Cet article date de plus de deux ans.

Éric Woerth : la rhétorique du ralliement

Comment faire pour justifier d’avoir changé d’avis ?  Tous les jours, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Éric Woerth assiste à l'université d'été du parti Les Républicains à La Baule, dans l'ouest de la France, le 29 août 2020. (LOIC VENANCE / AFP)

Le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, Éric Woerth, membre historique des Républicains, très critique à l’égard d’Emmanuel Macron durant tout son quinquennat, a finalement annoncé la semaine dernière qu’il le soutenait. Et il en faut de la créativité pour justifier un telle retournement de situation. L’une des principales figures de l’opposition parlementaire qui soutient finalement la candidature du président de la République – avant même que cette candidature n’ait été déclarée –, voilà qui promettait quelques contorsions rhétoriques. 

C’est effectivement ce à quoi nous avons assisté mercredi 16 février. Éric Woerth était l’invité de LCI. Il a expliqué les raisons de son choix. Au fond, les choses sont simples : lui et Emmanuel Macron auraient chacun cheminé de leur côté, pour, tout simplement, se retrouver ! "Vous évoluez vous-même. Vous rencontrez des gens, eux-mêmes ont pas mal bougé, pas mal changé, déclare Éric Woerth. Et au fond vous vous rendez compte que vous n'êtes pas très loin de ce qu'ils pensent eux-mêmes. / Et je pense qu'il est entré dans les costumes d'un président de façon extrêmement puissante. Il y a un pari à faire sur l'avenir qui est celui qu'il sera à la hauteur et je pense qu'il le sera."

"Un président de deuxième mandat"

Derrière le récit d’un beau cheminement mutuel, il y a un véritable argument. Emmanuel Macron aurait gagné en expérience, et serait désormais à même de répondre aux défis des cinq prochaines années.

Il faut mesurer ce qu’il signifie : les différences entre les deux hommes seraient moins affaire d’idéologie et de fond que de compétence et d’exécution. Et d’ailleurs, Éric Woerth le dit lui-même, en mettant en avant un concept un peu curieux : Emmanuel Macron ferait un bon "président de deuxième mandat." "Emmanuel Macron peut être je pense un très bon candidat de deuxième mandat. / Si à un moment donné, il a fait la preuve de ses capacités à être président de la République et de sa profonde sincérité dans sa volonté de réformes alors il faut donner un peu de temps./ Un président de deuxième mandat qui n'est pas en capacité de se représenter, qui est plus libre de ses choix personnels est un président qui peut être extrêmement efficace. Un président de deuxième mandat, on n'a pas ecnore essayé." 

 Alors, je vais revenir sur cette expression, "président de deuxième mandat". Mais avant, il faut prendre conscience du vocabulaire qui l’entoure. Selon Éric Woerth, Emmanuel Macron aurait "fait la preuve de ses capacités à être président de la République". Ses capacités : comme si exercer la présidence, ce n’était qu’affaire de technique, et pas de choix ! Il aurait montré "une profonde sincérité dans sa volonté de réformes". Sa volonté de réformes : comme s’il n’était pas nécessaire de dire lesquelles, puisque de toutes façons il n’y aurait qu’une direction possible pour réformer ! Éric Woerth parle même d’un président "efficace". Efficace : au fond, un bon gestionnaire, et rien de plus !  . . 

Une approche technocratique de la politique

On comprend, maintenant, l’utilité de cette expression : "président de deuxième mandat". L’idée, derrière, c’est que la France aurait surtout besoin d’un président expérimenté, et délivré des contraintes que fait peser la perspective d’une réélection. Alors, pourquoi pas. Mais il y a une question qui reste dans l’ombre, et non des moindres, celle des décisions qui vont être prises ! De la direction dans laquelle le président veut amener le pays ! Bref, de la politique qu’il compte mener ! Or, n’oublions pas que la politique, c’est toujours une affaire d’idéologie : il y a toujours le choix, il y a toujours des alternatives.

Au fond, Éric Woerth nous dit à demi-mot qu’il se retrouve dans les orientations politiques du gouvernement. Cela pose un double problème. Un problème de stratégie politique, d’une part, pour Emmanuel Macron, il va devenir de plus en plus difficile de prétendre que son orientation est "et de droite, et de gauche". Et puis, un problème institutionnel aussi. D’après le règlement de l’Assemblée nationale, la présidence de la commission des finances doit revenir à un député de l’opposition. On est en droit de se demander quelle opposition portait réellement monsieur Éric Woerth. 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.