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Gérald Darmanin sur les féminicides : l’art d’esquiver la question

Tous les jours, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité.

Article rédigé par franceinfo
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Gérad Darmanin, le ministre de l'Intérieur à la sortie du conseil des ministres, le 20 janvier 2022. (S?BASTIEN MUYLAERT / MAXPPP)

Invité mardi 25 janvier de France Inter, Gérald Darmanin, le ministre de l'Intérieur, était interrogé sur un sujet dramatique : le nombre toujours élevé des féminicides. 113 femmes sont décédées sous les coups de leur conjoint en 2021, 10 de plus déjà depuis le début du mois : tels sont les chiffres que Léa Salamé a rappelé à Gérald Darmanin, qui a offert une véritable démonstration dans l’art d’esquiver les questions. 

"Quand bien même il y aurait encore une seule femme qui mourrait des coups de son conjoint, ce n'est pas une question de 10, de 100 ou de 500. On ne va pas commencer à faire des comparaisons statistiques, c'est évidemment toujours un drame et il faut toujours s'améliorer, bien évidemment !"

Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur

sur France Inter

Cette dernière phrase, "il faut toujours s’améliorer bien évidemment", en apparence sonne comme une forme de concession, voire de mea culpa. Mais c’est en réalité plus subtil que cela. Quand Gérald Darmanin nous dit : "qu’il y en ait 500, 100 ou une seule, cela reste inacceptable", cela revient à renvoyer dos à dos toutes les politiques de lutte contre les violences faites aux femmes, quels que soient leurs résultats, tant que celui-ci reste supérieur à 0 mort. Et figurez-vous que ça, c’est un sophisme, un procédé fallacieux. On l’appelle sophisme de la solution parfaite : il consiste à prétendre que toutes les solutions qui seraient moins que parfaites seraient également inacceptables. Or, bien sûr, elles comptent, ces différences : 50 féminicides ou 500, des chiffres en hausse ou en baisse, ce n’est pas exactement la même chose.

"On ne va pas commencer à faire des comparaisons statistiques"

Plus encore qu'un moyen de justifier le statuo quo, il me semble que c’est une manière de nous intimer à ne pas évaluer la réussite ou l’échec du gouvernement en cette matière. Comme si, soudain, parler de chiffres était indécent. D’ailleurs, le ministre de l’Intérieur nous le dit explicitement : "on ne va pas commencer à faire des comparaisons statistiques". Alors, pourquoi pas. Mais cela semble tout de même cocasse, quand on écoute le reste de l’interview !

"On est à 94 000 naturalisations par an, dans le quinquennat du président de la République. La majorité de l'UMP, lorsqu'elle était en responsabilité, c'était 104 000 par an." "Ce n'est pas une légère baisse sur les atteintes au bien puisque c'est moins 15% de cambriolages, moins 22% de vols de véhicules, moins 29% de vols avec arme, moins 27% de vols violents." "On expulse deux fois plus qu'en Allemagne, trois fois plus qu'en Italie" 

Vous voyez que, étonnamment, cette question des féminicides est la seule sur laquelle le ministre de l’Intérieur se refuse à faire des comparaisons statistiques : preuve, s’il en était encore besoin, du malaise du gouvernement sur cette question.

La grande cause du quinquennat

Un seul féminicide, ça ne reste déjà pas acceptable, bien sûr. Et personne n’a dit que lutter contre de tels drames était aisé. Mais il faut aussi replacer ce débat dans son contexte. En novembre 2017, Emmanuel Macron avait décrété que l’élimination des violences faites aux femmes serait la grande cause du quinquennat. Il n’était pas le premier à fixer ce genre d’ambition. En 2002, le président Chirac avait érigé la lutte contre la violence routière en cause nationale de son mandat. Résultat : en cinq ans, le nombre de morts sur la route avait diminué très nettement, de plus de 40%.

Voilà pourquoi Gérald Darmanin est prêt à tous les sophismes pour esquiver la question : il sait qu’en l’espèce, il a tout intérêt à ce que nous ne fassions pas de comparaisons !

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