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1914-1918, franceinfo y était. 16 avril 1917 : Le massacre du chemin des dames

Cent ans après la Première guerre mondiale, franceinfo raconte les événements clés de 1914-1918 comme s'ils venaient de se passer. Aujourd'hui, "Le massacre du chemin des dames".

Article rédigé par Grégoire Lecalot, Mathilde Lemaire
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Les Allemands, qui occupent le Chemin des Dames depuis les lendemains de la bataille de la Marne ont fait fait plusieurs centaines de milliers de victimes françaises. (©)

Nous sommes le 16 avril 1917. Il ne peut pas porter plus mal son nom : le Chemin des Dames n’a plus rien à voir avec cette route campagnarde entre Lens et Soissons qu’empruntaient jadis les filles de Louis XV. Les Allemands occupent cette position depuis les lendemains de la bataille de la Marne. Plusieurs centaines de milliers de soldats français ont tenté de l’enlever de force ce matin. Malgré les énormes moyens mobilisés par le général Nivelle, le bilan est effrayant… Mathilde Lemaire, vous avez suivi pour France Info cette offensive jusque sur le plateau de Craonne. Que s’est-il passé et où en est-on ?

La situation est apocalyptique pour ceux qui participent depuis l’aube à cette offensive. On a vu un bataillon de Sénégalais sortir des parallèles, et grimper en direction de Lens, avec chacun un barda d’une trentaine de kilos sur le dos. Arrivés là-haut, vers 6h15 du matin, ces Africains ont été surpris : là où ils pensaient que l’artillerie française avait tout détruit puisqu’elle pilonne depuis quatorze jours, ils ont découvert des positions allemandes encore très solides. Et ce fut le crépitement interminable de milliers de mitrailleuses allemandes, un tac assourdissant, les grenades incendiaires lancées par les soldats ennemis… De quoi désorienter complètement les soldats alliés. Hébétés, ils n’ont souvent pas eu le réflexe de se jeter dans les tranchées pour se protéger. Et ils erraient ainsi sur le champ de bataille à la recherche de leurs officiers. En vain. Au moment où je vous parle, il semble qu’il n’y ait aucun survivant de ce bataillon.

On a entendu des chiffres terribles sur les pertes de cette offensive…

Il est difficile de chiffrer pour le moment. Le résultat de cette offensive ratée est un tableau terrible : les corps autour de nous sont difficilement identifiables, le terrain boueux est jonché de centaines de cadavres, les blessés sont très nombreux, avec des plaies indescriptibles. Tout cela sous un ciel gris, dans le froid, la pluie ; il est même tombé de la neige.

On devine à l’horizon les tours de Lens, mais elles paraissent bien loin. Le général Mangin avait hier soir ordonné aux musiciens de ses différents régiments de prendre la route avec leurs instruments ; il avait promis que dès ce soir 18 heures ils joueraient la Marseillaise dans la ville… Cet enthousiasme est bien derrière nous à présent.

Mathilde, cette attaque débordait largement le plateau de Craonne où vous vous trouviez. Et dans la plaine, l’armée française a dégainé une nouvelle arme : des chars d’assaut, sur lesquels on comptait. Avez-vous pu avoir des informations sur ce qu’il est advenu de ces chars ?

J’ai croisé tout à l’heure un officier de l’état-major qui m’a rendu compte de la situation : à Berry-au-Bac, à une douzaine de kilomètres d’ici, l’armée française avait aligné… 82 chars Schneider. Autant vous dire que quand ils se sont déployés, vers 6h30 tout à l’heure, cela a provoqué un énorme tremblement à des kilomètres à la ronde. Ces engins présentés comme des armes miracles avaient fière allure : rectangulaires, massifs, 6 mètres de long, 13 tonnes, six militaires, deux mitrailleuses et un canon de 75 à bord. Ils avançaient à 3 km/h. Un tel déploiement était inédit… Même les Anglais n’en ont jamais utilisé plus de 18 à la fois. Ces chars blindés modernes étaient censés ouvrir des passages à l’infanterie à travers les barbelés et pouvoir détruire les nids de mitrailleuses ennemies, mais il semble qu’on avait en fait surestimé leurs capacités : à midi, seul cinq d’entre eux avaient atteint leur objectif. Du coup, ces véhicules se retrouvent au milieu du champ de bataille, isolés, à attendre l’infanterie, des hommes à pied qui n’arrivent pas. Autant dire que ce sont des cibles faciles… Visés par l’artillerie ennemie, ces chars Schneider bardés de bidons d’essence s’enflamment. On a vu ainsi des soldats en feu courir désespérément dans tous les sens, de véritables torches humaines, des scènes de cauchemar. 

Et que disent les officiers qui sont autour de vous, Mathilde ? Le général Nivelle a-t-il sous-estimé les forces allemandes ?

On entend peu les officiers. Mais la débâcle est telle que les soldats qui ont survécu se demandent si les Allemands n’auraient pas eu tous les plans de cette offensive à l’avance…

C’est peut-être juste que les Allemands sont là depuis trois ans – et les Français ont oublié qu’ils ont ainsi eu le temps de solidement s’installer. D’après l’un des rares prisonniers allemands, les soldats Allemands là-haut ne sont pas dans des tranchées ordinaires mais dans des cavernes, d’anciennes carrières de pierre qui ne craignent donc pas le mortier français. Le prisonnier en question a dit qu’ils avaient constitué une véritable petite ville, avec le confort et une défense de choc – ce qui expliquerait la résistance sereine des positions ennemies. 

Le mot "fiasco" n’est donc pas trop fort. Il semblerait aussi que, comble de l’enfer, l’infanterie française – les hommes au sol – sur le Chemin des Dames ait par endroits dépassé l’artillerie. Les Français se seraient retrouvés broyés par leurs propres obus. Il devient évident que si cette information se confirme, le général Nivelle qui commande cette opération devra rendre des comptes : comment avec de tels moyens les meilleures unités de l’armée française ont-elles été à ce point tenues en échec ?

Je rappelle l’information principale : l’armée française a tenté ce matin de prendre le Chemin des Dames, sans y parvenir. Les premiers bilans font état de dizaines, voire de centaines de milliers de morts.

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