Cet article date de plus de dix ans.

Intervention en Syrie : le débat

Alors que la France se prépare, le cas échéant, à intervenir en Syrie, dans les tous prochains jours, aux côtés des Américains, comment se caractérise le débat en France ?
Article rédigé par Frédéric Martel
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
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Alors qu'on est peut-être, ce week-end, dans une sorte de veillée d'armes - car la France est prête à déclarer la guerre à la Syrie - le débat sur l'intervention militaire monte en puissance.

Le débat a lieu par tribunes d'experts et prises de position interposées. Les partis politiques comme les familles d'intellectuels sont divisés, selon des lignes de clivage anciennes, et parfois nouvelles, qui traversent les différents camps.

"Il y a autant d'arguments pour l'intervention que contre", résume par exemple Franz-Olivier Giesbert (dans Le Point ).

Les termes
du débat sont posés mais l'indécision demeure.

Vous avez d'un côté un
bloc hostile : Jean-Luc Mélenchon ; le philosophe Régis Debray ; sans
surprise Jean-Pierre Chevènement ; ou encore le journal communiste L'Humanité qui lance une "grande
pétition" nationale contre la guerre, comme s'il fallait tout à coup
venir en aide à Poutine.

Ce sont (à peu près)
les mêmes qui ne voulaient pas entendre parler des bombardements de l'OTAN pour
défendre la Bosnie, par exemple.

Face à eux, il y a
les "interventionnistes", comme Bernard-Henri Lévy (qui implore
François Hollande de tenir bon sur la Syrie), sans surprise André Glucksmann,
ou encore Bernard Kouchner, qui fidèle à lui-même réclame un devoir d'ingérence
(qui est un peu le sien). Même Rony Brauman, en principe plus réservé sur l'ingérence,
y est cette fois favorable.

Entre ces deux camps, il y a tous les
autres, en ordre dispersé

La droite est très
divisée, tendance Villepin/Fillon (les Colombes), ou tendance Juppé/Balladur
et peut-être Sarkozy (les Faucons). Le souverainiste Henri Guaino
est contre. Et par exemple, un penseur comme Michel Schneider, plutot modéré, cite
dans Le Point , la philosophe Hannah
Arendt ce week-end pour justifier une non-intervention.

A gauche (peut-être
plus qu'à droite), il y a également une ligne de fracture importante.

Hubert Védrine,
longtemps réservé sur l'intervention en Yougoslavie, est cette fois favorable à l'intervention en Syrie.

Le sociologue Edgar Morin qui
parle aujourd'hui de complexité, et milite pour le compromis, c'est à dire (penseront
ses détracteurs) pour ne rien faire.

D'autres insistent
sur les preuves qui restent à fournir (alors que l'utilisation du gaz sarin ne
fait pourtant plus de doutes) ; dénoncent une
"coalition riquiqui" ; ou demandent qu'on
attende... une décision du conseil de sécurité.

A gauche, on se
traite de "munichois" (comme l'a dit Harlem Désir bien mal inspiré)
ou de "molletiste" - en référence à la gauche soutenant la guerre
d'Algérie.

La question syrienne
redistribue toutes les cartes intellectuelles

Le cas le plus
intéressant est celui de Jacques Julliard qui, dans Marianne ce week-end, bascule contre la guerre, alors qu'il avait été
le chantre de l'intervention militaire en Yougoslavie, mais aussi en Libye et
au Mali.

Dans son article, "La guerre
n'est pas une solution", l'éditorialiste considère en effet que
"la guerre en Syrie est bien mal partie" et prédit déjà une
"Bérézina".

Julliard écrit : "La
maxime qui doit inspirer la décision, c'est l'examen des
chances pour une intervention extérieure d'améliorer la situation au lieu de
l'aggraver". Et il insiste sur le
risque islamiste et djihadiste – sans doute l'un des facteurs qui a fait
basculer intuitivement une partie de l'opinion
publique.

L'inverse du Mali en somme. La
lecture qui commence à être faite, en France, de l'intervention en Syrie est, en effet,
celle d'un anti-Mali. Jacques Julliard écrit : "Qui dont faut-il
croire, entre François-Hollande, champion de la lutte anti-islamiste au Mali,
et Hollande-François, qui prend le risque de faire le jeu des islamistes en
Syrie".

