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1914-1918, franceinfo y était. 23 avril 1915 : Les ravages des gaz

Cent ans après la Première guerre mondiale, franceinfo raconte les événements clés de 1914-1918 comme s'ils venaient de se passer. Aujourd'hui, "Les ravages des gaz".

Article rédigé par Grégoire Lecalot, Cécilia Arbona
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Des soldats au front munis de masques afin d'éviter l'inhalation de gaz. (©)

Nous sommes le 23 avril 1915. Le choc est immense vingt-quatre heures après l’attaque allemande au gaz chimique près d’Ypres. Français et Allemands s’accusent mutuellement d’avoir été les premiers à utiliser ce type d’arme au cours de la guerre. Et pendant que les diplomates se chamaillent pour savoir si oui ou non c’est interdit par la convention internationale de La Haye de 1899, sur le terrain morts et blessés se comptent par milliers. Cécilia Arbona, vous vous trouvez dans un hôpital à l’arrière du front, de quoi souffrent ces blessés au gaz ?

Ces hommes allongés sur des brancards ont le visage tout bleu. Un médecin vient de m’expliquer que tout leur arbre respiratoire est congestionné. On note des dégénérescences déjà massives du foie, de la rate, des reins ; des symptômes de bronchite aiguë, des œdèmes du poumon.

Les soldats qui n’ont pas pu arriver jusqu’à cet hôpital de campagne se sont écroulés net dans des champs, morts par asphyxie. Le bilan est particulièrement lourd. Ceux qui ont réussi à s’en sortir présentent des cyanoses. Je ne sais pas si vous entendez derrière moi ces blessés qui toussent ; ils crachent du sang noir. Ils émettent des râles d’animaux, des bruits crépitants, comme des explosions dans leur gorge...

On regarde ces malades avec effroi parce que personne n’a jamais rien vu de si terrifiant. Les gazés cherchent de l’air, s’agitent, implorent notre secours des yeux. J’ai dû sortir de la salle à plusieurs reprises pour ne pas affronter leur regard. Des infirmières s’activent mais se font aider par des soldats valides, car il faut mettre les gazés tout nus, désinfecter leurs vêtements, leur raser la tête et les laver avec du bicarbonate de soude. On a transformé de vaillants soldats en larves.

Cécilia, c’est absolument terrible... Vous êtes depuis quelques jours dans ces tranchées près d’Ypres. Est-ce que cette attaque au gaz d’hier a été une surprise totale ?

Non, parce que des rumeurs couraient sur l’utilisation d’armes chimiques tant par les Allemands que de la part des Français. Ce serait donc les Allemands qui auraient pris l’initiative. Ils ont en tout cas installé devant leurs tranchées de première ligne des tuyaux espacés de 2 à 4  mètres, d’où cette échappée il y a quelques jours... Des vapeurs jaunes, verdâtres, on ne savait pas ce que c’était. Apparemment ces émanations ont toutes les caractéristiques du chlore. Les autorités allemandes, d’après ce qu’on m’a dit ici dans le village, ont réquisitionné 6 000 cylindres pressurisés contenant du chlore. C’est quand même la moitié du stock actuellement disponible en Allemagne. Et puis des villageois m’ont raconté que dès la fin du mois de février, ils ont vu pendant la nuit des Allemands installer en toute discrétion des bidons, des citernes... il y a eu un va-et-vient incessant de camions chargés de ces citernes. Les Allemands ont aussi installé, et cela est incroyable, une station météo pour être sûrs d’intervenir au bon moment et de profiter des vents favorables.

Merci, Cécilia Arbona, en direct d’Ypres, où a eu lieu la première attaque au gaz de la guerre lancée par les Allemands contre l’armée française. La première attaque massive de ce type de l’Histoire.

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