Cet article date de plus de dix ans.

Ce racisme qui (re)vient

L'affaire "Minute" montre qu'un "vieux" racisme est de retour. Alors que de nouvelles formes de racisme arrivent...
Article rédigé par Frédéric Martel
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
  (©)

Inutile
ici de rappeler, à nouveau, le titre de cette "une" de Minute
contre la Garde des Sceaux, Christiane Taubira. Il a fait l'unanimité - contre
lui.

On
peut bien sûr se rassurer en se disant que Minute
est une feuille de chou nauséabonde, à la diffusion confidentielle. Cette
"une" a fait l'objet de critiques de toute la classe politique.

Le
Premier ministre a saisi le Procureur de la République de Paris pour
"injure publique à caractère racial"
et il est probable que le
directeur de Minute soit mis
en examen pour cette "une".

Sera-t-il condamné ? Il faut voir. En tout cas, ça prendra du temps et il
est possible que si condamnation il y a – ce qui n'est pas certain – l'amende
encourue de 22.500 euros sera bien inférieure à la publicité gratuite qu'on a
fait cette semaine à ce journal qui était au bord de la faillite et dont plus
personne ne parlait. Désormais, ce n'est plus le cas.

Comment éviter alors qu'un tel

racisme se reproduise ?  

C'est ici que les choses se compliquent. La première question qui se pose est
de s'interroger sur un débat où tout le monde est du même côté. Où tout
le monde dénonce, à juste titre, le racisme. Ce Front républicain va même
au-delà des partis républicains puisque le Front National s'y est associé.  

Un
mot sur la stratégie de Marine Le Pen dans cette affaire : c'est celle de
la normalisation. Elle veut acquérir une respectabilité qui est incompatible avec ce
racisme bestial, au premier degré, de type "Banania". Il est clair qu'elle essaye de gommer le racisme simpliste (disons celui
de son père) et elle entend bien tirer les bénéfices de cette subtilité, de
cette confusion, en mars et mai prochains.

Une stratégie de front commun ne

pourrait-elle pas être efficace ?

C'est la deuxième question que pose cette "une" de Minute . On
se souvient au début des années 1980 de SOS Racisme avec sa petite main jaune. Le jeune Harlem Désir expliquait que nous étions un peu tous frères au sein
de la République. Et qu'il ne fallait pas "Toucher à mon pote".

30 ans plus tard (car on fête cette année le trentième anniversaire de la marche
des beurs), c'est lui qui organise encore un grand meeting pour dire
"non" au racisme
. Ce sera le 27 novembre prochain à la Mutualité.

Beaucoup critiquent aujourd'hui SOS Racisme pour avoir cru que les bons sentiments pouvaient faire une politique. Car depuis,
on a fait du surplace. Harlem Désir, lui-même, font remarquer ses
détracteurs, tente de faire oublier qu'il est un patron du Parti Socialiste
décevant en voulant unir tout le monde contre le racisme.

Alors certes, comme le titre un éditorial cette semaine, "Il ne faut rien
laisser passer"
. Mais c'est plus facile à dire qu'à faire.

Pourquoi ?

Dès
1987, un chercheur, Pierre-André Taguieff, avait montré qu'il y avait
plusieurs racismes.

Un
raciste peut rejeter la différence ; ou au contraire la valoriser. Dans le
premier cas, il définit une identité (Un noir égale un singe) qui justifie
ensuite une inégalité ; dans le second, il s'agit de faire en sorte que
chaque individu appartienne à des communautés différentes qu'il faut séparer
(Un Français est différent d'un étranger et ne peut pas avoir les mêmes droits).
Le "droit à la différence" mène alors à la
"différence des droits". Si on veut schématiser, c'est en gros Minute d'un côté ; certaines idées du Front
National de l'autre.

D'autres
racismes découlent d'un ressentiment, ou d'une idée de décadence, et c'est vrai
que la "mélancolie française" que l'on sent actuellement peut être un terreau fertile pour le racisme.

Conséquence
évidente : on ne lutte pas contre tous ces racismes de la même façon. Ils
ont des ressorts différents. Il faut des stratégies antiracistes multiples et
plus subtiles.

Si la justice condamne Minute ça voudra quand même dire

qu'il y a des lois en France et qu'on ne peut pas dire ou écrire n'importe
quoi...

Heureusement,
et c'est le versant positif de cette affaire. Mais il y a un aussi le versant négatif :
c'est que la parole raciste s'est libérée.

