont les uns et les autres tentent de vivre aujourd'hui ?

J'ai été surpris. J'ai été impressionné par l'intelligence, la clairvoyance avec laquelle les gens ont réagi. Par exemple, on a discuté avec Djamel, qui a perdu sa jambe et une partie de l'usage de son bras sur la terrasse de La Belle Équipe, ce soir-là. Il m'a dit, hors caméra, être prêt à payer un avocat à Salah Abdeslam s'il le faut, afin qu'il soit jugé selon le droit. Cette réaction de lucidité m'a beaucoup impressionné.

On se rend compte dans le film que vous n'avez pas tous vécu les événements de la même manière. Vous dites : "Vous n'aurez pas ma haine". Mais dans le film, un témoin explique que, lui, a du mal à ne pas en avoir.

Après la parution de mon post Facebook [quelques jours après les attentats], on m'a beaucoup demandé si ce billet était une leçon, un guide sur comment réagir. En fait, c'est UNE voie, UNE manière de réagir. Certains ont réagi différemment. Mais, à la fin, on se rend compte qu'on a tous ce désir de vivre. Malgré ça et au delà de ça.

Peut-on oublier ? Ou faut-il apprendre à faire avec, selon vous ? 

Ce rapport à l'oubli est très étrange pour les gens qui ont vécu ça. Récemment, sur une page Facebook dédiée aux victimes des attentats, je lisais que c'était très difficile pour beaucoup de gens en ce moment. Ils disent : "Les autres ont oublié, mais moi j'y suis toujours. Les autres ont oublié, mais tant mieux pour eux." Il y a une forme d'acceptation et de revendication. Mais cette blessure sera toujours en nous. Je voulais absolument rencontrer d'anciennes victimes d'attentats et je me suis rendu compte que la peur était dépassée, que le statut de victime était dépassé. Mais la blessure est toujours là.

Oublier, pour nous, c'est impossible. Pour la société, c'est important

Antoine Leiris

sur franceinfo

On a l'impression que vous avez réussi à puiser de l'espoir dans vos rencontres avec des victimes d'attentats plus anciens. 

En réalité, je crois que c'était une quête assez égoïste au départ. Je voulais rencontrer des gens qui me disent : "Tu ne vas pas être perdu tout seul." Effectivement, je suis allé voir Laura, qui travaille à l'ONU et qui a perdu son mari dans les attentats de Bagdad il y a plus de dix ans, et son fils Mathias, un petit garçon de 10 ans, joyeux, heureux. Quand je le regardais dans les yeux, je me disais : "J'espère que Melvil [le fils d'Antoine Leiris] sera aussi heureux dans une dizaine d'années." Je suis allé chez les gens avec la force de me dire : "Tu vas voir, il y a encore plein de belles choses après pour toi".

Ce documentaire sera diffusé dimanche 13 novembre, un an après les attentats de Paris. Est-ce que cet anniversaire a un sens particulier pour vous ?

Je me suis demandé si c'était une bonne idée de le diffuser le 13-Novembre. Finalement je crois que c'est le bon moment. C'est bien que, ce soir-là, on puisse voir les visages des gens qui ont vécu l'attentat et des visages de gens qui vont continuer à vivre. Personnellement, je vais passer cette journée tranquillement avec mon fils. Comme un dimanche normal. 

Est-ce que la médiatisation de votre écrit a été difficile à gérer ?

Le fait d'avoir été un journaliste, auparavant, m'a permis de prendre du recul et de bien comprendre que j'étais uniquement le vecteur pour parler, à toutes ces victimes et de toutes ces victimes. C'est d'ailleurs le rôle que j'ai endossé pour ce documentaire. Parler de moi, parce qu'il fallait que je donne quelque chose, afin que les gens que j'ai rencontrés donnent aussi d'eux-mêmes. Ça me paraît normal et équilibré. Je suis le passeur de quelque chose. Mes mots existent. Ils sont un des symboles de ce qui s'est passé ce soir-là. Et maintenant je continue ma vie.

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