Eric Ciotti : à droite, encore à droite, toujours à droite !
Tous les jours, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité.
Le candidat à la primaire des Républicains était l’invité de Marc Fauvelle et Salhia Brakhlia sur franceinfo mercredi 27 octobre. Et a inspiré à Clément Viktorovitch une réflexion étonnante : Qu’est-ce que cela implique vraiment de dire… ce que nous disons ?
C’est bien cela ! Je reconnais que, formulée ainsi, la question peut sembler incongrue. Mais rassurez-vous, tout devrait s’éclairer en écoutant Eric Ciotti. Quand on lui a demandé, ce matin, quelle était la meilleure manière de qualifier sa candidature, la réponse était claire : il est tout simplement le candidat de droite : "Je me sens totalement en phase avec la volonté des militants républicains, d'avoir des idées fortes, de se situer clairement à droite. Aujourd'hui, une enquête d'opinion dit que le pays n'a jamais été autant à droite. Les militants réclament des idées de droite. J'ai intitulé ma campagne 'A droite !' avec un point d'exclamation, signe de volonté de porter des idées droites, de ne pas m'excuser, de ne plus nous excuser d'être de droite...."
Six fois le mot "droite" en moins de 30 secondes, sans aucun montage. Ne faites pas ça chez vous, c’est une cascade réalisée par un professionnel ! D’un point de vue politique, l’affirmation d’Eric Ciotti semble tout à fait fondée. Cela fait longtemps, déjà, qu’il s’est affirmé comme l’un des responsables politiques les plus à droite parmi les Républicains. D’un point de vue rhétorique, en revanche, elle peut davantage nous interroger.
Principe de pertinence et effet de contraste
Pourquoi ressent-il un tel besoin, de nous marteler ce qui devrait aller de soi, a fortiori pour des militants LR, qui sont clairement ceux auxquels il s’adresse dans le cadre de cette primaire ? La réponse tient à une règle fondamentale en rhétorique : le principe de pertinence. Il est assez élémentaire : en tant qu’auditeurs et auditrices, nous partons du principe que les orateurs ne parlent pas sans raison. S’ils prennent la peine de formuler un énoncé, c’est que cet énoncé n’allait pas de soi. Et donc, quand nous entendons quelqu’un marteler avec insistance ce qui devrait être une évidence, inconsciemment, nous avons tendance à chercher une signification plus profonde. C’est ainsi que les orateurs produisent de l’implicite : ils nous font entendre une chose qu’ils n’ont pas dite. En l’occurrence, si Eric Ciotti prend le temps de préciser que, lui, est véritablement de droite (pas d’extrême droite, de droite dure ou de droite ferme, non, de droite), c’est peut-être que ses adversaires, eux, ne le sont pas vraiment ! Voilà comment, par effet de contraste, il parvient à taxer ses adversaires de mous ou de modérés, sans avoir eu à l’exprimer clairement.
Il ne s'agit pas d'un principe qui est spécifique à la politique. Cela vaut pour chacun et chacune d’entre-nous. Cela explique qu’on puisse se sentir agressé par un collègue qui lance en réunion : "Moi, vous savez, je travaille beaucoup." Spontanément, on va avoir envie de répliquer "mais moi aussi !", parce qu’on sent bien qu’il peut y avoir une attaque implicite derrière. Inversement, si on veut insinuer qu’un de nos concurrents n’est pas totalement honnête, il suffit de dire : "Moi, vous savez, je suis peut-être cher, mais je respecte les règles." Tout le monde va comprendre. Parler de soi, cela peut être une manière très efficace de parler des autres !
Quand le martellement joue à contre-emploi
Mais cela ne vaut pas pour toutes les stratégies de martellement bien sûr, et d’ailleurs je vous ai retrouvé une archive piquante. Ecoutez ce que disait, il y a vingt ans, un certain Manuel Valls. C’était pendant les débats organisés dans le cadre de la primaire qui, souvenez-vous, avait fini par désigner François Hollande comme candidat du PS : "Personne ici n'a le monopole de la gauche. C'est là où je me sens profondément de gauche (...) Et quand je parle de sécurité c'est parce que je suis de gauche (...) Quand je parle de laïcité c'est parce que je suis de gauche (...) Et quand je parle du désendettement, c'est parce que je suis de gauche (...) Et parce que je suis de gauche je souhaite qu'on dise la vérité."
On retrouve exactement la même stratégie de martellement, mais à l’époque, l’effet produit était radicalement différent, justement parce que Manuel Valls était, lui, perçu comme incarnant l’aile droite du PS. Ce qui signifie que, dans ce cas, le principe de pertinence joue à contre-emploi. Résultat : score de 5% pour celui qui avait besoin de préciser qu’il était bien de gauche... à la primaire de la gauche ! Et je crois que, pour nous, tout cela est riche d’enseignement.
Les mots ont de l’importance. Le simple fait de formuler un énoncé implique déjà de reconnaître que cet énoncé ne relevait pas de l’évidence. Souvenons-nous en, parce que ce principe ne vaut pas que pour les politiciennes et les politiciens. Il s’applique également à chacune et chacun de nous, au quotidien !
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