Il ajoute un argument : celui du cas des Chrétiens. Alliés pour une part au régime de Bachar el Assad, ces Chrétiens, toujours selon Julliard,
nous supplieraient de ne pas intervenir. C'est un argument que l'on retrouve
d'ailleurs au sein de la droite chrétienne : chez Christine Boutin,
François Bayrou ou caricaturalement chez Ivan Rioufol du Figaro (tous refusent cette intervention). 

Le Pape, lui-même, lors d'une "veillée" à Rome, hier soir, s'est situé dans la même lignée.

Un basculement de l'opinion et des intellectuels ? 

En fait, le temps des idées n'est pas celui de l'action politique. Et la
responsabilité n'est pas la même "entre le savant et le
politique".

François Hollande
voulait "punir" vite et bombarder
Damas dans la "huitaine".**** Mais ca va prendre un peu plus de temps que ça.

Le Congrès américain
devrait donner son accord rapidement. Et Obama s'exprimera devant les
Américains mardi soir. Mais François
Hollande a annoncé à St Petersbourg qu'il allait attendre la remise des conclusions
de l'ONU avant d'agir. Un rapport préliminaire pourrait suffire, mais ça va prendre encore quelques jours.

Hollande apprend à
sa décharge le principe de réalité. Et du coup, puisque
la guerre attend, le débat monte en puissance.

Le débat s'intensifie

Les termes du débat sont
posés mais l'opinion reste encore très volatile.

Les Français, comme
les Américains, et même les intellectuels les plus va-t-en-guerre, auraient
aimé un feu vert de l'ONU.

Vont-ils utiliser, à la place, l'OTAN ? C'est peu probable. Car ce serait un chiffon rouge que d'afficher ce pavillon
atlantiste (pour ne pas dire américain), sous les yeux des chinois, des
iraniens ou des russes.

Alors qui va intervenir ? Très probablement une
coalition "ad hoc" (en propre). Ce week-end, une dizaine de pays seraient
prêts à s'engager, aux côtés des Américains et des Français. Les Européens, et y compris l'Allemagne, soutiendront.

La légitimité de l'intervention s'appuierait sur le protocole dit de Genève, de 1925, qui interdit l'usage de gaz
chimique (protocole qui a d'ailleurs été ratifié par la Syrie).

Quant aux
objectifs : il s'agirait, tout en évitant l'escalade
militaire, de mettre un frein à
l'usage d'armes chimiques, pour éviter demain, la guerre biologique ou nucléaire. Et l'objectif
consiste aussi à faire passer un message clair aux Russes et aux Chinois :
si vous abusez de votre veto pour bloquer le Conseil de Sécurité, on
contournera l'ONU. Si vous dites
"niet", on ira voir ailleurs.

Le message s'adresse aussi aux iraniens

C'est
aussi un message adressé, par ricochet, aux Iraniens : en stoppant les
programmes chimiques de Bachar Al Assad, on envoie un signal fort à l'Iran sur
son programme nucléaire. Si vous dépassez la limite que nous avons fixée, nous
interviendrons.

Pour la France,
disent les diplomates, il s'agit aussi de ne pas être "à la remorque des
Américains", je les cite. D'affirmer notre souveraineté, librement.

Le gouvernement
insiste sur le fait que nous avons, par nos propres services de renseignement, les
preuves de l'utilisation des armes chimiques : elles ne nous viennent pas des
Américains.

Et sur la riposte
militaire, on a aussi nos propres moyens pour agir.

Mais c'est vrai que
l'image de François Hollande qui colle à Obama sur la Syrie, tranche avec celle
de Jacques Chirac rompant avec Bush sur l'Irak.

C'est sans doute ce
tête à queue politico-idéologique qui gêne les Français et les intellectuels.

Ca gêne aussi les
Américains qui ont élu Obama pour " mettre fin aux guerres pas pour les
commencer ".