Aujourd'hui,
la France, un pays qui prétend souvent donner des leçons au monde entier sur
les droits de l'homme, est devenue un pays où les propos racistes sont fréquents,
où la dénonciation des noirs ou des arabes est régulière.

C'est
un pays où le racisme existe dans les syndicats (comme une enquête de Philippe Bataille l'a montré) ; c'est
un pays où un ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale a été
créé ; un
pays où un homme politique de premier plan a pu parler du "bruit et de
l'odeur" dans les cages d'escaliers des HLM de banlieues ; c'est
un pays où l'on profane encore des cimetières juifs ; où l'on peut tenir
des propos ouvertement homophobes au parlement ; et signer des pétitions
clairement sexistes et misogynes...

On peut citer ces exemples, car il est évident que Christiane Taubira, une femme noire de
Guyane, qui a été la porte-parole de la loi pour le mariage pour tous, cumule,
si j'ose dire, à son corps défendant, les ingrédients propices à ce déchaînement
de racisme. Pour paraphraser Jean-Paul Sartre, je dirais : "être Noire
n'est pas un problème, mais défendre le mariage gay et être noire, c'est avoir deux
problèmes".

Sans parler d'Internet et des réseaux

sociaux, qui relaient souvent des messages de haine... 

C'est
cela, en fait, que révèle l'affaire Minute .
Notre impuissance.
On
peut bien sanctionner un journal extrémiste pour son racisme animalier d'un
autre temps, mais qu'en est-il des vidéos banalement racistes sur YouTube, des innombrables
messages racistes sur Facebook ou Twitter ?

Ça
reste... et il est même difficile d'imposer le retrait de messages racistes ou
antisémites. La
loi dite de "confiance" sur l'économie numérique (quand on dit "de
confiance" dans une loi, en général, c'est déjà qu'on n'a pas confiance),
rend responsable les hébergeurs de contenus. Sauf que ni Facebook, ni Twitter, hébergés aux États-Unis, ne se laissent
impressionner par la loi française.

Ils
se réfugient derrière le premier amendement de la Constitution américaine qui
est beaucoup plus tolérant que nous sur la liberté de parole – en gros, le
gouvernement ne doit pas interdire ce que la société réprouve. C'est à la
société elle-même de faire le ménage.

En
outre, les Américains préfèrent moins sanctionner les propos racistes
pour davantage sanctionner les faits et les crimes racistes. (C'est un
peu comme les armes à feu qui sont libres mais la peine de mort plus fréquente...)

C'est clairement une conception différente de la nôtre. D'un côté on peut dire
que c'est une sorte de "laissez-faire" ; de l'autre on peut au
contraire penser que ça responsabilise plus. En tout cas, s'il y a un Tea Party
aux États-Unis, il n'y a pas de parti d'extrême droite.

De
toute façon, la volonté d'interdire un compte Facebook est par nature un peu
vaine. Avant qu'il y ait une action et une décision de justice, n'importe qui
peut créer 10 nouveaux comptes Facebook ou Twitter.

Quelles solutions alors ?

Ça
veut dire qu'il n'est pas certain qu'on ait beaucoup à gagner à poursuivre
systématiquement tous les propos racistes ; même s'il faut tenter de le faire
quand même. C'est triste à dire, mais il y aura toujours des timbrés ou disons des
fachos pour poster un message raciste sur Twitter.

La
solution, on la connaît : c'est l'éducation, c'est la culture, c'est l'explication,
la pédagogie ; c'est convaincre, c'est expliquer.

Cette semaine on a souvent entendu la formule : "Des digues se sont
rompues". Belle formule, mais pour filer la métaphore jusqu'au bout, je
dirais que pour empêcher qu'une digue se rompe, il
faut tous se mobiliser, il faut tous s'y coller.

Plutôt que tout attendre de la justice et de l'État ; il faut peut-être espérer
plus de l'école, des instituteurs, des travailleurs sociaux, en gros de la société,
c'est à dire de vous, de moi, de nous, de nous tous.

Il
n'y a pas que la justice à saisir, le parlement à convoquer, ou la Mutualité à
remplir. Il y a ce que chacun d'entre nous peut faire pour lutter... contre
ce qu'un écrivain (dont on fête ce mois-ci le centenaire) - Albert Camus -, appelait,
dans une métaphore efficace : "La Peste".

 

* Bibliographie :

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