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Robert Ménard, Jean-Luc Mélenchon : la rhétorique de l’insulte

Tous les jours, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité. 

Article rédigé par franceinfo - Clément Viktorovitch
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Clément Viktorovitch, sur franceinfo, vendredi 14 janvier 2022. (FRANCEINFO)

Cette semaine politique aura été rude puisqu’elle a été marquée… Par des insultes. Et nous allons voir que, derrière un seul et même procédé, on trouve en réalité des utilisations différentes, voire opposées.

Jean-Michel Blanquer : "un bon à rien", selon Jean-Luc Mélenchon

Commençons avec un orateur coutumier des déclarations fracassantes : Jean-Luc Mélenchon. Il était dans la rue, jeudi 13 janvier, pour soutenir les enseignants en grève. Voici ce qu’il disait en marge de la manifestation : "C'est ça qu'a réussi Blanquer, il a à moitié démoli l'école mais il a réussi à mettre tout le monde d'accord à l'école, c'est pas mal. Alors, je pense qu'un crétin pareil est utile ! Il faut laisser leurs chances aux bons à rien. Bon, toute plaisanterie mise à part, on n'en peut plus."

"Un crétin, un bon à rien", on n’est plus dans l’invective, ni même dans l’injure, mais bien dans l’insulte pure et simple, c’est-à-dire le degré le plus conflictuel de la disqualification ad personam, l’attaque directe contre la personne. Ce genre de déclaration est-elle efficace ? En l’occurrence non, je pense que c’est dommageable, et pour plusieurs raisons. La première a trait au statut des personnes qui sont impliquées dans cette interaction. Si un enseignant avait prononcé cette phrase, on l’aurait perçue comme un élan de colère, et la chose n’aurait pas été plus loin. Mais en l’occurrence, il s’agit d’un élu de la nation, qui plus est candidat à la représentation de tous les Français, qui parle d’un ministre de la République. Quelle que soit la vigueur du débat politique, cela impose un minimum de respect et de solennité.

L'antiphrase pour plaider l'ironie

Est-ce qu’on ne peut pas aussi distinguer un peu de distance et d’ironie dans cette déclaration ? Si, et je crois que c’est pire. Ce que nous dit précisément Jean-Luc Mélenchon, c’est : "un crétin pareil est utile, il faut laisser leur chance aux bons à rien". Le leader de la France insoumise cherche évidemment à nous faire entendre tout le contraire : Jean-Michel Blanquer serait préjudiciable pour l’enseignement national. Du reste, LFI a appelé à sa démission.

Nous sommes donc dans le domaine des antiphrases (dire une chose, pour faire comprendre l’inverse), et c’est effectivement la définition de l’ironie. Elle permet à Jean-Luc Mélenchon d’être très agressif, tout en pouvant plaider l’humour si d’aventure la déclaration lui était reprochée. Pile je gagne, face tu perds : c’est une stratégie rhétorique commode, mais fort désagréable.

Éric Zemmour et Marine Le Pen, des "fous furieux" pour Robert Ménard

Le risque, c’est que les auditeurs en tiennent rigueur à Jean-Luc Mélenchon, d’autant que cela était sans doute superflu : la position de Jean-Michel Blanquer, en ce moment, semble suffisamment difficile pour qu’il ne soit pas nécessaire d’en rajouter. Et c’est, justement, ce qui fait toute la différence avec le second extrait de ce florilège : il nous vient de Robert Ménard. Le maire de Béziers était jeudi l’invité d’Europe 1. Il en a profité pour adresser un message à Éric Zemmour et Marine Le Pen : "C'est la droite la plus suicidaire du monde, tellement stupide aujourd'hui alors que si j'en crois les sondages, notre droite à nous est majoritaire à droite et représente en gros un tiers de l'électorat quand vous ajoutez les uns et les autres. On est foutus de perdre les élections encore à cause de leur ego. Je leur ai dit 'Vous êtes fous furieux les deux, vous êtes fous furieux'".

Vous voyez qu’on est dans un registre très similaire à celui de Jean-Luc Mélenchon. Mais, ici, le contexte est très différent. D’une part, il ne s’agit plus d’un candidat qui s’adresse à un ministre mais d’un élu local qui s’adresse aux candidats qu’il soutient. Cela autorise une bien plus grande franchise dans l’expression. Et puis, surtout, nous n’entendons ici aucune distance, aucune ironie. Au contraire : Robert Ménard utilise l’insulte comme une manifestation de ses propres émotions, d’indignation, de déception, dans l’espoir de susciter une prise de conscience chez ceux auxquels il s’adresse (candidats comme électeurs d’ailleurs).

Est-ce que ce sera efficace, pour créer le rassemblement ? Nous verrons bien… Je vous avoue que j’ai quelques doutes. En revanche, c’est une déclaration qui ne sera probablement pas reprochée à Robert Ménard et qui pourrait même être portée à son crédit. Et cela me semble intéressant. C’est la preuve qu'en rhétorique, les procédés, aussi agressifs soient-ils, sont rarement univoques. Ce qui compte, c’est l’utilisation qui en est faite. Cela vaut pour la politique, mais aussi dans la vie quotidienne.

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