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Classement et tests : à la rencontre des serial commentateurs d'Amazon

Leurs commentaires ont peut-être motivé vos décisions d'achat pour Noël.
Article rédigé par Thomas Rozec
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
  (© Maxppp)

Avec plus de 1.300 critiques postées sur Amazon, Gwen figure en tête du classement. Autre donnée : 96% de ses commentaires ont été jugés utiles par les autres internautes et potentiels acheteurs. En parcourant l'historique de ses contributions, on s'aperçoit aisément qu'il s'agit d'une passionnée de polars, notamment ceux de l'écrivain belge Georges Simenon et de James Bond en lettres imprimées ou à l'écran. A chacune de ses critiques, où elle n'hésite pas à utiliser le "je" et le "vous", trois ou quatre paragraphes pour étayer son propos.

Au-delà du classement actualisé quotidiennement par Amazon, Gwen figure dans le tableau d'honneur des critiques, récemment qualifié de "temple de la renommée" depuis cinq années consécutives. Celui-ci recense tous ceux qui ont atteint les plus hautes positions du classement à un moment, soit la "crème de la crème" selon Amazon.

La plateforme d'e-commerce met en avant ces recommandations qui sont au fondement de son modèle économique. "Prenez une minute pour explorer les critiques écrites par ces clients. ils vous inspireront" , est-il écrit en préambule du classement.

Une sous-culture avec plusieurs types de profils

Lors des premières années d'existence d'Amazon, les critiques de livres étaient initialement écrites par des salariés d'Amazon avant que ceux-ci ne deviennent trop occupés par la croissance de l'entreprise et externalisent cet espace auprès des internautes. Tous commentateurs, tous acheteurs. Plus il y a de commentaires - même négatifs à condition d'être développés, plus un produit attire l'attention.

Benoît Rocquigny, actuellement à la 17ème place du classement et figurant depuis cinq ans dans le top 20, a plus de 1.300 réactions à son actif. Il dispose même d'une page Facebook pour les relayer. "Si un produit ne vous a pas plu, mettre "c'est nul", "jamais j'achéterai ce truc là" ou "plus jamais", cela ne sert à rien. Les gens se posent beaucoup de questions. ils veulent savoir pourquoi vous considérez le produit comme nul, pourquoi vous ne l'avez pas aimé".

Cette liberté d'expression est appréciée par les contributeurs. Amazon France, interrogé par France Info, rappelle "qu'il n'y a pas de modération à l'exception des propos injurieux sur des fiches de produits ". Pour Bruce Tringale, assistant social francilien de 41 ans, "les consignes d'Amazon sont assez larges. Vous allez avoir une frange de personnes comme moi qui jouent un peu au journaliste et qui font des articles, d'autres qui commentent "J'ai bien reçu le produit. On est content" et d'autres qui vont axer ce qu'ils écrivent sur la propriété technique du produit, s'il y a des bonus ou si l'image est trop compressée". Et il n'est pas rare que ces catégories s'opposent les unes aux autres.

Celui qui se décrit aujourd'hui comme un "Amazonaute repenti", après avoir créé il y a près d'un an un blog sur la BD où il poste ses critiques, a pourtant commencé à écrire sur Amazon après avoir essayé Wikipédia. "Je suis passionné de rock et de bande-dessinée. J'avais commencé à écrire sur les Pink Floyd sur Wikipédia et je me suis rendu compte le lendemain que ce que j'avais écrit avait été supprimé par un contributeur anonyme. J'ai pas tellement apprécié que mon travail soit effacé", explique-t-il. Numéro trois du classement, Mélomaniac, un mélomane qui préfère rester anonyme, a lui débuté il y a huit ans "pour le plaisir de mettre en forme son ressenti critique face à un objet culturel. Les premiers encouragements des "amazonautes" ont été aussi stimulants".

Comment Amazon classe ses reviewers qui sont aussi ses clients ?

Parmi les contributeurs interrogés, tous disent méconnaître ou ont une connaissance vague de l'algorithme derrière ce classement. Après une première vision globale du classement, on s'aperçoit que les mieux placés ne sont pas ceux qui ont le plus écrit sur le site. Amazon répond que c'est un mélange entre la récurrence de leurs commentaires et les avis des autres internautes sur ce qu'ils ont écrit. Ces derniers peuvent s'attribuer entre eux des votes utiles ou inutiles. Mais il nous sera impossible de connaître la pondération de ces deux critères.

Plus ces contributeurs commentent, plus ils espèrent figurer dans le classement. Une compétition qui a aussi eu un effet à terme sur les commentaires postés selon Philippe Pagot, un chargé de mission dans un établissement public administratif à 52 ans. Ses commentaires ont été jugés utiles dans 92% des cas. "A une époque où je commentais beaucoup de jazz, je me suis aperçu que quand je commentais, j'étais devenu critique et je ne prenais plus plaisir à écouter. J'écoutais pour voir "pourquoi il a changé là de tonalité, de clé'. Finalement, le plaisir disparait face à une analyse que l'on fait".

Et il y a aussi des dérives. Bruce Tringale se souvient avoir effacé plus de 300 de ses commentaires impopulaires "pour monter dans le classement" . Mais aussi ces campagnes de vote inutile organisés sur les forums sur Amazon pour faire bouger le classement. Semper Victor, alias Frédéric Bey, en a fait les frais. "Je l'ai découvert quand je suis rentré dans les dix premiers. Quand on commence à progresser dans le classement, on se prend le même jour 20 commentaires négatifs sur les commentaires les plus récents" , raconte ce salarié qui partage son temps entre la gestion de risques bancaires et la rédaction d'articles et d'ouvrages historiques. "Je vote rarement. C'est une spirale par la suite" , témoigne celui qui considère ses contributions sur Amazon comme un "moyen de garder une trace de ce que j'ai lu".

Mais il semblerait qu'Amazon limite le nombre de votes inutiles attribués à un contributeur par une même personne. "Bourrer les urnes n'a pas d'effet sur le classement. En fait, de tels votes ne seront même pas comptés", est-il expliqué en ligne. "Amazon est la grande famille des inimitiés et des clans", décrit un commentateur pour qui la plateforme peut être "une forme d'exutoire". "Cette idée de podium n'est pas très saine et exploite des instincts de compétition au service d'intérêts commerciaux. Peu de monde est dupe du procédé, mais chacun fonce tête baissée dans le panneau" , renchérit un autre.

Quel est alors l'intérêt d'un classement ?

Au-delà du classement, il y a également des avantages en nature pour certains en fonction de leurs positions. Ils peuvent être contactés par des entreprises, des boîtes de communication pour tester leurs produits gratuitement. Il y a quelques années. Certains refusent ces sollicitations considérées comme des "spams", d'autres non. Amazon même mis en place un club des testeurs bénévoles sur invitation, allant de la lessive aux produits informatiques. Seules obligations : donner son avis sur le bien dans un délai de 30 jours et ne pas le revendre. Mais certains se plaignent du ciblage effectué, la liste des produits proposés différant de leurs centres d'intérêt pourtant précisés sur leurs pages personnelles.

Un sociologue américain de la prestigieuse université Cornell, Trevor Pinch, a lui entrepris une enquête il y a quelques années sur les commentaires laissés sur Amazon et sur la façon dont ceux-ci pouvaient anticiper le succès d'un produit en raison des retours positifs accumulés. Pour lui, interrogé par le site américain Gigaom, "ces clients qui n'en sont pas vraiment doit être un dossier sur lequel Amazon doit être plus transparent".

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