L'empressement du président français

François Hollande a foncé sur ce dossier, alors qu'il est, en général, moins pressé que cela, notent les
éditorialistes. Et peine a décidé. Là, il a voulu aller vite : il a choisi de coller à la
Constitution qui fait de lui le seul habileté a prendre la décision ; et il a refusé un vote qui
n'est certes pas obligatoire - mais qui n'est pas interdit non plus.

"Le président
français a consenti à un débat de deux heures sans vote, histoire de débattre
d'une décision qui revient à lui seul !", ironise l'intellectuel Guy
Konopnicki.

Est-ce qu'un vote rend
la guerre plus juste, c'est peut etre ca aussi la question.

Guerres justes et des guerres
injustes ?

Le philosophe américain Michael Walzer est le principal
théoricien contemporain de la guerre juste par rapport à la guerre injuste. C'est ce qu'on appelle,
dans le jargon américain, la "just war theory".

Michael Walzer explique que "La théorie de la guerre
juste est un raisonnement sur les justifications qui peuvent légitimer, ou non,
de faire la guerre".

Dans un livre important, qui porte précisément ce titre : Guerre juste et injuste, Walzer se demande à
quelle condition la guerre peut être une action moralement juste.

Cela dépend, selon
lui, des causes de la guerre ; de savoir si on a
été agressé et si on est ou non en légitime défense ; si tout a été fait
pour éviter la guerre ; et bien sur de
savoir si celui qui s'y risque a l'autorité légitime pour le faire.

Et il avance une
autre justification, celle, des massacres que peut perpétrer par exemple un
gouvernement autoritaire.

Le droit d'ingérence

C'est en fin un débat sur le droit d'ingérence. Ce n'est
d'ailleurs pas seulement un débat moral, c'est aussi un débat juridique.

On le sait peu, mais
l'Assemblée générale des Nations Unies a défini, ces dernières années, par
petites touches, une sorte de droit d'ingérence, appelé dans son jargon " Responsabilité
de protéger " ou " R2P ".

L'idée c'est que la
souveraineté n'est pas un droit, mais un devoir.

Bachar el Assad a le
devoir de protéger son peuple. Et s'il ne le fait pas, la communauté internationale
a le droit de se substituer à lui dans quatre cas seulement : le génocide ; les crimes de guerre ; les crimes contre
l'humanité ; le nettoyage
ethnique.

C'est sur
cette doctrine de la "R2P", la "Responsabilité de
protéger", qui a déjà été appliquée pour la Libye, que François Hollande s'appuie
notamment.

Malheureusement, c'est
une doctrine fragile sur le plan juridique et sujette à débat à l'ONU - et bien
sûr à veto.  

Un parfum de guerre froide ?

On a beaucoup dit, jeudi et vendredi, lors du sommet du G20 à
Saint-Pétersbourg, que le face à face Obama-Poutine nous ramenait à la guerre
froide.

  La guerre froide,
n'exagérons rien ! La Russie n'a plus vraiment
les moyens de faire la guerre, même froide.

Ce qui est vrai, en
revanche, c'est qu'elle a un pouvoir de nuisance fort, grâce à son véto au
Conseil de Sécurité, surtout lorsqu'il est couplé à celui des Chinois.

Cela rappelle
la formule célèbre de Raymond Aron, l'un des théoriciens
français de la guerre froide, qui disait : " Paix impossible, guerre
improbable ".

On n'en est plus là
aujourd'hui. On pourrait même retourner cette formule, comme l'a fait Pierre
Hassner (le grand spécialiste des
relations internationales), plus récemment, en disant :
"Paix moins impossible ; Guerre moins improbable".

Nous sommes donc
passés de la "Guerre improbable", à cette " Guerre moins
improbable " d'aujourd'hui.

En fin de compte, en conclusion, il y a dans ce genre de débat, la question des principes (savoir si la guerre
est juste ou injuste) ; il y a celle du contexte ; et il y a celle de
l'opportunité.

Nous en sommes là,
dans le débat sur le débat.

Il y a un moment où
l'indécision ne sera plus possible. Il faudra choisir, peut-être même voter, et
en tout cas, décider.

 

 

* Références des livres cités :

  • Guerres justes et injustes  de
    Michael Walzer (trad. éd. Belin, 1999)

  • La Violence et
    la paix
    de Pierre Hassner (éd. Esprit, 1995)

 

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