Covid : annoncer la vague qui vient
Tous les jours, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité.
Retour sur la cinquième vague de l’épidémie de Covid-19, qui frappe désormais la France. Et elle amène avec elle, comme chaque fois, un dilemme rhétorique pour le gouvernement : comment faire pour annoncer la vague ?
C’est un dilemme en effet, auquel le gouvernement a déjà fait face cet été. D’une part, il faut alerter la population avec suffisamment de force, afin d’inciter les habitants à se faire vacciner : c’était déjà le cas en juillet pour la première campagne de vaccination, ça l’est encore aujourd’hui pour la campagne de rappels. Mais il faut également savoir rester rassurant, sous peine de prêter le flanc aux accusations de mauvaise gestion de l’épidémie.
Le poids des mots
Comment alors tenir l’équilibre entre ces deux exigences ? C’est ce à quoi s’est attelé Gabriel Attal, le porte-parole du gouvernement. Voilà ce qu'il disait mercredi dernier en sortie de conseil des ministres : "La cinquième vague est là, dans notre pays. Partout l'épidémie accélère et le virus reprend du terrain. Cette vague arrive c'est vrai, mais nous avons de bonnes raisons de penser qu'elle n'emportera pas tout sur son passage." Nous avons ici des déclarations qui ne contiennent aucune hyperbole, aucun élément d’emphase. Nous sommes encore dans un registre purement factuel, et, donc, assez peu armé pour provoquer une véritable prise de conscience dans la population Mais ce qui m’intéresse, c’est surtout cette petite chose que l’on ne voit pas forcément passer : "Nous avons de bonnes raisons de penser qu’elle n’emportera pas tout sur son passage." Formellement, c'est une bonne nouvelle, et d’ailleurs, Gabriel Attal enchaîne immédiatement en vantant la couverture vaccinale de la France. Mais il y a une règle en rhétorique : les mots produisent leurs effets quel que soit le contexte dans lequel ils sont placés (principe de proférence). Donc, quand Gabriel Attal dit "la vague n’emportera pas tout sur son passage", ce que notre cerveau entend, c’est "emporter tout sur son passage".
Par ailleurs, ici, Gabriel Attal redonne à l’expression "vague épidémique" son caractère métaphorique. C’est vrai que, en 18 mois, l’expression a eu le temps de se fossiliser : elle ne suscite plus de représentations particulières. Mais en parlant d’une vague qui "emporte tout sur son passage", on retrouve soudain l’image première d’un tsunami qui s’apprêterait à se déverser sur nous. Et cette image, bien sûr, est en elle-même très angoissante. Voilà comment, en une seule expression, Gabriel Attal parvient tout à la fois à vanter la bonne gestion du gouvernement, et à préparer la population à de mauvaises nouvelles.
Une communication en deux étapes
Et ces mauvaises nouvelles n’ont pas traîné. Voilà ce que disait le même Gabriel Attal, dès dimanche sur Europe 1 : "Ce qu'on constate c'est que cette cinquième vague, elle démarre de façon fulgurante." "Fulgurante" : le mot est lâché. On a cette fois un registre clairement hyperbolique, avec l’expression d’une menace élevée visant à créer un électrochoc. Et ce qui est intéressant, c’est que ce schéma de communication en deux étapes a déjà été utilisé cet été, au moment de la troisième vague. Souvenez-vous de la déclaration de Gabriel Attal le 7 juillet dernier, au tout début de la reprise épidémique : "L'épidémie gagne à nouveau du terrain dans notre pays. Cette situation est liée, en France comme dans le reste du monde, au variant Delta, qui est beaucoup plus agressif que les variants précédents. Le risque d'une quatrième vague rapide est là." Ici aussi, on a des éléments de discours qui se veulent descriptifs, factuels. Mais voilà ce que dit le porte-parole du gouvernement 12 jours plus tard : "Nous constatons une vague plus rapide, une pente plus raide, que toutes les précédentes. Nous devons tout mettre en oeuvre dès maintenant pour que cette vague ne soit pas, aussi, plus dévastatrice. Nous partons de bas mais cette vague peut monter très vite et elle peut monter très haut. Une hausse de ce type, je le dis, aussi forte, aussi soudaine, nous n'en avions jamais connu depuis le début de l'épidémie dans notre pays." On retrouve ici l’utilisation de superlatifs, qui visent à créer un électrochoc dans la population.
Voilà donc le schéma de communication du gouvernement : d’abord, une première prise de parole, la plus neutre possible, pour préparer l’opinion. Puis, une seconde, beaucoup plus émotionnante, pour inciter à la vaccination. Reste, bien sûr, à juger de l’adéquation de cette communication avec la réalité de la situation. Est-elle appropriée ? Trop alarmiste ? Ou au contraire, trop timorée ? Cela, il appartient à chacun et chacune d’en juger.
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